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Coronavirus : racisme anti-asiatique et paranoïa dans les rues de Paris
Dans le treizième arrondissement de Paris, où de nombreuses communautés asiatiques se sont installées depuis la fin de la colonisation de l’Indochine, l’heure est grave. La parade marquant l’entrée dans l’année du Rat de métal, prévue ce dimanche 2 février, a été annulée par les organisateurs « pour raison de sécurité ».
Cette fête du nouvel an lunaire attire chaque année des milliers de visiteurs et visiteuses dans le quartier de l’avenue d’Ivry et de Choisy, connu pour ses tours impressionnantes (pour Paris). Cette manifestation annuelle est pourtant très importante pour l’image et l’économie du plus vaste arrondissement de Paris. Depuis que le coronavirus a fait son entrée dans l’actualité internationale et qu’a été révélée la source du virus (un marché alimentaire), les restaurants et les traiteurs asiatiques ont été touchés par une forte chute de fréquentation.
Le déclenchement de cette vague de racisme anti-asiatique est le reflet de ce qui se trame en sous-main, depuis des dizaines d’années.
Pire encore, les personnes asiatiques rasent les murs dans la capitale. Effrayées par les insultes racistes et paranoïaques jetées à la volée dans les transports, dans la rue, dans les commerces voire dans les cours d’école. « Tout cela me touche personnellement, j’en viens même à me demander comment les gens réagiraient dans les espaces publics si je toussais », a témoigné une jeune femme, qui a souhaité rester anonyme. Elle a créé le hashtag #jenesuispasunvirus pour « contrer la puanteur raciste ambiante ». Interrogée par Le Figaro, une autre femme vivant à Paris (Thaïlandaise et souvent assimilée à une Chinoise) raconte faire « tout [son] possible pour qu’on ne pense pas que j’ai le virus, j’essaye d’être dynamique».
Le déclenchement de cette vague de racisme anti-asiatique est le reflet de ce qui se trame en sous-main, depuis des dizaines d’années. En 2016, le meurtre sauvage de Chaolin Zang, à Aubervilliers, avait montré le vrai visage d’un racisme latent, nourris de préjugés et bien ancré dans la société. Le choc de cette exécution n’avait pas empêché à beaucoup de biais racistes de perdurer : en 2017, dans la même ville, une comptine raciste avait été distribuée aux enfants de maternelle, racontant l’histoire de Chang le petit chinois en ces termes : “Chang est assis. Il mange du riz. Ses yeux sont petits. Riquiquis”.
On a demandé l’avis à deux témoins de ce racisme ordinaire
Julie Hamaïde est fondatrice du magazine Koï, qui offre depuis deux ans une belle place aux cultures et communautés asiatiques dans les kiosques de France et de Navarre (le numéro actuel porte sur le nouvel an lunaire, avec l’interview de l’ambassadeur de Chine sur les manifs à Hong Kong).
Urbania : Pourquoi le racisme anti-asiatique se porte-t-il si bien en France ?
Julie Hamaïde : La méfiance envers les personnes qui ont un visage asiatique existe dans le monde entier, même au Québec. En France, s’ajoute sans doute un certain sentiment de supériorité par rapport aux personnes asiatiques, qui vient de la longue colonisation française en Indochine (Vietnam, Laos, Cambodge). Il en reste l’idée que la personne asiatique est une petite main, un travailleur et rien d’autre.
Comment as-tu perçu la montée de racisme suite à l’actualité du Coronavirus ?
Dès les premiers jours, j’ai reçu des alertes, les réseaux sociaux affichaient des témoignages inquiétants, mais une partie de moi se disait que c’était les algorithmes…. jusqu’à ce qu’ils deviennent trop nombreux. Des personnes se font bousculer dans les transports, insulter dans la rue, une lectrice nous a dit que les enfants ne veulent plus jouer avec sa fille dans la cour de récré… on est dans la bêtise pure, mais qui fait des dégâts.
Penses-tu que les médias ont leur part de responsabilité ?
D’habitude, en cette période de l’année, nous sommes invité.e.s à parler en plateau du nouvel an lunaire… Si j’ai créé ce magazine c’était justement pour que nos cultures aient une tribune, pour que tout le monde s’y intéresse (45% du lectorat ne s’identifie d’ailleurs pas comme de culture asiatique). Et là nous sommes bombardés de messages pour parler du coronavirus et la panique créé un mauvais traitement journalistique qui peut dégénérer en racisme… Je suis contente d’avoir la parole pour nous défendre, mais j’ai peur que ça ne dure pas.
Même si je m’y attendais un peu, je ne pensais pas que l’humanité était aussi conne.
Linh-Lan Dao est journaliste à France Info. Elle a plusieurs fois condamné le racisme anti asiatique en France et a rapidement réagit à l’actualité : elle a même signé une petite vidéo dans le média Konbini.
Urbania : As-tu été surprise du flot d’attaques xénophobes qui ont suivi les révélations sur le coronavirus ?
Linh-Lan Dao : Même si je m’y attendais un peu, je ne pensais pas que l’humanité était aussi conne. Je suis surprise, je n’imaginais pas que les gens auraient aussi peu honte : quand tu as peur de quelqu’un sans autre raison que pour sa couleur de peau, tu te caches non ? Ma meilleure amie, elle revenait chez elle et une voiture pleine de garçons s’est arrêtée pour lui dire « sale chinoise tu as le virus »… Ça fait peur. Pire : je ne m’attendais surtout pas à cela de la part de mes confrères. Quand le Courrier Picard a titré « Alerte Jaune » pour parler de l’épidémie, j’y ai vu une incitation au racisme. Surtout c’est l’utilisation d’un terme arriéré qui remonte au XIXème siècle, pour qualifier cette paranoïa qui persiste, sur les Asiatiques qui prendrait le contrôle du monde. C’était fou qu’une peur comme celle-ci naisse dans une puissance coloniale.
C’est quelque chose qui touche spécifiquement les personnes asiatiques ?
Non justement, et je suis blasée car d’un point de vue historique, l’épidémie est toujours utilisée pour agresser les minorités : les juifs au Moyen-Âge, les noirs avec Ebola… Ce qui est particulier avec nous, c’est que gens font un amalgame entre Chinois et Asiatiques, il existe une essentialisation très méprisante (« vous êtes tous les mêmes ») nourrie par des petites blagues tout sauf anodines. Ce qui est aussi particulier c’est qu’il existe des préjugés positifs. La France a un rapport ambigu à l’assimilation : elle demande aux gens d’ascendance étrangère de dissoudre leur identité dans le roman national, de ne pas faire de vague, de réclamations, et à ce jeu là on a beaucoup complimenté les communautés asiatiques pour leur discrétion. Mais il suffit d’un virus, d’un prétexte, pour que le racisme latent, portant par exemple sur le supposé manque d’hygiène des personnes asiatiques, ou des restaurants à raviolis, ressurgisse et s’exprime sans vergogne.
Est-ce que les choses vont changer, d’après toi ?
Je pense qu’il y a quand même du changement. Le tournant, ce fut en 2016 avec le meurtre de Chaolin Zang : les gens ont envahi la rue. La société a commencé à comprendre que le racisme ordinaire pouvait aller loin, c’était de l’ordre du choc qu’avait suscité l’assassinat d’Ilan Halimi en 2006. Par exemple, ça a permis d’importantes réactions aux sketches racistes de Kev Adams et Gad Elmaleh. Je pense qu’avec cette actualité sinistre, il y a une opportunité à saisir, aujourd’hui, pour que les choses changent.