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Covid-19: ces soignants fatigués de devoir se montrer irréprochables en permanence

Ne pas contaminer les patients, ne pas manquer le travail, ne pas décrédibiliser le combat… Témoignages.

Par
Pauline Allione
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« J’ai l’impression d’être une infirmière un peu trop cool », me lâche une amie entre deux messages vocaux. À 25 ans, Anaïs* est infirmière-puéricultrice en pédopsychiatrie. Dans quelques jours, elle a prévu de braver le confinement pour retrouver ses parents le temps d’un déjeuner. Un moment dont elle a besoin pour souffler un peu, mais qui lui donne le sentiment de ne pas être pro jusqu’au bout.

Largement plus courantes depuis le reconfinement, les petites fraudes laissent parfois un arrière-goût de culpabilité. Et c’est d’autant plus vrai pour les soignants, dont le droit à l’erreur est proche de zéro. Au travail, Anaïs a beau se tenir à distance des enfants – pas facile, quand on sait qu’ils sont déjà séparés de leurs parents ou famille d’accueil – et avoir suivi une formation express pour accueillir des patients Covid, elle a parfois l’impression d’être le mauvais élève au fond de la classe. Comme cette fois où elle a révélé à ses collègues qu’elle passait une soirée chez une amie en plein confinement, juste avant son déménagement. « Après l’avoir dit, j’ai tout de suite pensé : « Oh merde ».

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« SI NOUS ON NE LE FAIT PAS, QUI VA LE FAIRE ? »

Depuis le début de la crise sanitaire, les soignants, en première ligne, ont une responsabilité multiple. Il y a évidemment le fait d’être un potentiel vecteur du Covid-19 pour des personnes à la santé fragile. Il y a les collègues, qui seront encore un peu plus surmenés en cas d’arrêt maladie. Ou encore les discours politiques et médiatiques, qui soulignent unanimement l’épuisement du personnel soignant, les heures supplémentaires, le manque de moyens dans les hôpitaux, etc… Alors s’il y en a qui ressentent particulièrement la pression des mesures sanitaires, censées ralentir la pandémie, ce sont bien les soignants.

« Si nous on ne le fait pas, qui va le faire ? », soupire Anaïs. Dans l’hôpital où elle travaille, des mesures ont été prises pour être en capacité d’accueillir les quelques centaines de patients Covid attendus. Dans ce contexte tendu, le personnel fait aussi de la prévention : « On nous dit de prévenir nos proches, de leur dire qu’il n’y aura pas de place pour tout le monde ».

Entre blouses blanches, les petits écarts aux règles sont donc un sujet sensible. Marie, 36 ans et également infirmière-puéricultrice, se souvient d’une conversation de couloir. « Une collègue me racontait comment elle allait fêter Halloween dans son quartier avec ses enfants et leurs voisins. En discutant, j’ai réalisé qu’elle n’était pas à l’aise avec l’idée d’organiser ça ». C’est le revers de la médaille des conversations privées : elles permettent bien de se changer les idées, mais le risque du jugement plane. « Moi-même je me surprends à porter des regards accusateurs sur mes collègues, avoue Marie. Je me dis que certains ne font pas assez gaffe… »

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PLAISIRS COUPABLES

Pour Anaïs, le déconfinement estival a été l’occasion de prendre un aller-retour pour la Crète avec son copain. De retour dans l’hexagone, les routes sableuses, la végétation aride et le bleu de la Méditerranée se sont vite effacés de sa rétine. « Dans mon service, beaucoup de mes collègues avaient annulé leurs vacances. Ils ne voulaient pas choper le Covid et mettre l’équipe dans la merde avec un arrêt maladie ». Alors que certains lui reprochent à demi-mot son escapade, elle évite de s’étaler sur sa semaine de farniente et se replonge directement dans le travail.

Le grand tabou : bosser dans la santé et faire la fête. La plupart du temps, Thibaut, kinésithérapeuthe en Martinique, préfère décliner les invitations à sortir. « Comme beaucoup de jeunes, j’ai envie de dire oui, mais après je pense aux patients que je vais voir… » Au cours de l’été, il a craqué et a retrouvé une vingtaine de potes un soir, alors que le gouvernement avait imposé une jauge maximale de dix personnes. Mais il n’avait pas décroché totalement du cabinet. « À la soirée, il n’y avait que des kinés. Je me suis dit que ce n’était pas sérieux… Le fait que tu soignes des gens, ça reste quelque part dans la tête. »

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Quitte, parfois, à en faire trop. Quand Lucas, également kiné, a eu le Covid, il s’est demandé s’il ne devait pas prolonger son isolement de quelques jours pour ne faire prendre aucun risque à ses patients, surtout aux plus âgés. En téléconsultation, son médecin a balayé ses inquiétudes : « Il ne faut pas être plus catholique que le Pape ». La messe est dite, il est temps de retourner au boulot.

* La plupart des prénoms ont été modifiés.