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On ne cesse de voir fleurir sur nos feeds Facebook et autres Instagram des articles mettant les parents en garde contre les dangers que représentent les écrans pour leurs enfants.
Comportements addictifs, retard de langage et de développement en général, surpoids, risque pédocriminel, exposition précoce à la pornographie, et j’en passe…
On parle aussi beaucoup de l’anxiété, du syndrome FoMO et des symptômes dépressifs corrélés chez les adolescents à l’exposition aux réseaux sociaux et aux vies photoshopées qu’ils promeuvent.
Mais on dirait que personne ne s’inquiète pour nos vieux.
Peut-être parce qu’on ne voit pas en eux les bâtisseurs du monde de demain?
Pourtant, ils représentent une part non négligeable de nos sociétés post-baby boom, ont une grande influence sur notre économie et constitue un électorat au poids politique certain.
Surtout, ils ont du temps. En masse. Et sont puissants, qu’on le veuille ou non.
Disons-le franchement, très nombreux sont les plus de 65 ans qui passent leur retraite à surfer sur les internets, y retrouvant les joies du café du coin, sans la pénibilité de descendre les escaliers pour affronter la énième canicule de l’été et le COVID, par-dessus le marché.
«Ma grand-mère est une femme cool et intelligente dans la vraie vie. Sur les réseaux elle est juste hyper gênante.»
Si leur attitude en ligne est déjà bien souvent sujette à raillerie et a même donné lieu à une insulte parfois teintée de mauvaise foi (Ok, Boomer.), personne ne semble voir dans ce manque souvent cruel de nétiquette, le symptôme d’un mal profond qui mélange joyeusement plusieurs facteurs :
- -le temps libre, inhérent à la retraite, et l’ennui, amplifiés par la solitude
-le manque de compétences technologiques
-l’aigreur et/ou la nostalgie du monde d’avant
-l’absence de discernement ainsi que tous les dysfonctionnements cognitifs liés à l’âge
A titre personnel, je m’inquiète pour eux autant qu’ils me font parfois vraiment honte. Ne le niez pas, on a tous a minima un parent ou un oncle que l’on respectait profondément jusqu’au jour où ce dernier a posté un truc franchement borderline, a commencé à nous envoyer des chaînes à la con, à liker ses propres publications ou à commenter à qui mieux mieux TOUTES les nôtres. Alors que je cherchais des témoignages sur ce fléau auprès de mes collègues, l’un d’eux m’a ainsi confié: «Ma grand-mère est une femme cool et intelligente dans la vraie vie. Sur les réseaux elle est juste hyper gênante.»
Plus ils vieillissent, plus les symptômes de leur décalage avec les outils qu’on leur confie semblent s’amplifier. Et de la même manière qu’on a parfois envie de confisquer les clefs de bagnole de Papi pour sa propre sécurité et celle des autres, on a souvent envie de changer discrètement le mot de passe de Wifi de Mamie afin de la protéger d’elle-même. Car, en plus de polluer nos fils d’actualité, on dirait bien que le temps qu’ils passent online a pour corollaire direct de les précipiter dans la sénilité ou dans ce qu’il est convenu d’appeler la catégorie… des vieux cons.
De la même manière que la surexposition aux écrans retarde le développement des têtes blondes, on a parfois l’impression qu’elle accélère la déchéance des têtes blanches.
J’ai plusieurs archétypes en tête…
L’Agressif.ve.
Celui-ci exprime son indignation de manière véhémente et jouit de se lancer dans des joutes rhétoriques avec tout un tas de gens auxquels il n’aurait jamais parlé IRL. Il s’inscrit volontairement sur toutes les pages et groupes véhiculant des idées opposées aux siennes afin de venir débusquer ses victimes dans leur propre tanière. Polémiste compulsif, gonflé à la mauvaise foi, quand vous lui suggérez qu’un peu de douceur et de bienveillance ne ferait pas de mal à son argumentation, il s’attaque directement à votre niveau d’orthographe et coupe court à tout débat constructif. Quand il s’agit de votre propre mère et que vous lui glissez que personne n’a jamais fait changé d’avis quiconque grâce à un commentaire Facebook, elle esquisse un sourire et la vérité vient vous frapper en plein visage: la personne qui vous a mise au monde, et a fait de vous l’adulte que vous êtes devenu.e, est… un troll.
Le Perv’
Dans la famille Malaise je demande le père, ou le tonton.
Un jour, 8 ans après tout le monde, il découvre Insta mais passe à côté de ses subtilités. Ainsi, au vu et au su de tous ses contacts, y compris vous donc, il s’adonne au like compulsif et aux commentaires inappropriés de tous les (faux) comptes spécialement pensés pour lui. On parle de bimbo dans le meilleur des cas, de nymphettes ou de vos amies et collègues, dans le pire. Un jour, tel un chevalier blanc gonflé d’empathie et de gêne, vous lui écrivez en privé pour lui suggérer de se méfier des cybercriminels qui repèrent les vieux libidineux dans son genre à des kilomètres à la ronde pour les faire chanter après leur avoir fait produire les preuves les plus avilissantes de leur luxure. Vous en profitez pour lui dire que tous ses contacts voient ce qu’il like et lui indiquer comment supprimer ses commentaires. Dans votre for intérieur, vous vous demandez avec tristesse comment il peut passer autant de temps en ligne tout en n’ayant aucune idée de ce que le monde post-me too devrait induire comme remise en question chez lui.
Le Candide
Celui-ci ne fait de mal à personne à part à lui-même. Il répond avec enthousiasme à tous les courriels de fishing qu’il reçoit. Il donne son numéro de CB et son cryptogramme à toute personne se présentant comme un représentant du gouvernement. S’il a créé sept profils Facebook (dont la PP est systématiquement lugubre et prise en contre-plongée) ce n’est pas qu’il est un scammer, mais bien parce qu’il oublie toujours son mot de passe, ne sait évidemment pas comment surmonter cet obstacle et qu’il utilise le réseau social, tantôt sur son Ipad, tantôt sur son ordinateur, tantôt sur son gros smartphone.
Bien qu’il vive à Quimperlé et réunisse environ 58 contacts, il relaie quotidiennement des annonces de chats perdus… dans toute la France, DOM-TOM compris. A l’occasion, il se retrouve victime d’usurpation d’identité, de vols, ou de mariage blanc avec une personne de 25 ans de moins qui lui avait promis son éternel amour.
Vous êtes justement en train d’entamer des démarches de mise sous tutelle et regrettait le temps où le même vieux se serait contenté de dilapider ses sous et votre héritage au casino.
Le Nostalgique
Celui-là passe son temps à exprimer son regret du “bon vieux temps”. Qu’il s’agisse “des jeunes d’aujourd’hui” et de leur éducation laxiste, des femmes d’aujourd’hui (pire, des féministes), des LGBTQ+ qui n’existaient pas de leur temps (mais bien sûr), de l’écriture inclusive, de l’immigration, des hommes qui ne sont plus ce qu’ils étaient (pas une grande perte, si vous voulez mon avis) et de tout ce qu’on n’a plus le droit de dire… ils ont toujours leur mot à dire.
Ce qui est étonnant avec eux, et limite attendrissant, c’est qu’ils ne semblent pas s’apercevoir qu’ils sont complètement gangrénés par toute la modernité qu’ils adorent détester, addicts qu’ils sont aux nouvelles technologies et aux réseaux sociaux qui corrompent la jeunesse. Ils semblent aussi ne pas s’apercevoir que si l’on ne peut plus rien dire, ils ont pourtant la langue bien pendue et le clavier au bord de la surchauffe. Enfin, ils incarnent à leur corps défendant un triste cliché qui veut que l’esprit se referme à mesure que le front se dégarnit.
L’Artiste
Celui-ci, somme toute très sympathique, est un ancien geek qui a embrassé les nouvelles technologies de tout son être. Il a investi dans du matériel très cher en étant mal conseillé et il inonde Youtube de vidéos psychédéliques qu’il a tournées à l’aide d’un fond vert. Si, dans sa jeunesse, il était passé à côté de l’essor de la musique électronique, il a développé une passion nouvelle pour Garage Band et créé ses propres morceaux qu’on pourrait, le plus souvent, qualifier d’”étonnants”. Très souvent, il sollicite vos avis et commentaires sur ses productions originales et cela vous emplit d’un grand malaise mêlé de tristesse. Vous lui dites que c’est “très chouette” et vous avez honte de votre lâcheté. Peu de temps après, sur un malentendu, son œuvre devient culte sur les réseaux, est reprise par des jeunes sur TikTok et il accède à la gloire.
Notons que nos vieux sont souvent des cumulards et que cette liste n’est pas exhaustive: il manque l’humoriste qui partage à longueur de journée des memes pas drôles du tout ou carrément malaisants, le complotiste, qui vous demande de faire circuler RAPIDEMENT des articles relayant des fake news ou encore celui qui vous envoie quotidiennement en MP des vidéos qui manquent totalement leur cible, c’est à dire vous.
Si, bien heureusement, ce fléau ne touche pas tous les plus de 65 ans, ce bref panorama nous donne une idée du danger de la surexposition aux écrans chez nos parents et grands-parents: perte de dignité, radicalisation, isolement accentué et risque d’être victimes d’arnaques en tous genres.
Mais alors, que faire pour les aider?
Nous, la société entière, avons une responsabilité envers nos aînés et ne pouvons les laisser seuls face à ces dangers. D’autant plus qu’ils conservent leur droit de vote à moins d’une démence avérée.
Alors voici quelques pistes pour prévenir les excès d’écrans chez les retraités:
- les faire sortir de chez eux, dans la mesure de leur capacité. Cinéma, musée, salon de thé, parc, tout est bon pour les reconnecter à la vie IRL.
- leur rendre visite physiquement et les toucher (oui oui: un bisou, un câlin, un regard franc, tout cela fait secréter de l’ocytocine et j’en suis convaincue, évite d’aigrir trop vite.) A minima, leur téléphoner.
- prendre un peu de temps pour leur faire un petit cours pour qu’ils sachent repérer les fake news, les tentatives de hameçonnage, et qu’ils comprennent le fonctionnement des réseaux sociaux et ce qu’il est approprié d’y faire, ou pas. Même si c’est gênant, sensibilisez-les aux escroqueries amoureuses et au catfishing.
Bref, comme pour les petits, la clef c’est la bienveillance, le respect, l’amour et de leur consacrer du temps de qualité.