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La petite histoire du slogan ACAB
Quand il s’agit de trouver des slogans contre les forces de l’ordre, les Français n’ont jamais manqué d’inspiration. La plus ancienne est certainement « Mort aux vaches », vraisemblablement adoptée par les anarchistes et les communistes lors de la Commune de Paris en 1871. « Mort aux bourgeois ! Vive l’anarchie ! Vive la Commune ! Mort aux vaches ! », écrivait le romancier Richard O’Monroy dans Cocardes et dentelles en 1898.
Tous les animaux de la ferme sont bons pour qualifier les policiers au XIXe siècle. S’ils sont décrits comme des vaches (ou des poulets) en France, en Angleterre ce sont plutôt des cochons comme nous l’apprend The Slang Dictionnary publié à Londres en 1874. Et c’est justement dans le royaume de Grande-Bretagne que le slogan ACAB est né.
L’expression « All Coppers Are Bastards » a été utilisée pour la première fois en Angleterre dans les années 1920 dans un chant entonné notamment par les jeunes ouvriers : « I’ll sing you a song, it’s not very long : all coppers are bastards ! » C’est ce qu’indique le lexicographe Eric Partridge dans son livre Dictionary of Catch Phrases. On peut entendre cette chanson être fredonnée dans cet extrait du documentaire We Are the Lambeth Boys qui a été enregistré en 1958.
Dans les années 40, la légende urbaine raconte que son acronyme « ACAB » est repris par les travailleurs lors des nombreuses grèves qui ont eu lieu lors de la Seconde Guerre mondiale. On en compte pas moins de 900 lorsque le conflit arrive outre-Manche. Ce qui est certain, c’est que l’acronyme ACAB gagne énormément en popularité dans les prisons britanniques où les détenus écrivent ces quatre lettres sur les murs des geôles ou en font des tatouages.
À la fin des années 60, toujours en Grande-Bretagne, l’expression s’invite dans le milieu du rock et auprès des punks. En 1967, David Bowie reprend le slogan à sa manière en chantant « All coppers are nanas » à plusieurs reprises dans le titre Over The Wall We Go. En mai 1970, un jeune de 17 ans est arrêté pour avoir porté une veste en jean où il a cousu les lettres ACAB. Emmené au tribunal, l’adolescent dira auprès des juges qu’il s’est inspiré des Hell’s Angels, pensant que l’acronyme signifiait « All Canadians are bums ». L’affaire fera alors les gros titres du Daily Mirror avec un gros « ACAB » affiché dans le journal.
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Dans les 80’s, le slogan prend une autre ampleur et connaît un succès international avec le groupe Oi! The 4-Skins. La formation issue du mouvement punk sort la chanson A.C.A.B. et cette fois-ci il n’est pas question de comparer des Canadiens à des clochards ; on parle bel et bien de la police. « ACAB ACAB ACAB / All cops are bastards », chante la clique de Hoxton Tom McCourt, bassiste et grande figure de la vague skinhead.
Dans le même temps, en France, Parabellum chante « Mort aux vaches, mort aux condés / Vive les enfants d’Cayenne, à bas ceux d’la sûreté », reprise d’une chanson anarchiste du début du XXe siècle chantée dans les bagnes de Guyane. En Allemagne, le groupe anti-fasciste Slime sort également un titre sobrement intitulé ACAB.
Devenu un véritable slogan anti-système inspiré par les mouvements punks et skinhead, l’acronyme ACAB (et sa traduction numérique 1312) s’exporte notamment dans les stades de foot. Chez les hooligans anglais d’abord, puis auprès des supporters les plus engagés lorsque le mouvement ultra se structure en Europe dans les années 80/90. Les quatre lettres sont alors reprises dans des tifos, sur des banderoles, dans des graffitis ou des stickers, notamment pour contester les lois qui visent les groupes de supporters. Le terme dépasse sa culture punk pour embrasser le mouvement anti-raciste très présent chez les ultras (qui sont aussi à l’origine du chant “On est là !”). On peut notamment citer les fans de Sankt Pauli en Allemagne, Livorno en Italie, AEK Athènes en Grève ou encore Marseille en France.
En France, les décès de Rémi Fraisse en 2014, d’Adama Traoré en 2016, de Steve Maia Caniço en 2019 et de Cédric Chouviat en 2020 ont nourri l’utilisation de l’acronyme anti-police, utilisé de plus en plus souvent dans les manifestations jusqu’à devenir mainstream. En 2014, Les Inrockuptibles parlent alors d’un « nouveau cri de ralliement des insurgés » et d’un sigle qui « s’infiltre partout ».
Confinée au milieu militant antifasciste, l’expression ACAB connaît une exposition inédite en 2020 suite au meurtre de George Floyd par le policier Derek Chauvin. L’acronyme est alors de plus en plus utilisé pour dénoncer les violences policières et soutenir le mouvement abolitionniste.
La récurrence et la médiatisation des violences policières, l’adoption de la loi Sécurité globale, sans oublier la répression des manifestations à coup de nasses et de canons à eau ont fait en sorte que les quatre lettres connaissent désormais une popularité jamais égalée en France… jusqu’à taper l’incruste dans des smoothies vendus par Monoprix avec le signe JuL. Et ça, c’est quand même une belle histoire pour un acronyme prolétaire/punk.
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