Il est 15h lorsque je m’engage dans cette rue que j’emprunte fréquemment pour aller au travail le week-end. Il fait beau, l’air est agréable, je suis impatiente de retrouver mes collègues et de leur raconter la merveilleuse journée que j’ai passée hier avec mon amoureux pour fêter notre première année de bonheur ensemble.
C’est une grande rue, les voitures y passent régulièrement, les piétons un peu moins, mais ça n’est pas une rue « craignos », aucune raison d’agripper son sac plus fortement ou d’accélérer sa cadence.
Face à moi, je vois arriver deux jeunes habillés en noirs. Par « réflexe », je baisse les yeux quand ils sont à mon niveau, simplement pour ne pas croiser leur regard. C’est une habitude que j’ai rapidement adoptée à Paris, lorsqu’on m’a dit: « Tu ne t’en rends pas compte, mais parfois tu regardes mal les gens ». Ok, c’est noté, je vais faire attention: ne pas provoquer, et baisser les yeux pour éviter toute ambiguïté ou défaut d’interprétation.
Nos chemins se croisent, ils passent à côté de moi, me dépassent et, 10 secondes après être passés derrière moi, j’entends « sale pute » et ma tête heurte violemment un poteau. Ils s’enfuient en courant.
Et puis, c’est l’incompréhension totale, je suis déboussolée, je tremble, je pleure, je m’accroupis par terre contre ce même poteau et je reste là. Hébétée.
Dans ma tête, tout se passe très vite, je pense que je serais incapable de reconnaître les deux hommes, il n’y a aucun témoin. Je regarde autour de moi: pas de caméra, je suis seule.
Je décide de me rendre au travail malgré ce qu’il vient de se passer, ne serait-ce que pour rejoindre mon copain qui travaille avec moi.
J’ai mal à la tête, je pleure, je tremble, je suis sous le choc mais surtout, surtout: je ne comprends pas.
Durant le trajet, il ne se passe rien dans ma tête. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, je n’ai pas mille pensées, je ne me demande pas ce que j’aurais pu/dû faire, rien. Les larmes qui coulent sous mon masque sont les seules traces de ce qu’il vient d’arriver, je n’arrive pas à les retenir.
Ce n’est qu’au moment de pousser la porte de mon travail que je réalise ce qu’il vient de se passer. J’ai mal à la tête, je pleure, je tremble, je suis sous le choc, mais surtout, surtout: je ne comprends pas.
Qu’ai-je fait pour mériter ça ? Cette violence gratuite, illégitime. Pourquoi ? J’ai cherché une raison, peu importe laquelle, je voulais trouver une raison à cet acte.
Nos regards ne se sont pas croisés, je ne peux pas vous avoir mal regardés. Nous ne nous sommes pas parlé, je ne peux pas vous avoir vexés.
J’avais un pantalon et un pull, ma tenue ne peut pas vous avoir choqués.
Alors POURQUOI ? Je ne sais pas. Je ne saurai jamais. La haine des femmes, en général ? Peut-être. Ou pas. Nous vivons désormais dans un monde où on revendique de plus en plus nos libertés individuelles, nos choix.
La seule raison que j’ai pu trouver à cet acte de violence gratuite, c’est votre refus de voir notre société évoluer, votre refus d’accepter que les femmes puissent dire non, et votre bêtise.
Cette journée s’est pourtant terminée en douceur, je me suis concentrée sur mon travail, j’ai relativisé: après tout, je vais bien. Je ne suis pas blessée outre mesure, ils ne m’ont rien volé, rien fait de grave. TOUT VA BIEN.
Non je ne vais pas si bien que ça, et oui, vous m’avez volé quelque chose. Vous m’avez volé ma confiance en moi, ma liberté.
Ce n’est que le lendemain que je réalise que tout ne va pas si bien que ça. En réalité, j’ai peur. Je suis choquée, incapable de me déplacer dans la rue ou dans le métro sans faire une crise de panique. Je suis sur mes gardes en permanence, je me retourne toutes les deux minutes pour vérifier que personne n’est derrière moi, la seule présence d’un homme un peu trop près de moi me fait serrer les poings.
Non je ne vais pas si bien que ça, et oui, vous m’avez volé quelque chose. Vous m’avez volé ma confiance en moi, ma liberté.
J’ai mis du temps à m’assumer, à me dire que je me revendiquais être une femme forte, libre de penser, de faire, de décider et de choquer, si ça me tente !
Aujourd’hui, j’ai peur. Peur de penser, de faire, de décider et encore plus de choquer.
Je vais reprendre des forces, ne pensez surtout pas que vous avez gagné. Cette expérience malheureuse que je suis loin d’être la seule à avoir vécu m’a donné la rage de me battre pour les femmes. Je vais me battre encore plus fort, plus dur, plus longtemps pour que les femmes ne s’agenouillent pas et continuent de faire évoluer notre société. Et allez vous faire foutre.