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Colleuses féministes : « Ensemble, on brave le froid, le confinement et le patriarcat »

Un slogan à la fois.

Par
Adéola Desnoyers
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Depuis août 2019, leurs slogans s’affichent en format A4 sur les murs de nos villes : de grandes lettres noires sur fond blanc, placardées au détour d’une avenue ou d’une impasse par des militantes résolument féministes, que la pandémie ne semble pas freiner. Rencontre.

Assise sur un banc public de la place du Colonel Fabien, Constance* griffonne à la hâte dans les pages du vieux magazine déplié sur ses genoux. Face à la jeune femme, le dôme opalin du siège du Parti communiste français capte les timides rayons du soleil parisien de ce début d’après-midi. « Ça, c’est le collage de la hess, celui de la dernière minute », plaisante-t-elle en terminant de tracer de grandes cursives au marqueur noir, avant d’arracher les pages et de les ranger soigneusement dans son tote bag estampillé « féministe de merde ». Au loin, ses deux comparses dévalent l’avenue Moreau dans sa direction. Au milieu des promeneur.ses en goguette – profitant de ce samedi printanier malgré la récente annonce d’un 3ème confinement – Typhaine et Juliette détonnent : manche à balais sous le bras, seau à la main et smala de chiens en laisse. « On les prend souvent avec nous pendant les sessions, ça décourage les éventuels relous qui auraient envie de nous prendre à partie », explique Typhaine en réajustant son masque à motif « vulves ».

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En sortant de la bouche du métro, la dernière camarade s’empresse de rejoindre la joyeuse troupe et les voilà parties. « J’ai repéré un bon mur un peu plus bas », annonce Constance en tournant rue de la Grange aux Belles d’un pas énergique. Sur le même trottoir, deux hommes s’écartent promptement, médusés à la vue du convoi inhabituel qui file vers son objectif.

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De l’importance des mots

« Nous sommes la voix de celles qui n’en ont plus », « violeur, tueur, agresseur, à ton tour d’avoir peur », « on te croit » … Ils sont d’abord apparus la nuit et sur les murs de la capitale, avant de fleurir dans le reste de l’hexagone : ces collages sauvages à la charte graphique rapidement identifiable – dénonçant d’abord les féminicides et les violences conjugales – ont investi l’espace urbain en un temps record. Derrière cette initiative, un mouvement autonome lancé en 2019 par l’ex-femen Marguerite Stern, devenue aujourd’hui une figure controversée pour certain.es militant.es à la suite de prises de position jugées transphobes.

Mais en deux ans, le mouvement des collages s’est émancipé de sa créatrice pour devenir un outil de lutte intersectionnel à la portée de tous.tes les militant.es féministes. En prenant compte des discriminations de race, de classe, de religion ou de genre, d’autres slogans ont rejoint les premiers, avec le même objectif contestataire : « Nous ne sommes pas vos beurettes », « la putophobie tue », « PMA pour tous-tes » … Aujourd’hui, on dénombre entre 1 000 et 3 000 colleuses actives rien que dans les rues de Paris et autant de murs visités.

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« C’est une vraie nébuleuse et avant tout une initiative solidaire », constate Juliette en remplissant sa gourde à la fontaine publique : avec dextérité, la jeune femme concocte la mixture – un peu d’eau et de colle en poudre – qui servira à fixer le premier message de la session. « Aujourd’hui, on veut rendre femmage (ndlr : en opposition à « hommage ») à une amie qui a osé porter plainte contre un homme connu dont je ne prononcerais pas le nom », explique-t-elle. « Mais de manière générale, c’est extrêmement important pour nous de rendre visible l’histoire des femmes sur les murs et de s’exprimer dans un espace habituellement réservé aux hommes. Ça nous apporte énormément d’apprendre à être dans la rue ensemble. »

Quelques mètres plus loin – dans une impasse face à l’hôpital Saint-Louis – Constance et Typhaine attendent la colle en s’assurant que les feuilles de leurs collages sont en ordre. À l’entrée de la ruelle, Lola* fait le guet : « C’est ma première session, alors je vais surtout les regarder faire », confie-t-elle en scrutant timidement les passants. Hors pandémie, les rondes de collages avaient plutôt tendance à s’organiser de nuit mais les confinements successifs et le couvre-feu ont forcé les militantes à s’adapter. Au risque d’être surexposées.

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Une petite collection de PV et d’hommes frustrés

L’installation prête, le ballet bien rôdé des colleuses commence. Avec son seau et sa brosse, Juliette entre en scène : un coup de colle généreux sur le mur décrépi, puis c’est au tour de Constance de sautiller avec agilité pour plaquer le plus haut possible les lettres que Tiphaine lui tend. D’abord un H, puis un E, un R, un O se suivent pour former une phrase : « Héroïne victime de Gérard Depardiable on te croit. » Le système est efficace et en moins de cinq minutes les trois amies passent au message suivant, sous le regard curieux d’un couple de voisins.

« On essaye de placer les feuilles le plus haut possible, pour éviter qu’elles soient enlevées trop vite », précise Constance. Il faut croire que la dénonciation publique des viols, des meurtres et des violences subis par les femmes dérange certain.es citoyen.nes, puisque les collages tiennent rarement plus de quelques jours avant d’être frénétiquement arrachés par des anonymes. Pour rendre la tâche plus difficile, les colleuses ont une autre technique qui consiste à lacérer les feuilles à la clé, empêchant ainsi leurs détracteurs de les décoller d’une traite. Mais cela ne fait que ralentir les plus zélé.es. « Parfois je repasse devant un collage fait la veille et il a déjà disparu. Ça arrive aussi qu’on se fasse insulter pendant les sessions par des mecs qui doivent se sentir concernés… ».

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Pour certaines, les altercations peuvent se révéler plus graves. En témoigne la mésaventure d’un collectif de Montpellier qui, à l’automne 2020, manquait de se faire écraser par un automobiliste qui n’avait pas supporté de les voir coller un slogan sur le pont Lapeyronie. Le message en question ? « Victimes de violences, appelez le 3919. »

Quand ce ne sont pas les passant.es, c’est souvent la police. Aux yeux de la loi, les sessions de collages sont passibles de poursuites judiciaires, et les colleuses font face à un double délit depuis l’arrivée du Covid : dégradation de l’espace public (68 euros), rassemblement illégal de plus de six personnes ou non-respect de l’interdiction de déplacement pendant le couvre-feu (135 euros). Parfois, le matériel est confisqué, pour empêcher les militantes de remettre ça. Mais de la colle et un nouveau balai, ça ne coûte pas grand-chose. « J’ai déjà quelques amendes à mon actif alors je suis vigilante mais ce n’est pas ça qui m’arrêtera », affirme Typhaine.

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« On collerait pas un petit clito ? »

Pour Constance – qui compte bientôt passer les concours de la magistrature – les murs sont des espaces de parole et de combat que les femmes doivent s’approprier. « J’aime surtout m’emparer de sujets d’actualité pour interpeller. » Bien au fait des textes de loi et des dernières mises en examen, la jeune avocate a choisi de coller sur un événement qui agite de nouveau le monde du cinéma : les récentes révélations au sujet du président du CNC, Dominique Boutonnat, accusé d’agression sexuelle et de tentative de viol mais pourtant déterminé à rester en poste et soutenu par l’Élysée dans sa décision. « Il paraît que c’est un ami d’Emmanuel Macron », ajoute Constance en reposant le balai poisseux de colle. Au-dessus d’elle, la phrase « Boutonnat, reboutonne-toi hors du CNC » scintille au soleil.

Faire de la pédagogie dans l’espace public est un exercice qui oscille souvent entre sérieux et jeux de mots. À l’aise dans son pantalon en pilou-pilou, Typhaine n’est pas contre une petite dose d’humour. Celle qui se définit comme « artiviste » (ndlr : contraction d’artiste et activiste) milite depuis une douzaine d’années par le biais du théâtre et de la lecture. Parfois, ce ne sont pas des phrases que la bande colle sur les murs de Paris mais de jolis clitoris, toujours dessinés à la peinture noire. Pas très loin de leurs punchlines bien senties, ils s’épanouissent à l’entrée d’un immeuble, à côté d’un digicode.

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« Quand je me balade dans la rue, ça me fait chaud au cœur de voir ces messages de solidarité. On y crie à la fois notre colère et nos rêves de sororité. Ça me donne beaucoup de force et j’espère surtout que ça en donne à d’autres, confie la militante. Ça n’a l’air de rien mais ça peut accompagner une femme qui en a besoin dans sa journée »

* Certains prénoms ont été changés.