Depuis deux ans, je sillonne les rues de la capitale à bicyclette. Parce que c’est moins cher que le pass Navigo, parce que c’est bien pour la planète (et mon fessier), et aussi parce que je me sens plus libre. Enfin à quelques exceptions près. Comme beaucoup de Parisiennes, j’ai déjà fait l’objet d’une symphonie de « S*****», de sifflets et de remarques déplacées. La dernière en date : « Qu’est-ce que tu fais à vélo à cette heure-ci ? ». Précision : il était une heure du matin.
J’ai eu peur parfois, j’ai tenu tête à certains moments, et j’ai tracé mon chemin le plus souvent.
En août dernier, une jeune femme, Alexandra aka Lexibis, a choisi de pousser un coup de gueule sur les réseaux sociaux. Dans une vidéo publiée sur Instagram, qui a depuis récolté plus de 850 000 vues, cette future coach sportif de 27 ans racontait avoir été dérangée par un homme à scooter car elle portait un short à vélo. Un choix vestimentaire qui lui avait valu de se faire suivre sur son trajet. « Ce qui m’est arrivé n’est pas un événement isolé. C’est quelque chose de récurrent », déplore la cycliste. Son message à une partie de la gente masculine : « Eduquez-vous et laissez-nous tranquille ! »
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Déconstruire les stéréotypes de genre
L’éducation comme remède à ce sexisme ambiant, c’est ce que préconise aussi des associations comme « En avant toutes ». Créée en 2013, cette organisation, qui lutte contre les violences faites aux femmes et aux personnes LGBTQI+, mène des actions de sensibilisation dans les écoles pour déconstruire les stéréotypes genrés, notamment ceux qui ont lieu dans l’espace public. « Très tôt, on apprend aux garçons à prendre de la place. Sur la route, cela va se manifester par des coups de klaxons ou la volonté de se mettre en compétition avec d’autres usagers », observe Louise Delavier, responsable des programmes et de la communication.
Les filles, elles, ont appris dès l’enfance à se mettre en retrait. De quoi surprendre certains automobilistes quand elles se faufilent entre les voitures ou s’imposent au milieu du trafic. Marie, 28 ans, m’en témoigne. « Les mecs sont agacés quand je les dépasse, notamment en montée. C’est encore pire quand je suis en vélo électrique, ou quand je me mets devant eux au feu rouge. Systématiquement, ils mettent un coup de bourre pour pouvoir repasser devant moi. Mais je les redépasse ensuite », s’amuse-t-elle.
Certains vont même se montrer agressif. « J’avançais sur un passage piéton quand un homme m’a insultée. Il m’a fait comprendre que je le gênais avec mon vélo et m’a lancé une remarque sur “mes gros seins”. Je lui ai répondu et il m’a aussitôt giflée », se souvient Marion, 30 ans.
Plus de pistes…
Même en France, le cliché selon lequel « le vélo c’est pas pour les filles » a encore la dent dure. « A Paris, les femmes représentent 51% de la population, et seulement 40% des cyclistes », note Marion Lagadic, cheffe de projet à 6T, bureau d’études sur les mobilités et les modes de vie. Le développement d’un réseau de pistes cyclables sécurisées est une solution déployée par la mairie de Paris pour faciliter l’accès à la bicyclette mais aussi diminuer le sentiment d’insécurité. « Les femmes ont davantage peur que les hommes de circuler près des voitures, en raison de contraintes liées au transport d’objets ou d’enfants. Ces résultats d’études quantitatives mettent en évidence le rapport au risque physique. La question du harcèlement est en revanche peu documentée », précise Marion Lagadic.
Et pourtant, même à pleine vitesse la petite reine n’échappe pas au harcèlement de rue. Alors que le trafic a bondi de 66% sur les pistes parisiennes depuis le déconfinement, les incivilités persistent dans mon entourage. « C’est un sujet sur lequel nous sommes en alerte. Ces comportements violents verbalement mais parfois aussi physiquement sont souvent liés à la proximité entre vélos et voitures, ou deux roues motorisés », avance David Belliard, adjoint à la mairie de Paris en charge des transports et des mobilités. Il annonce qu’un comité vélo va être mis en place pour permettre aux associations et collectifs de suivre la création des aménagements et les besoins des usagers en matière de sécurité. « Au sein de ce comité, nous serons attentifs à ce que la parole des femmes cyclistes soit aussi bien représentée que celle des hommes cyclistes », précise l’adjoint écologiste.
Pas de jupe, ni de robe
Si les personnes que j’ai interrogées reconnaissent avoir plus de facilité à semer un potentiel harceleur, le poids des regards continue de peser. Beaucoup racontent se sentir scruté de haut en bas, par des automobilistes et des cyclistes. « On a l’impression d’être un objet sur lequel on peut projeter des désirs », remarque Lexibis. Une selle entre les jambes d’une femme et certains esprits s’enflamment. « Je ne pense pas que ce soit spécifique au vélo, mais au sport de rue en général », poursuit celle pour qui la désexualisation du corps féminin est essentielle pour faire avancer les mentalités.
Pour se protéger, certaines vont changer leur manière de s’habiller. Pas de jupe, ni de robe. « A pied, ou à vélo, ce sont les mêmes stratégies d’évitement qui se reproduisent », constate Louise Delavier de l’association « En avant toutes ». D’autres vont adapter leur trajet la nuit. « Même si c’est interdit, je vais plutôt rouler sur les trottoirs pour éviter de me faire embêter par les voitures. Tout reste sous contrôle dans tous les cas », explique Mathilde, 29 ans.
Pour rappel, selon une étude de l’Ifop publiée en 2018, 86% des Françaises disent avoir déjà été victimes de harcèlement de rue. Le 23 septembre dernier, Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur, a annoncé qu’elle souhaitait « doubler le nombre de verbalisations d’outrages sexistes ». Depuis 2018, 1 800 contraventions ont été enregistrées sur tout le territoire. Bonne ou mauvaise nouvelle ?