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Reconfinement : Marseille au temps de la prohibition

Plus belle la vie derrière les rideaux tirés.

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On le voit un peu partout en France, ce nouveau confinement n’a pas le même effet que le premier. Il y a beaucoup moins de télétravail, les écoles, collèges et lycées sont ouverts, les promeneurs peuvent aller dans les parcs… Bref, ce n’est pas comme au printemps dernier. Maintenant, ajoutez à cette relative restriction le rejet des mesures gouvernementales, une situation de crise absolue pour les commerçants et le caractère rebelle des Marseillais. Résultat : de nombreux commerces fermés administrativement prennent le risque d’ouvrir malgré tout. Et les clients sont au rendez-vous.

En mars dernier, j’avais été surpris par la fermeture des salons de coiffure. La confinement m’avait alors poussé à arborer une masse capillaire tout à fait inhabituelle. Même si j’avais fini par m’habituer à cette touffe sur mon crâne, je ne voulais pas vraiment revivre cette situation. La veille du nouveau confinement, j’ai donc voulu aller me faire couper les cheveux. Et bien évidemment, tous les coiffeurs étaient complets pour ce dernier jour… Jusqu’à ce que l’un d’entre eux me dise : « Prends mon numéro et appelle-moi demain ou après-demain, je vais peut-être ouvrir. »

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« Venez, mais pas de carte bleue »

Vendredi 30 octobre, premier jour de confinement, j’appelle le numéro en question. « Non on est fermés, rappelle-moi demain. » Samedi matin, rebelote. « Je ne sais pas encore si je vais ouvrir… T’es pas loin ? Je te tiens au courant. » Peu après midi, je reçois un texto : « Venez, mais pas de carte bleue. » Moins de 10 minutes plus tard, je remplis une attestation et je me rends devant le salon qui est fermé de prime abord. J’envoie un texto pour signaler ma présence. Deux minutes plus tard, le rideau s’ouvre à moitié, je m’engouffre dans le salon et je m’installe pour ma coupe.

Le coiffeur est dépité d’en arriver à ça, mais il n’a pas vraiment le choix étant donné que l’aide gouvernementale n’est pas suffisante pour s’en sortir. Et dans le quartier, il n’est pas le seul à coiffer ses clients les rideaux tirés. Les “bonnes adresses” tournent et les habitués n’hésitent pas à appeler leur prestataire habituel pour prendre rendez-vous. Une seule consigne : ne pas trop traîner devant le salon et payer en liquide pour éviter toute traçabilité des transactions. Bonus non négligeables : le lieu est vide, il n’y a pas de file d’attente, pas de musique à fond et aucune distraction. Du coup, ma coupe était très réussie.

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« De toute façon, on est mort ! »

Les coiffeurs ne sont pas les seuls à défier la loi. Je travaille souvent au restaurant de mes parents et j’avoue que j’ai été tenté de braver la loi. Installer les clients à l’étage, à l’abri des regards. D’ailleurs lorsqu’on a dû fermer une semaine avant le couvre-feu, plusieurs clients ont tenté le coup en me demandant si c’était possible de manger sur place dans un coin reculé. Mais le risque de fermer administrativement est trop gros étant donné que l’on arrive plus ou moins à s’en sortir avec la vente à emporter et les livraisons.

Mais d’autres restaurants ont décidé de jouer les rebelles. Le Figaro parle même de “cantines clandestines” qui officient même dans les quartiers bourgeois du sud de la ville. La recette est la même : des salles qui s’animent derrière les rideaux et des habitués comme clientèle de confiance. De toute façon, les restaurateurs n’ont rien à perdre . « On risque la fermeture administrative ? Mais si on reste fermé pendant ce deuxième confinement, de toute façon on est mort ! », témoigne l’un d’entre eux au quotidien.

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« Juste, traine pas trop dehors »

En se baladant en ville, on peut voir ici et là des clients prendre un café discrètement au fond d’une boulangerie ou une bière derrière les rideaux tirés d’un bar PMU. Les Marseillais supportent de moins en moins le confinement et semblent avoir besoin de se retrouver. Dimanche 1er novembre, je reçois l’appel d’un ami qui me propose de regarder un match de foot dans un café-chicha où l’on se retrouve habituellement. « T’inquiètes, on va se caler dans la salle tout au fond. Juste, traine pas trop dehors. »

J’arrive sur place, je tire la table qui bloque officiellement l’entrée pour la vente à emporter et je file tout au fond de l’établissement. Sur place, je retrouve mon collègue (c’est comme ça qu’on dit “ami” à Marseille) et un autre habitué. Tout se passe comme d’habitude, sauf qu’il y a comme une petite excitation de se dire que nous sommes dans l’illégalité dans ce moment tout à fait banal.

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Une ambiance de rébellion qui avait d’ailleurs été encouragée par la municipalité avant le confinement quand, fin septembre, la deuxième adjointe avait annoncé que la police municipale ne verbalisera pas les restaurants et les bars forcés à fermer avant le couvre-feu. En espérant que la situation actuelle ne dure pas aussi longtemps que la prohibition américaine.