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Thérèse est une artiste engagée qui défend un féminisme inclusif., comme on l’a déjà évoqué ici. À travers son art, elle dénonce le racisme anti asiatique dont elle est témoin et victime, surtout depuis la pandémie. On a décidé de lui laisser la parole pour qu’elle nous raconte comment, de son point de vue de personne « asiatiquetée », les choses devraient évoluer.
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S’il y a bien une chose que la pandémie aura permis de confirmer en France, c’est l’existence du racisme anti-asiatique. Avant de voir qu’en France, des Asiatiques se faisaient tabasser gratuitement dans la rue, personne ne nous prenait vraiment au sérieux. Aujourd’hui, bien que le sujet soit encore très peu traité, je dois admettre qu’il commence à s’immiscer timidement dans le paysage médiatique. Comme je le fais actuellement ici, sur URBANIA France.
Je suis Française d’origine sino-lao-viet. J’ai grandi dans les années 90 entre la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne où j’avais l’impression que le contexte social était plus favorable aux mélanges culturels. En dehors d’une crise identitaire liée en grande partie au manque de représentativité dans ce pays, je me suis toujours sentie française et intégrée. Mais j’ai toujours eu le droit, plus jeune, à des moqueries qu’on qualifierait aujourd’hui de « racisme ordinaire ». Ceci dit, pas plus que mes camarades noir.e.s, arabes, blond.e.s, gros.se.s, grand.e.s, etc. On était gamins : ça faisait partie du « jeu ». Mais c’est vrai que les remarques envers les personnes asiatiqueté.e.s (perçues comme asiatiques) étaient plus souvent prises à la légère, pour de multiples raisons qu’on rangera dans la catégorie de clichés qu’on appelle « positifs », mais qui malheureusement causent du tort.
Si j’ai passé les années de ma vingtaine à prôner les valeurs d’universalisme et les bienfaits de la République, j’ai été forcée de constater que le vent avait tourné ces dernières années vis-à-vis des communautés asiatiques en France.
L’arrivée de la Covid-19 a suscité une méfiance irrationnelle vis-à-vis des populations asiatiques (entendre « Asie de l’Est et du Sud-Est ») qu’on met toutes dans le même sac. Si le sentiment de peur et le principe de précaution sont humains et compréhensibles, la bêtise n’est en revanche plus du tout acceptable. Des préjugés sur les personnes qu’on assimile à des « Chinois » (« ils bouffent n’importe quoi ») aux atroces appels à la violence survenus lors de l’annonce du second confinement (appels à « tabasser tous les Chinois »), c’est inadmissible.
Ce qui m’a le plus surprise depuis le mois de mars, ce n’est pas tant la violence choquante vis-à-vis des personnes issues de ces communautés (bien qu’elles m’affectent profondément), mais la méconnaissance stupéfiante de l’opinion publique sur ce sujet. Les morts de Zhang Chao Lin et celle de Liu Shao Yao qui avaient secoué les Français d’origines asiatiques, le rite de passage portant le nom de « se faire un Chinois », les multiples agressions gardées sous silence médiatique, n’ont visiblement pas marqué les esprits. Preuve en est que la majorité des Français « découvrent » ce racisme anti-asiatique comme s’il était tombé de la dernière pluie. Certains s’en indignent et le déplorent ; d’autres crient à la victimisation, certains sont dans le déni (« ce n’est pas ma France ») ; quand d’autres sont dans l’indifférence la plus totale.
Si les violences envers ces populations se renforcent dans un contexte de crise économique, sociale et sanitaire majeure (où les populations en détresse – ou non – font l’économie de la réflexion et cherchent un bouc émissaire), il faut quand même préciser que nous sommes victimes d’une cascade d’amalgames, dont les racines sont multiples. Une partie de ces racines viennent “d’en haut”, de nos dirigeants. Je daterais le début du phénomène à 2008, lorsque la Chine a fait sa démonstration de puissance (ou de propagande) avec les J.O de Pékin. Les puissances occidentales se sont mises à flipper (il n’est jamais confortable d’imaginer perdre son hégémonie). La Chine est donc devenue une potentielle menace au niveau géopolitique.
Cette peur est ensuite redescendue dans les médias, d’année en année et de façon plus ou moins consciente. À cela s’est ajoutée cette étiquette de « minorité modèle » collée par Nicolas Sarkozy à tou.te.s les asiatiques de France. En parallèle, on a assisté à la banalisation des clichés (dont certains sont dangereux) par des humoristes (comme Kev et Gad, pour ne citer qu’eux) aux heures de pointe de l’entertainment télévisuel. Voilà quelques clés qui permettent de comprendre comment ces idées se sont diluées dans le système au fil du temps et ont contribué à nourrir la naissance de la sinophobie (et par extension l’asiophobie) dans notre société.
Suite à ces nombreux amalgames, on se retrouve aujourd’hui face à cette équation : le gouvernement chinois = les Chinois de Chine = les Chinois du monde entier = les Asiatiques du monde entier = responsables de la Covid-19 et de la question ouïghours (entre autres). Cela peut vous paraître fou et absurde, mais ces idées sont réelles et se répandent à une vitesse folle. Je me retrouve donc souvent obligée de me justifier – en tant que Française sino-lao-viet – des politiques menées par Pékin (ex : les Ouïghours ou le coronavirus). Cela n’a strictement aucun sens ! Si un dirigeant blanc viole une femme, est-ce que cela signifie que tous les hommes blancs sont des violeurs ?… Dans quel monde vit-on ? Combien de morts faudra-t-il pour que nos gouvernants, la justice, les médias et nos concitoyens fassent de cette problématique la leur ?
Les personnes asiatiqueté.e.s de France sont inquiètes, en colère, tristes de voir ce voile xénophobe s’abattre sur eux. C’est ainsi que des associations, collectifs et initiatives individuelles se multiplient pour prendre la parole (ou l’arracher) dans le simple but de faire valoir leurs droits. Le droit à la sécurité certes, mais aussi simplement au respect. C’est une façon également de se réapproprier leur image et de rompre avec cette réputation de communauté homogène « qui ne fait pas de vague » et d’ouvrir la question de la convergence des luttes antiracistes.
En témoignent les actions plurielles et complémentaires de l’AJCF (Association des Jeunes Chinois de France), de la blogueuse et autrice Grace Ly ainsi que de la journaliste Linh-Lan Dao, du Collectif Asiatique Antiraciste, des comptes Décolonisons-Nous, Stop Asiaphobie et Sororasie, du MCVF (Mouvement des Citoyens Français d’origine Vietnamienne), des collectifs Vietnam Dioxyne, PAAF (PanAsiAFéministe), ou Sécurité Pour Tous, de mon projet musical Thérèse et d’autres que je m’excuse d’oublier.
La négation de l’existence de ce racisme systémique est à mon sens le plus gros frein à la redéfinition d’un universalisme version 2020. Tant que nous n’aurons pas le courage d’accepter cette réalité qui dérange, il nous sera difficile de rectifier le tir et de reconstruire. Il ne faudra alors pas s’étonner que certains mouvements antiracistes qui, à force de se heurter à ce mur gigantesque, finissent par se radicaliser, ralentissant d’autant plus la reconstruction d’une République moderne, à l’image des vrais visages de la France d’aujourd’hui.
D’ailleurs, le séparatisme ne gagne pas que les couleurs de peau. Il gagne les classes sociales (cf. gilets jaunes), il gagne la question des sexes (cf. féminismes) ou des orientations sexuelles (cf. luttes LGBTQ+), etc. Ce que je regrette aujourd’hui, c’est le repli que ces luttes, pourtant nécessaires, entraînent. J’ai le sentiment que, tou.te.s confortablement installé.e.s dans nos « safe places » qui ne sont autres qu’un entre soi, trop peu de gens cherchent à se mettre d’accord sur ce concept d’universalisme. Chose pourtant essentielle pour réécrire le nouveau pacte social qui nous manque pour construire demain.
Quand sortirons-nous de notre confort ? Quand aurons-nous la force nous battre contre notre propre individualisme exacerbé que ce capitalisme incontrôlé a enfanté ? Peut-être est-il temps de créer un mouvement qui soit plus « pour » quelque chose, constitué de notre plus petit dénominateur commun, que « anti » tout ? Peut-être est-il temps d’inscrire toutes ces problématiques dans un combat plus global, celui du « vivre ensemble » et d’en faire une priorité. Sans quoi, toutes ces batailles et ces gesticulations seront vaines.
Il va nous falloir patience, courage, recul, solidarité et amour dans cette épreuve collective. Nous avons tou.te.s notre rôle à jouer dans la recréation du commun, ne l’oublions pas. Ne cédons pas à la pression de division des groupes de population. Déconstruisons le phénomène. Offrons la possibilité à toutes nos luttes de converger vers un nouveau paradigme.