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Marche des Fiertés anti-raciste et anti-capitaliste à Paris : « Il est temps de se réapproprier notre pride »

Pour la première fois, une pride radicale a défilé de la place de l’Opéra à celle du Châtelet.

Par
Adéola Desnoyers
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Organisée ce dimanche à l’occasion de la journée mondiale des refugié.es, la marche se voulait plus inclusive et politique que celle de l’Inter-LGBT qui défilera le week-end prochain. Reportage.

En sortant des quelques boutiques qui encerclent la place de l’Opéra, les shoppeur.se.s du dimanche, sacs de courses au bras et lunettes de soleil sur le nez, paraissent déconcerté.e.s : autour d’eux, les pancartes à slogans et les drapeaux LGBTQI+ se dressent fièrement dans la moiteur de cette après-midi qui attend l’orage. « Ce n’est pas la semaine prochaine la Gay Pride ? » s’enquiert une passante étonnée, « pas la nôtre ! » lui répond une manifestante en replaçant le bandeau arc-en-ciel qu’elle a attaché dans son afro rose.

Des marches de l’Opéra, on peut voir la foule grossir à vue d’œil et la place prendre une allure de jour de fête pour cette première « Marche des Fiertés antiraciste et anticapitaliste » parisienne. Organisée par un rassemblement de collectifs et d’associations – Nta Rajel, QTPOC Autonomes, Requeer, le BAAM, Décolonisons le Féminisme, Maricolandia, CLE Autistes, Queer Education, Paris Queer Antifa…– cette « contre-pride » se veut d’un genre nouveau et en opposition à la marche du week-end suivant, gérée par l’inter-LGBT.

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Convergence des luttes, dancehall et paillettes

Dans leur appel à manifester, les organisateur.rices.s avaient déjà résumé les raisons de cette scission avec la Gay Pride officielle. « Nous, personnes Queer et LGBTIA+ racisé.e.s et allié.e.s, sommes révolté.e.s de l’instrumentalisation de nos luttes par l’État et les partis politiques (de droite comme de gauche) au profit d’une politique raciste, fasciste et coloniale. Nous sommes également déterminé.e.s à ne plus marcher avec l’Inter-LGBT et à ne plus leur laisser le monopole de la lutte. » Il est reproché, entre autres, à l’organisme interassociatif d’ouvrir la porte au pinkwashing – soit à la récupération de la lutte par des entreprises et des politiques – en leur concédant des places de chars ou des prises de paroles.

Ce dimanche, au départ de la marche, pas un sponsor en vue.

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Ce dimanche, au départ de la marche, pas un sponsor en vue. Seulement deux petites camionnettes Kiloutou, à peine visibles au milieu des milliers de manifestant.e.s. Mais au micro, les voix des organisateur.rices.s portent haut et fort les revendications de cette journée : lutte contre les répressions policières sur les personnes migrantes, racisées et LGBTQIA+, contre l’islamophobie, pour de meilleures conditions de travail des travailleur.se.s du sexe, pour les femmes trans incarcérées, pour la régularisation des sans-papiers, contre les thérapies de conversion, pour l’accès à la PMA… La liste est longue – et traduite en anglais, arabe, espagnol et langue des signes – mais les applaudissements de la foule redoublent d’intensité à chaque fin de prise de parole.

« C’est la première fois que je ressens vraiment que je suis le bienvenu à une marche et pas considéré comme un boulet. »

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Absorbé par les discours, Charlie, 32 ans, perruque blonde vissée sur le crâne, est venu avec ses ami.e.s, qui comme lui, souffrent d’un handicap auditif : « Lorsqu’on est issu d’une minorité, on considère souvent nos luttes comme annexes. Nos revendications en tant que personnes queer et handicapées ont autant d’importance que celles des autres. C’est la première fois que je ressens vraiment que je suis le bienvenu à une marche et pas considéré comme un boulet. »

Pour cette première édition, les organisateur.ice.s ont mis un point d’honneur à planifier un cortège inclusif et accessible. À la tête, la camionnette sono, gérée par les collectifs LGBTQIA+ et racisés lance le coup d’envoi en faisant cracher du dancehall par les enceintes : « les racisé.e.s devant, les blanc.he.s derrière ! », peut-on entendre par-dessus la musique. Pour Lucie, habituée des manifestations, c’est de bonne guerre : « l’invisibilisation des personnes racisées c’est toute l’année et ça ne choque personne. Alors moi qui suis blanche, je leur laisse le devant de la scène avec plaisir ! ». Chez d’autres manifestant.e.s, la décision est moins bien accueillie et des discussions s’engagent avec le staff pour négocier une place devant les baffles, sans succès.

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En seconde position, la banderole des collectifs de personnes migrantes et de leurs soutiens affiche un message en rose et bleu : « Amour, Gloire et Papiers, Queer smash borders. » Dans la mer de pancartes tenues à bout de bras, des slogans appellent à ouvrir les frontières et faire l’amour, plus que la guerre. Derrière eux, un groupe de batucada fait danser la suite de la manif, avant de laisser la place au cortège calme, principalement constitué d’organisations de personnes handicapées et neuroatypiques. En queue de comète, dans le cortège mixte, on chante sur du Britney Spears et du Beyoncé, suivi de près par une dizaine de fourgons de CRS.

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« On veut une marche indépendante et révoltée, pas un char Coca-Cola »

Sur le parcours, les passant.e.s s’arrêtent, hypnotisé.e.s par la vision de ce cortège coloré et déchainé. Aux fenêtres, on reprend en cœur les paroles de zouk scandées par la foule, trop heureuse de retrouver la rue après un an d’interdictions et de restrictions. « Je n’aurais manqué ça pour rien au monde ! », s’exclame Idriss en continuant de danser sur du Aya Nakamura, « la gay pride de l’inter est devenue ringarde, limite conservatrice. On veut une marche indépendante et révoltée, pas un char Coca-Cola. » À ses côtés, Sarah tient à rappeler qu’ils ne sont pas seulement venus pour faire la fête : « on est surtout là pour montrer qu’on existe en tant que minorités et re-politiser un événement qui avait perdu de sa saveur. Il est temps de se réapproprier la pride et de revenir à une lutte radicale. »

Preuve – s’il en fallait encore – que tout le monde est de la partie, des collectifs de colleur.se.s s’activent en bordure de la marche, tapissant le mobilier urbain de leurs lettres noires : « Je ne suis pas misandre, j’ai un ami homme », « non-binaire et fier.e », « chaque baiser lesbien est une révolution »… Sur la devanture d’une banque, un drapeau transgenre est hissé par un groupe de manifestant.e.s, en total look latex noir.

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Tout le monde est présent ou presque, hormis celles et ceux que les organisateur.rice.s ont clairement pointés du doigt comme n’étant pas les bienvenu.e.s : en particulier l’association LGBT+ d’Air France, Personn’Ailes – à qui il est reproché de fermer les yeux sur les expulsions de migrant.e.s via des vols de la compagnie – et celle de la Police, FLAG !, qui ne s’est jamais positionnée concernant les violences policières à l’encontre des personnes racisé.e.s, des travailleur.euse.s du sexe (TDS) et des sans-papiers. Parmi la liste des persona non grata – détaillée dans l’appel à la manifestation – on pouvait également retrouver les noms de certains partis et représentant.e.s politiques, comme La République en Marche ou l’administration de la Mairie de Paris, critiquée dans sa manière de gérer la crise migratoire et la place des TDS dans la ville.

« Nous sommes tous là et nous pouvons être fiers de cette putain de journée ! »

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À l’arrivée du cortège place du Châtelet vers 18 heures, le ciel s’est assombri mais pas l’ambiance, toujours bon enfant. « Nous sommes tous là et nous pouvons être fiers de cette putain de journée ! », annonce un des porte-parole du collectif Maricolandia au micro, par-dessus les cris de joie de la foule. Devant la sono, les plus motivé.e.s continuent de se déhancher, ignorant les premières gouttes de pluie. Mais bientôt c’est l’averse et les pancartes font office de parapluies, en attendant de pouvoir s’introduire dans la bouche de métro, prise d’assaut. Dans les couloirs souterrains, on se claque la bise, on se prend dans les bras et parfois on se roule des pelles avant de sauter dans un wagon, mouillé.e.s mais heureux.e.s. Sur leurs strapontins, deux copines tout en paillettes s’envoient les photos de la journée avant de se faire une promesse : « Obligé on y retourne l’année prochaine. »