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Faites disparaître ces (gros) seins que je ne saurais voir?

Une journée dans nos brassières.

Par
Laïma A. Gérald
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La semaine dernière, j’ai publié un article intitulé « La jeune femme qui a failli ne pas entrer au musée à cause de ses seins, ça aurait pu être moi ». Dans ce texte, je raconte l’histoire de Jeanne, une étudiante parisienne de 22 ans, qui s’est fait refuser l’entrée au Musée d’Orsay, pour cause de décolleté jugé trop plongeant par le personnel de l’établissement. Ce fait divers, qui a fait beaucoup de bruit en France et ailleurs dans le monde, a éveillé en moi des réflexions plus larges: existe-t-il un double standard entre les femmes qui ont de gros seins, comme Jeanne et comme moi, et celles qui ont des petits seins? Et si oui, les femmes avec des poitrines fortes sont-elles davantage sexualisées? Après quelques recherches, je confirme que la réponse est oui.

Dès la parution de mon article, j’ai reçu un nombre surprenant de commentaires et de témoignages. Des femmes de tous horizons ont senti le besoin d’échanger, de raconter leurs expériences et de parler de leur rapport, parfois complexe, avec leurs (gros) seins.

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En quelques heures seulement, ce statut Facebook de Théo Dupuis-Carbonneau, qui est chef de contenu beauté chez ELLE Québec et que je connais depuis plusieurs années, a suscité près de 80 commentaires de femmes. Et pour de vrai, on est une bonne team à vivre une réalité similaire.

« Story of my life »

« Les gens roulent tellement des yeux quand on leur dit qu’avoir des gros seins, ça nous fait souffrir. Au collège, je me faisais traiter d’allumeuse un jour sur deux. Tout le monde parlait de mes seins, je me suis cassé le dos à force d’essayer de trouver une posture pour les cacher. Sans compter l’excellente déduction gros lolos = pas intelligente, oh, lala. Et à un moment donné, je me suis lassée. Maintenant je suis fière, et rien à foutre. REGARDE MES LOLOS MAN, ILS SONT EXTRAORDINAIRES (même s’ils me font mal au dos.) » – Laurie

« Je me fais faire des commentaires sur mes gros seins depuis que j’ai genre 12 ans. Je suis en train de tranquillement planifier ma réduction/redrapage mammaire pour après mon accouchement (on doit attendre environ 9 mois après). J’espère avoir le courage de le faire parce que c’est quand même une chirurgie, mais je sais que toutes les personnes qui l’ont fait ne l’ont jamais regretté alors je pense que ce sera le timing parfait, après presque 20 ans à en rêver! » – Ariane

«Au collège, je me faisais traiter d’allumeuse un jour sur deux. Tout le monde parlait de mes seins, je me suis cassé le dos à force d’essayer de trouver une posture pour les cacher.»

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« J’aurai une réduction mammaire bientôt. Même si je suis contente de ma décision, il y a une partie de moi qui est en colère. C’est comme si je n’avais pas réussi à passer par-dessus le fait que, même si j’aime un peu mes gros seins, c’est beaucoup à cause de l’image que ça projette dans la société que je le fais. C’est la partie de mon corps que je ne suis pas capable d’assumer, parce que je ne veux pas être “la fille sexy avec de gros seins”. Je suis fatiguée que ma sensualité soit définie par la forme de mon corps et d’être considérée comme « vulgaire » dès que je porte quelque chose d’un peu plus révélateur. » – Coralie

Tous ces commentaires me « rassurent », parce qu’ils me confirment que je ne suis pas toute seule à vivre ça, mais ils me rendent aussi vraiment triste. Triste de savoir qu’autant de femmes vivent une forme de honte, de malaise, d’inconfort en raison de leurs gros seins.

Maux de dos, jogging et robe soleil

Autre chose: en commentaire (sous la publication Facebook d’URBANIA, sous la publication sur mon compte perso ainsi que sous celle de Théo Dupuis-Carbonneau) j’ai été surprise de constater le nombre élevé de femmes entre 25 ans et 35 ans qui envisagent de se faire faire une réduction mammaire, ou qui l’ont déjà fait.

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Je mentirais si je disais que je n’y ai jamais pensé, même si ce n’est pas (encore?) un projet concret. Mais je ne savais pas qu’autant de femmes envisageaient cette option, tant pour des raisons de confort, de posture et d’esthétique que de santé.

J’ai décidé de discuter du phénomène avec Dr Geneviève F-Caron, spécialiste en chirurgie plastique et en chirurgie des seins.

« Le sein est une structure anatomique qui est attachée à notre thorax, et qui s’attache aussi sur le muscle pectoral, qui lui-même est attaché à nos épaules. Donc souvent, les femmes avec des poitrines volumineuses, des seins lourds vont avoir tendance à placer leurs épaules vers l’avant, donc à se recourber le dos », m’explique Dr F-Caron.

En effet, c’est quelque chose que je remarque sur mon propre corps, et qui est ressorti souvent dans les commentaires après la parution de mon article. « Je constate aussi que certaines femmes qui ont de gros seins entretiennent un rapport complexe avec certains sports, comme le jogging ou le volley-ball. Le fait que leurs seins sont moins soutenus et qu’ils rebondissent quand elles courent ou bougent, ça peut entraîner des douleurs, autant au niveau de l’étirement de la peau que du dos », ajoute Dr F-Caron.

«Il y a certaines tendances qui ne sont “pas faites” pour les femmes avec de grosses poitrines. On peut penser aux hauts « tubes », ou aux robes sans bretelle, qui se portent sans soutien-gorge, etc.»

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Elle m’explique donc que l’aspect fonctionnel (posture, maux de dos, difficulté à faire du sport, etc.) peut pousser les femmes à envisager une réduction mammaire. Mais il y a d’autres raisons. « J’ai lu ton article sur URBANIA et je suis d’accord avec ton propos: la société, les commentaires sexualisés, les regards insistants jouent parfois un rôle dans la décision de certaines de mes patientes, surtout celles qui sont dans la vingtaine. Elles me disent des choses comme “Toute mon adolescence, je me suis cachée”. Dans certains cas, elles ont développé une mauvaise posture pas parce qu’elles avaient des maux de dos, mais plutôt dans le but de camoufler leurs seins, par gêne de leur poitrine, suite à des commentaires de leur entourage », me dit Dr F-Caron.

Je me reconnais là-dedans, ayant eu de gros seins très tôt, à l’adolescence. Et encore à ce jour, mon ostéo doit se débrouiller avec ma mauvaise posture!

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La spécialiste m’a aussi fait remarquer qu’une des raisons qui poussent certaines femmes à envisager une réduction mammaire, c’est la mode et la difficulté à s’habiller. « Il y a certaines tendances qui ne sont “pas faites” pour les femmes avec de grosses poitrines. On peut penser aux hauts « tubes », ou aux robes sans bretelle, qui se portent sans soutien-gorge, etc. Dans des périodes où ce genre de morceaux sont à la mode et donc très représentés dans les boutiques, c’est sûr que les femmes qui ont de gros seins vont avoir plus de difficulté à trouver des vêtements adaptés. »

Mon Dieu, tellement! Je commence à me sentir à l’aise avec Geneviève, donc je lui confie L’ENFER de me trouver des chemises qui me vont bien (sans le fameux bouton qui tire au niveau de la poitrine, tu sais?), des tshirts ou des robes d’été avec des tissus plus délicats, des maillots de bain et des soutiens-gorges (qui ne coûtent pas la peau du cul). Les femmes avec des gros seins, vous savez de quoi je parle!

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Ciao bye, gros seins?

Tout cela étant dit, je suis curieuse: est-ce qu’une réduction mammaire est une opération invasive? « C’est une chirurgie d’environ 2 heures à 2 heures et demi, sous anesthésie générale. La convalescence, pour une personne qui n’a pas besoin de soulever des charges, dure environ une à deux semaines. Après, le reste dépend toujours de la tolérance à la douleur. La plupart des patientes vont prendre des antidouleurs de type narcotiques pendant deux jours et ensuite, elles vont être ok avec des Doliprane. Je précise aussi que la chirurgie ne touche pas aux muscles, elle touche seulement la glande, la peau et la graisse. Et pour le sport, je recommande d’attendre un mois avant de s’y remettre », m’explique Geneviève, qui pratique des opérations du genre toutes les semaines.

« Ensuite au niveau des impacts et des risques, dont je discute systématiquement avec mes patientes pour les aider dans leur décision, 15% des femmes rapportent avoir une diminution de la sensibilité au niveau des mamelons. Ensuite, l’allaitement peut être diminué de 20 à 25% après une réduction mammaire. Donc les “pour” et les “contre” de faire l’intervention avant ou après avoir eu des enfants (si la femme en veut, bien sûr), est un sujet dont je discute longuement avec les femmes. »

«15% des femmes rapportent avoir une diminution de la sensibilité au niveau des mamelons. Ensuite, l’allaitement peut être diminué de 20 à 25% après une réduction mammaire.»

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Avant de clore ma discussion avec Geneviève, je lui demande si, selon son expérience, ses patientes sont satisfaites de leur choix. « Il y a des études dans le domaine de la chirurgie plastique qui documentent le taux de satisfaction des différentes interventions, et la réduction mammaire est toujours dans les top! Quand je revois mes patientes quelques semaines après leur chirurgie, elles se sentent très souvent mieux, libérées d’un poids (dans tous les sens du terme!) et ne regrettent généralement pas leur choix. Dans tous les cas, quand je discute avec les femmes qui y songent, je leur dis toujours qu’elles doivent le faire pour ELLES, pas pour la société, pas pour la mode, mais vraiment pour leur bien-être. »

À la lumière des commentaires et des témoignages que je reçois depuis une semaine, ainsi que ma discussion avec Dr Geneviève F-Caron, je renouvelle mon statement: avoir de gros seins, c’est complexe. Personnellement, certains jours et dans certains contextes, j’assume mes seins, j’aime les mettre en valeur, j’en suis fière. Et d’autres fois, je ne dirais pas non à 3-4 tailles de bonnets en moins.

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Les fois où j’ai parlé ouvertement des défis d’avoir une poitrine volumineuse, que ce soit concernant l’habillement, le confort, les regards sexualisés ou la douleur, on m’a souvent répondu: « Mais enfin Laïma, de quoi tu te plains, il y a tellement de femmes qui ont des petits seins qui aimeraient en avoir des plus gros! »

J’invite ces personnes à passer une journée dans mes souliers. Ou plutôt… dans ma brassière!