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Caroline, infirmière à Nantes: « On est toujours dans le monde invisible! Si le Covid était coloré, ça calmerait les gens »

« Chaque geste barrière compte. »

Par
Daisy Le Corre
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En avril dernier, lors de la première vague du COVID-19 et en plein confinement, j’avais pris le temps de discuter avec Caroline*, infirmière et cadre de santé à Nantes. Une entrevue mémorable, avec des trémolos dans la voix qui ne s’oublient pas comme ça. À l’heure du reconfinement, elle a accepté que je reprenne de ses nouvelles, pour témoigner de ce qu’elle vit au quotidien sur le terrain. J’ai passé 45 minutes au téléphone avec elle. Interview sans filtre et sans masque, pour une fois.

« Désolée, j’ai mis du temps à te rappeler parce que j’ai été cas contact… Mais c’est bon, résultat négatif », m’annonce d’emblée Caroline en me rappelant que les soignants, même s’ils sont cas contacts asymptomatiques, continuent à aller travailler. « Et en ce moment, plus que jamais », me lance l’infirmière, anxieuse à l’idée de ce qui pourrait se passer dans les 15 prochains jours en France.

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Mais avant de me parler de la deuxième vague qui grandit de jour en jour, Caroline tient à revenir sur ce qu’elle a dû gérer au moment où la France entière déconfinait. L’heure n’était pas à la fête ni aux grandes vacances d’été, loin de là. « On s’est pris une douche froide en tant que soignants: on a récupéré énormément de patients non-Covid qui allaient très très très mal. Des patients qui, pendant le confinement, ont flippé et ont décidé de ne pas venir à l’hôpital pour leur suivi médical, par peur d’attraper le Covid. Ils n’ont donc pas été traités ni soignés correctement », confie la cadre de santé dont les patients étaient tétanisés par la peur du virus.

« Et il y a eu aussi beaucoup de déprogrammations car on avait besoin de lits, tout simplement! Comme je te le disais l’autre fois: on a décalé des hospitalisations qui étaient prévues, on a fait sortir des gens et on n’en a pas fait rentrer d’autres: on a fait des tris en fonction de l’urgence alors que, pourtant, tous les patients devaient être admis à l’hôpital. Mais on n’a pas eu le choix… Bref, on a déshabillé Paul pour habiller Jacques », raconte Caroline, encore émue et qui ne cache pas sa crainte que le scénario se répète sous peu.

« Est-ce qu’un jour on arrivera à comptabiliser le nombre de patients non-Covid décédés pendant la pandémie? Le COVID c’est une urgence, mais un cancer et un AVC aussi. »

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« Lors du déconfinement, on a dû transférer en urgence des patients non-Covid dans des services de soins intensifs ou de réanimation parce que leur état s’était tellement dégradé… C’était inimaginable. Le fait de ne pas avoir vu physiquement des patients pendant 2 mois, ça a permis à certaines pathologies de gagner beaucoup de terrain », raconte l’infirmière qui ne s’y attendait pas. « Par visio, on a cru qu’ils allaient bien mais quand on les a vus en vrai… On a déchanté. Physiquement et mentalement, ils n’allaient pas bien du tout », rapporte Caroline qui a constaté un manque de soins d’ordre général, avec sidération. « Des patients ont eu l’impression d’avoir été abandonnés et c’est aussi ce que ressentent certains soignants qui n’avaient pas le choix de faire autrement. » La preuve : 80% de son personnel avait été redéployé dans d’autres unités. « Est-ce qu’un jour on arrivera à comptabiliser le nombre de patients non-Covid décédés pendant la pandémie par manque de soins, faute de place dans les hôpitaux? Ce serait bien. Le COVID c’est une urgence, mais un cancer et un AVC aussi. »

À l’heure du reconfinement (pas assez «dur» d’après elle), elle l’avoue et me le répète: « Je suis très inquiète. Aujourd’hui, l’hôpital n’a pas fermé ses portes ni ses services: mais si on ne ferme pas, où est-ce qu’on va chercher le personnel? Je n’ai pas la réponse. Là en ce moment, on se dit que tant qu’il y a des lits en réanimation, ça va. Mais après, ça va faire quoi? »

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Au niveau des actions prises par le gouvernement, elle reconnait que des équipes supplémentaires de soignants ont été formées, qu’ils ont, « pour l’instant », assez de surblouses, de masques et de gel hydroalcoolique. « En revanche, je m’interroge: un médecin ou un réanimateur, c’est 10 à 12 ans d’études, voire plus… Une infirmière, c’est presque 4 ans d’études. Il ne s’est pas écoulé autant de temps entre la première vague et maintenant. D’où mon inquiétude au niveau de la charge de travail, c’est de la logique pure », explique l’infirmière qui ne compte plus le nombre de départs en retraite de ses collègues. « Sans parler de la fuite du personnel… ».

« Je ne suis pas sereine car j’ai des questionnements relatifs à cette 2e vague qui arrive : est-ce qu’on aura toujours tout ce qu’il faut en tout temps? Je suis aussi hyper inquiète de la tournure de ce 2e “semi-confinement” à moitié réel. Il y a toujours beaucoup de monde dans la rue (avec le masque sous le nez parfois), beaucoup de gens qui continuent à aller travailler, le nombre de cas augmente de jour en jour, etc. Mais si ça continue à augmenter, qu’est-ce que je vais faire de mes patients, moi? Je les mets dehors? »

« On est toujours dans le monde invisible! Si le Covid était coloré, ça calmerait les gens »

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Attendre, c’est tout ce qu’elle peut faire avec son équipe « d’hypers-soignants » qui multiplient les heures supplémentaires, « alors qu’ils sont déjà crevés ». « Ce sont des soignants qui placent les patients et l’humain au coeur de leur travail. Alors qu’ils n’ont pourtant reçu aucune réelle reconnaissance, à part des applaudissements. Mais ils ne veulent pas revivre ce qu’ils ont vécu au déconfinement, alors ils se donnent à fond pour éviter le pire, » confie Caroline, consciente qu’il est urgent de prendre en compte les sentiments et ressentis des soignants et des patients durant cette période difficile, à tous niveaux. « Il faut mettre des mots sur les maux. »

Si on connait mieux le virus que lors de la première vague, on sait aussi quels traitements ne fonctionnent pas pour l’éradiquer, mais également que les gestes barrières fonctionnent TRÈS bien. « Même si la population en a ras le bol… Moi, la première! Par moments j’en ai marre! C’est humain d’avoir envie de baisser la garde, de prendre l’air, de vouloir voir un visage, de ne pas manger seul.e, etc. On a envie de voir l’autre, je te jure qu’on a envie de voir l’autre, sans masque. Mais il ne faut surtout pas lâcher et respecter la distance, toujours. On est toujours dans le monde invisible! Si le Covid était coloré, ça calmerait les gens ».

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En tant que soignante, tant qu’il n’y aura pas de vaccin, elle se dit que les choses ne vont pas changer. « Il n’y a pas d’autres solution, soyons réalistes. Mais on est inquiets et paradoxalement, on aurait aimé que le reconfinement soit plus dur parce que là, vu comme c’est parti, tout va exploser d’un coup. On parle de reconfinement mais ce n’est pas du tout ça. Les gens vont travailler, les lycéens vont en cours, etc. Et puis, dans les transports en commun, les cours de récréation, et les entreprises: qui peut me certifier que le port du masque est parfaitement respecté et que tout est désinfecté en permanence? Je ne vois pas bien la logique derrière ce reconfinement. Il aurait mieux valu faire un couvre-feu puisque c’est dans les moments de convivialité que les masques tombent… »

Ce qui la réconforte au quotidien? « Des petites choses qui comptent beaucoup. Des messages d’encouragement, la présence de nos proches, des amis soignants et non-soignants. Et puis des patients qui prennent soin des soignants: c’est le graal. Leur reconnaissance, ça vaut tout », me confie Caroline. « Oh et les journalistes, comme toi, qui nous donnent la parole. C’est mieux de nous donner la parole que de nous applaudir. Dis-leur à tes lecteurs qu’on est fatigués mais qu’on tient pour eux, et pour nous. Prenez soin de nous pour prendre soin de vous. Chaque geste barrière compte. »

* Le prénom a été modifié

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