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À la découverte de Thérèse

Montez le son.

Par
Barbara Paul-Foos
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Engagée et déterminée, c’est sans doute ce qui définit le mieux Thérèse. Chanteuse mais aussi styliste et activiste, elle s’impose dans le monde de la musique avec des morceaux rythmés de combats. Avec son premier clip T.O.X.I.C, elle exprime son besoin d’émancipation face aux relations toxiques. Avec son titre « Chinoise » , elle s’attaque à la violence et au racisme anti-asiatique. Prônant la liberté et particulièrement celle des femmes dans la société, Thérèse fait du bien. Si vous ne la connaissez pas encore, c’est normal : vous êtes au bon endroit.

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Tu as de multiples facettes, comment te décrirais-tu pour celles et ceux qui ne te connaissent pas ?

Je me définirais comme un carrefour social, c’est pas hyper glam, je sais (rires) ! Mais aujourd’hui c’est ce qui me représente le mieux, je suis à la croisée d’énormément de choses. Que ce soit entre l’Orient et l’Occident d’abord : je suis sino lao viet d’origine mais née en France alors à la maison on parle mandarin, laotien et français. De par mon passé, là où j’ai habité dans le 9.3 et 9.4, là où mes parents ont travaillé, je me suis retrouvée au centre d’un carrefour culturel.
Mes parents ont tenu des commerces d’alimentation plutôt afro, antillais et asiatiques donc j’ai baigné dans différentes cultures.

Après la banlieue, j’ai découvert la vie à Paris, un autre carrefour. Je suis aussi passée d’un milieu populaire à un milieu bourgeois, avec l’école de commerce que j’ai faite à Lyon. Après j’ai bossé en marketing chez Kenzo Parfums, carrément dans le luxe. J’ai côtoyé plein de personnes différentes, et ça continue. Après avoir lâché mon boulot il y a 5 ans, j’ai bossé dans un centre de réfugiés près de chez moi. Et après je me suis acoquinée avec le monde de la musique…

Quelle est ton histoire avec la musique, ton parcours ? Tes influences ?

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Mon père est musicien amateur, il joue de la batterie, de la guitare et il chante. On écoutait beaucoup de musique à la maison. J’ai absorbé tout ça, c’était surtout de la musique anglophone et asiatique, de la folk au rock. Mes parents n’ayant pas grandi ici, je n’ai pas eu Gainsbourg ou Piaf comme références, j’ai commencé à les écouter vers 18 ans seulement.

A mes 18 ans, j’avais déjà fait 8 ans de conservatoire avec le piano et le solfège, et de la chorale classique. Je chantais même des messes en latin : imaginez moi chanter ça ! (rires) Je n’en pouvais plus. Ça m’a formé l’oreille, appris à chanter dans un groupe, mais ça m’a fait me rendre compte que je préférais être soliste. J’ai chanté pour moi, de la soul comme Lauryn Hill ou du Rihanna. À Lyon, j’ai écrit mes premières chansons à jammer sur les quais. C’est à Paris que j’ai fait le plus d’impros dans des bars avec des potes et j’y ai rencontré Jonathan Granjon, avec qui j’ai créé le groupe La Vague.

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C’était une super expérience, on avait sorti 2 EP, le dernier fin 2019 mais avec le premier confinement, tout s’est arrêté. Et c’est là que le projet Thérèse est né. J’ai eu le temps de me poser, de réfléchir et de comprendre que je ne faisais pas la musique que j’avais envie de faire aujourd’hui. Petite anecdote : j’avais le logiciel de musique Ableton sur mon ordi depuis longtemps et j’ai toujours eu peur de m’y mettre. Je me suis dit qu’en l’ouvrant, j’allais me trouver nulle, syndrome de l’imposteur (rires). Je me suis amusée, j’ai fait découvrir ce que je faisais à un beatmaker du label de la Vague, on a bossé sur des sons pendant 10 jours. Le label m’a dit : « Si tu as les balls, tu sors un morceau en juillet ». On ne vit qu’une fois, j’ai rien à perdre donc je me suis lancée et T.O.X.I.C est sorti en juillet.

J’aime autant la musique classique que le rap ou le rock avec lesquels j’ai grandi. L’électro est arrivé après dans ma vie. La personne qui m’influence le plus ? M.I.A, déjà parce que c’est une nana, et qu’elle a réussi à mêler ses origines et la musique moderne d’une façon brillante. Elle est hyper sexy et impose le respect, elle montre qu’on peut être chanteuse ou modeuse sans être une potiche. Mais il y a aussi la scène des années 90 avec Radiohead, Massive Attack. Et la pop anglaise comme Dua Lipa. C’est des gens qui ont réussi à humer l’air du temps en amenant toujours autre chose à leur façon. J’écoute aussi du rap asiatique, comme Suboi. Le défi pour moi c’est de distiller tout ça et d’être une bonne passoire.

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Qu’est-ce qui t’inspire pour créer ? Des sujets révoltants ?

Le réel, la vie, ce qui me traverse. A une certaine période de ma vie, j’essayais de mettre ma différence en avant et là je suis plus en recherche d’universalité. Qu’est-ce qui est universel chez les êtres humains ? Aussi singulier que tu puisses être comme personne, on n’est jamais tout seul. Et plus tu arrives à t’exprimer, plus tu te rends compte qu’il y a plein de gens comme ça. Tout est compétition, on s’isole beaucoup. Mon objectif c’est de re-conscientiser la création du commun. C’est ça qui nous permet de vivre ensemble et de se respecter. L’idée que je défends le plus, c’est la liberté au sens de Jung (psychologue) avec le concept d’individuation. Il faut reconstruire sa propre vision du monde, ça me tient à cœur. On peut vivre correctement cette liberté si on respecte celle de l’autre.

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Tu as dit que le look est une manière de maîtriser l’attention que les gens ont sur toi, que dit ton look de toi aujourd’hui ?

Ma mère m’a récemment rappelé que mon rapport à la mode a toujours été là. Quand j’étais petite, j’aimais prendre les vêtements de mes parents, déguiser mon frère avec. J’ai suivi ma voie d’enfant en étant styliste. Mon look dit « Regarde comme je suis différente mais comme je te ressemble aussi ». J’ai beau avoir des cheveux bi-colores, j’adore montrer que l’habit ne fait pas le moine. La mode est une arme pour se battre contre les préjugés. Un jour, j’avais les cheveux bleus, mon anneau dans le nez et je suis allée dans une agence immobilière et la femme m’a vraiment prise de haut. En discutant, le rapport s’est inversé, elle s’est sentie bête de sa réaction. Je ne suis pas quelqu’un de violent mais je suis honnête, avec les autres et avec moi, et à travers mon look aussi.

Sur YouTube, tu abordes le thème du “self love” et de la confiance en soi, comme dans ton morceau T.O.X.I.C. Comment fais-tu pour avoir confiance en toi ?

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Pendant longtemps, je ne me suis pas aimée, j’ai appris à le faire. C’est un travail psychologique, physique et émotionnel. Prendre soin de soi et apprendre à s’aimer, c’est un acte poétique et politique. S’accepter entièrement permet d’accepter l’autre aussi plus simplement. C’est long, mais une fois que tu comprends les étapes, c’est agréable. La confiance en moi n’est jamais stable. J’ai beaucoup lu de philosophie, de psychologie. Je me suis intéressée au magnétisme, à l’astrologie, aux médecines parallèles plus proches de l’Orient. J’ai joué la passoire dans tout ça pour tirer des apprentissages. Les discussions avec n’importe qui m’aident beaucoup. Écouter activement, observer et apprendre à s’écouter soi permet d’avoir confiance. Je n’ai pas quitté la phase des « pourquoi, pourquoi ? », comme quand j’étais enfant en fait. (rires)

Il y a peu de figures asiatiques présentes médiatiquement, quelle est l’importance pour toi de défendre ce statut ?

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Quand j’étais ado, je n’avais pas conscience que d’avoir des modèles asiatiques pouvait être important. Sauf qu’en grandissant, je me suis rendu compte que j’avais fait une grosse crise identitaire. Je ne voulais pas qu’on m’assimile à une Asiatique. Je suis un bébé MTV, le fait de ne pas voir d’asiatiques voulait dire inconsciemment qu’ils n’étaient pas assez cools pour être à la télé. J’étais hyper flattée quand on me disait que je ressemblais à une métisse, mais c’est du métissage purement asiatique. C’est complètement fou de rejeter sa culture comme ça. Le problème n’est pas de devoir ou pouvoir s’identifier mais d’avoir le choix ou non de le faire. C’est important aussi pour casser les clichés (pas expressifs, super timides, personnalités introverties) de montrer des personnes asiatiques différentes. Quand on me réduit à une Chinoise, c’est comme si on confondait un Finlandais avec un Portuguais. C’est important d’éduquer les gens à ce sujet !

2020 ça t’a plutôt inspirée ou découragée ?

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L’ordre et le chaos, l’ombre et la lumière ne sont pas dissociables. Cette année a été aussi pourrie qu’elle a été géniale pour moi. Sans le confinement, je n’aurais jamais écrit ces chansons. Je crois beaucoup à l’équilibre, je suis bouddhiste de culture. C’est une année qui est plus extrême en amplitude mais qui est équilibrée. Je m’accroche au fait que ça puisse aller mieux. Les news me dépriment, un jour sur deux je ne suis pas bien évidemment mais je suis en vie, et c’est important de le retenir. J’ai faim de la suite !

Quels sont tes projets pour la suite ?

Le titre « Chinoise » est dispo le 10 décembre, puis le clip en début d’année prochaine. Et sinon, je fais partie du Top 10 du Prix Société Pernod Ricard France Live Music ! La finale n’a pas encore de date. Mais je vais m’inscrire aussi à d’autres tremplins, on verra si ça passe, ce serait cool.

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Mon EP sort en mars, pas loin de mon anniversaire. Ce sera un gros projet, il comportera 7 titres. On va chercher à développer l’international. En mai 2021, je pars aussi en Italie dans un camp d’écriture avec 6 autres artistes français pour Sony, je suis super excitée c’est la première fois ! Sinon, je continue le stylisme, je suis en freelance avec des musiciens, je cherche une identité visuelle pour eux, traduire leur musique en look. Et enfin, j’organise une série de tables rondes itinérantes début 2021 autour des artistes invisibilisés, photographes, musiciens, danseurs, etc. Le but est de décloisonner ce milieu.

Quelque chose à ajouter ?

J’aimerais dire aux gens d’utiliser leur énergie pour aimer plus et détester moins. Il ne faut pas oublier que pour vivre quelque part dans une société, il faut d’abord la construire, ensemble.

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