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« Sang honte » : pour en finir avec le tabou des règles

Rencontre avec Bettina Zourli dont l'ouvrage sort ce 19 mai.

Par
Héloïse Crémoux
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On n’a (presque) plus besoin de présenter Bettina Zourli. Ses domaines de prédilection : le féminisme, l’écologie et les sexualités. Après le succès de son premier livre, Childfree – Je ne veux pas d’enfant, elle vient de sortir Sang honte, un guide très complet qui propose de « nouvelles règles » sur les menstruations. L’ouvrage, qui s’adresse à toute personne menstruée sans distinction de genre, adopte une écriture inclusive pour que tout le monde s’y retrouve. Rencontre avec l’autrice qui « aurait bien aimé lire [ce livre] quand [elle] était jeune ».

Pourquoi as-tu voulu publier un livre sur les menstruations ? Pourquoi ce sujet te tenait à coeur ?

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Depuis que j’ai lancé mon compte Instagram, j’ai réalisé qu’il y avait beaucoup de honte et de gêne, de la part des personnes qui me suivent, d’être différent.e dans ses choix de vie, dans sa sexualité, dans son corps, etc. Et depuis un an, je fais aussi des conférences avec une amie sexologue sur les protections périodiques. On est parties du principe qu’elle avait l’expérience médicale, et moi l’expérience pratique : j’ai donc testé toutes les protections périodiques existantes sur le marché ! On a mêlé ces deux forces pour en parler, et on a eu beaucoup de succès. C’est comme ça que je me suis dit que ce serait intéressant de publier un livre sur les menstruations : j’ai beaucoup lu sur le sujet, mais c’est important de multiplier les sources, et les publications. Pour l’instant, ça reste un sujet encore très méconnu ! Pendant la préparation du livre, toutes les personnes qui l’ont lu, quel que soit leur âge, m’ont dit qu’elles avaient appris des choses. Donc j’ai voulu briser le tabou des règles en rédigeant ce livre, et créer un guide hyper complet, qui apporte des pistes de réflexion sur tous les sujets.

J’ai vraiment mis dans ce livre tout ce que j’aurais aimé savoir pendant mon adolescence, dès que j’ai commencé à avoir mes règles. Finalement, il sera utile pour les personnes de tous les âges.

Au début du livre, tu soulignes le fait que tu ne veux pas utiliser le terme « protections hygiéniques », et tu emploies « protections périodiques » à la place. Peux-tu expliquer ce choix ?

Il y a à peu près 3 ans, j’ai lu un texte sur les menstruations, et c’était tellement tourné autour du côté soi-disant « sale » des règles, que j’ai commencé à faire le lien avec le terme employé : « protections hygiéniques ». Les règles c’est normal, et ce n’est pas lié à l’hygiène ! Quand tu dis à quelqu’un qui a ses règles tous les mois depuis quarante ans, que c’est quelque chose de sale, ça ne permet pas d’améliorer sa confiance en soi. Donc j’ai décidé de ne plus utiliser ce terme.

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Ton premier chapitre aborde le fait d’apprendre à se connaître avant toute chose, et notamment de pratiquer l’auto-observation, qui consiste à regarder son vagin dans un miroir. Peux-tu nous en dire plus ?

Comme je l’écris, les personnes qui possèdent un pénis sont très habituées à l’observer dès la naissance : le pénis étant un organe externe, il est visible facilement, ce qui facilite cette connaissance de celui-ci par celles et ceux qui en ont un. On observe que dès le plus jeune âge, il arrive aux petits garçons de le toucher, de jouer avec. On ne verra jamais cela du côté des filles.

La vulve a cette image d’être une sorte de tabou : puisqu’elle n’est pas visible de l’extérieur de l’entre-jambes, alors, dans la pensée collective, c’est qu’il y a une raison. Ça n’encourage donc pas les personnes qui ont une vulve à se connaître et à prendre la responsabilité de découvrir son propre corps. Pour beaucoup de personnes encore, l’idée que chaque vulve est différente du fait de la taille des lèvres, de la forme du clitoris, etc, leur est totalement inconnue. Personnellement, je l’ai appris super tard !

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Ça me dépasse qu’on en sache si peu sur les vagins alors qu’on sait très bien que tous les pénis sont différents.

Voilà pourquoi j’ai voulu en parler de l’importance de l’auto-observation, et de l’existence d’ateliers qui accompagnent les personnes pour le faire. J’ai une amie qui a une entreprise de sextoys, et qui vend aussi de petits miroirs pour pouvoir s’observer. C’est tout con, mais c’est important, et ça peut engendrer de nouvelles idées.

Tu évoques le fait que les croyances vis-à-vis des règles seraient la raison historique pour laquelle les femmes sont assignées à certaines tâches, professionnelles comme domestiques. Ce serait aussi pour cette raison que de nombreuses femmes ne se sentent pas capables biologiquement d’accomplir certaines tâches, traditionnellement réservées aux hommes.

D’un point de vue plus global, dans les sociétés occidentales comme la nôtre, la religion nous rabâche depuis deux mille ans qu’on est impures, que pendant sept jours on ne doit toucher personne, qu’on ne peut pas se rendre dans les lieux de cultes parce qu’on serait « indignes » pendant nos menstruations, etc. Même si maintenant on est a priori une république laïque, on a vécu pendant un peu moins de deux mille ans en tant que chrétiens catholiques. Donc forcément, quand pendant tout ce temps, des milliards d’êtres humains ont lu ces modes de pensées là, ces croyances restent ancrées et sont transmises de génération en génération. Il est donc évident que cela participe au sexisme ambiant de nos sociétés actuelles.

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Par conséquent, ces croyances ont également été un outil très efficace pour établir la division sexuée des tâches et du travail. On nous a réduit.e.s à notre état biologique et à notre faiblesse biologique, parce que les règles ont toujours été perçues comme une faiblesse, alors, que, de l’autre côté, la maternité est totalement sacralisée. Je pense que tout est fait pour qu’on perde, qu’on ne prenne pas confiance en nous, et donc qu’on ne se rebelle pas contre ce système qui est complètement injuste.

Comment as-tu découvert les phénomènes directement liés aux règles tels que le syndrome prémenstruel (SPM), ou encore le syndrome des ovaires polykystiques ?

C’est très simple : j’ai découvert ces syndromes quand j’ai arrêté de prendre une contraception hormonale. J’ai été mise sous pilule quand j’avais 13 ans, et je l’ai arrêtée à 25 ans. J’avais commencé à avoir mes premières règles deux mois avant de prendre la pilule, donc je n’avais aucune connaissance des cycles menstruels, des fluctuations hormonales, je n’avais aucune idée de ce que les règles faisaient à mon corps. Et quand j’ai arrêté ma contraception, je me suis rendue compte qu’effectivement, une semaine avant mes règles, c’était un petit peu le bazar : j’avais non seulement des douleurs physiques, mais aussi de forts désagréments au niveau de l’humeur. Je me suis alors renseignée sur ce qui m’arrivait, et j’ai commencé à comprendre qu’il y avait des fluctuations hormonales, que ça arrivait, mais aussi que les douleurs physiques liées aux règles n’étaient pas normales.

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Concernant le syndrome des ovaires polykystiques, j’en ai entendu parler parce que j’ai une amie qui en souffre, et pareil pour l’endométriose. Ce sont des sujets dont on commence à parler de plus en plus, et en me renseignant auprès d’associations telles qu’Endofrance, il y a beaucoup de personnes qui en souffrent, plus qu’on ne pense. On nous a dit pendant des décennies que c’était normal d’avoir mal pendant nos règles, et c’était encore une autre manière d’invisibiliser ces maladies. On dit que 10% des personnes menstruées en France seraient atteintes d’endométriose, mais je suis prête à mettre ma main à couper que c’est en réalité beaucoup plus.

Personnellement, j’ai une suspicion d’endométriose depuis des années, mais j’ai beau faire des examens en tout genre, rien ne le montre, alors que j’ai tous les symptômes ! Mais parce que le médecin qui me prend en charge n’est pas spécialiste de cette maladie, je ne parviens pas à obtenir un diagnostic.

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Pourrais-tu revenir sur le lien entre la ménopause et le personnage de la sorcière ? J’ai trouvé ça fascinant…

Dans l’imaginaire collectif, par exemple, dans les représentations au cinéma, la sorcière est toujours une vieille femme très laide, avec des cheveux blancs, très colérique, méchante. Cela contribue à perpétuer le stéréotype de la femme âgée, qui serait une personne très acariâtre, peu sympathique, et qui en veut aux femmes plus jeunes qui sont plus jolies, dans la fleur de l’âge.

Dans l’histoire, les femmes qui étaient considérées comme des sorcières étaient des femmes indépendantes (célibataires ou veuves). C’était donc beaucoup plus facile de dire d’une femme qu’elle était une sorcière parce qu’elle ne dépendait pas d’un homme.

Encore aujourd’hui, quand on est à la période de la ménopause, on dirait qu’on disparaît de la société. Parce qu’on n’a plus la capacité d’enfanter, notre rôle organique sociétal biologique obligatoire n’est plus d’actualité, et donc on ne sert plus à rien. On va donc créer une image très fantasmagorique et très négative des personnes ménopausées.

Qu’en est-il des hommes et de l’âge ?

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À l’inverse, les hommes, eux, ont cette image de se « bonifier » avec l’âge : quand on regarde du côté des célébrités, les hommes de plus de cinquante, soixante ans qui sont avec de jeunes femmes et qui ont des enfants sont légion. C’est comme si c’était une manière pour eux de se prouver qu’ils restent dans la jeunesse et ont encore la vigueur sexuelle d’avoir des enfants. Mais ils sont obligés de se mettre avec des femmes plus jeunes parce que les femmes de leur âge, « les pauvres », sont ménopausées.

Dans ton livre, tu évoques aussi le fait qu’aujourd’hui, dans la société capitaliste dans laquelle nous vivons, nous ne sommes plus connecté.e.s avec notre corps. Comment cela s’est-il produit, à ton avis ?

Avec la contraception hormonale (la plus utilisée en Occident), on n’est plus du tout connecté.e.s à notre rythme et à nos cycles menstruels. Je le relie complètement à cette perte de connexion à nos corps. On a ce besoin de productivité qui doit être constante chaque jour, donc on ne peut plus être relié.e à notre nature humaine, qui rappelle qu’on ne peut pas être au top de notre forme mentale et physique tout le temps, et il devrait être primordial d’écouter son cycle. Cela vaut également pour le cycle masculin, que j’évoque dans le livre, dont personne ne parle, mais qui existe bel et bien. Même s’il n’est pas aussi contraignant que le cycle féminin. Ce serait donc bon pour tout le monde de réapprendre à vivre plus en harmonie avec son corps.

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La contraception hormonale est, pour moi, très symbolique de ce désir de tout masquer, de mettre ton corps sur mute. On nous « déshabite » de notre corps.

Quelles sont les pistes de solutions que tu as pu trouver pour pallier à ce « problème » ?

Peu en vérité, car nous vivons toujours dans une société ultra sexiste et misogyne. Il y a eu des améliorations, comme le congé menstruel mis en place dans beaucoup d’entreprises. Mais j’ai peur que cela se retourne contre la cause féministe, parce que justement cela permettrait de « confirmer » le fait que les personnes menstruées ne peuvent pas assurer une productivité et un rythme aussi important que les hommes cisgenres.

Le fait de politiser la cause féministe et de l’inscrire dans les débats sociétaux permettra, je l’espère, de faire comprendre à tous.tes que la cause féministe concerne tout le monde, et qu’elle est là pour avantager, améliorer la considération tous les genres pour mieux vivre ensemble.

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