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La petite histoire de la pornographie

Des fresques pariétales au porno féministe.

Par
Antonin Gratien
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Quelque 2,85 milliards de dollars l’année, 12 % des sites Internet et 25 % du trafic web. Voilà ce que pesait en 2006 la pornographie en ligne, selon des études recensées sur le site Family Safe Media. Si le « porno » renvoie communément à cette industrie florissante où se côtoient les catégories « threesome », « amateur » et « fantasme familial », il n’en a pas toujours été ainsi. L’expression renvoie à des réalités diverses aux interprétations variables, selon les âges et les territoires.

Tour d’horizon à travers l’Histoire des illustrations de « l’obscène ». Depuis l’art préhistorique jusqu’à la littérature égrillarde des années folles, en passant par la naissance du film X.

Préhistoire & Antiquité : pas de « tabou »

Breaking news : nos ancêtres préhistoriques représentaient déjà le sexe. Qu’il s’agisse de fresques pariétales à l’effigie de phallus, ou de sculptures féminines aux vulves apparentes. Grand absent parmi cet éventail de figures : l’union sexuelle. À ce jour, aucune date de l’époque n’a été unanimement attestée par les spécialistes.

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Il en va autrement dans l’Empire Romain. Sous le règne des Julio-Claudiens, Flaviens et autres Antonins, les images de coït sont monnaies courantes. Elles décorent les céramiques destinées au service de table, les amphores ou encore les murs des villas. Déclinée sur divers supports dans l’espace public comme dans l’intimité des maisonnées, « la chose » n’a rien de tabou.

Ni du point de vue de la figuration, ni de celui du discours puisque les textes sur le sujet font florès à travers le monde durant cette période. Et entre le VI et le VIIe siècle paraît dans l’Inde médiévale le plus célèbre d’entre eux : Kamasutra. En bref, la « pornographie » telle que nous l’entendons aujourd’hui n’existe pas, puisque la représentation sexuelle n’est pas frappée d’interdit. Ni l’acte de chair marqué du sceau de la faute.

Moyen-Âge & Renaissance : douche froide

Dans le même mouvement où l’Église étend son influence, la donne change. Et pas qu’un peu. Les hommes de Dieu fustigent le plaisir charnel, érigent la virginité en modèle, et recommandent une chasteté généralisée – paradis à la clef. Sous l’impulsion du christianisme, la sexualité se transforme en « luxure », « concupiscence », « péché ». Les représentations du sexe s’en trouvent bouleversées.

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Parmi les centaines d’exemples témoignant de cette petite révolution, l’un d’eux se distingue. À l’heure où le protestantisme séduit grâce à un argumentaire dénonçant la débauche de Rome, le Pape Pie IV (1499-1565) ordonne le recouvrement des sexes peints dans la chapelle Sixtine. Désormais, les maisons du Seigneur ne sauraient plus accueillir en leurs murs vénérables la silhouette honnie du pénis. Sous le pinceau d’un certain Volterra, les inconvenants tracés de Michel-Ange se drapent pudiquement. Rideau.

C’est à cette période, celle de la Réforme et de la contre-Réforme, que la distinction entre « pornographie » et « érotique » s’opère. On tolère le nu artistique, mais on condamne fermement ce qui n’appartient pas à l’esthétique éthérée. Qui sait, la suggestion sexuelle pourrait pousser les fidèles à la fornication. Voire à l’adultère.

Comment la pornographie devint subversive

Ce climat pudibond perdure. Et en réaction se répand dans le XVIIIe siècle français une littérature libertine, dont on trouve un point d’acmé ultra trash avec l’oeuvre du marquis de Sade. Cet homme de lettres accusé de viol, et dont le patronyme a inspiré l’expression « sadisme » est notamment l’auteur des Cent Vingt Journées de Sodome (1785).

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Soit l’histoire de 4 aristocrates soumettant à leur perversion hyperbolique 42 victimes. Il y est notamment question d’inceste, de scatologie, et de mutilations en tous genres. Ce charmant récit n’était évidemment pas destiné à une large publication, la censure frappant déjà des romanciers autrement moins « imaginatifs ».

Mais si l’Histoire a retenu les romans de Sade, c’est parce qu’ils n’étaient pas simplement la voie d’expression d’un esprit dérangé. Comme la plupart des récits pornographiques d’alors, les théâtres sadiens du vice s’accompagnaient d’une remise en question de l’autorité religieuse. Et donc, par extension, du pouvoir monarchique de droit divin. Comment ? En promouvant l’idée d’une sexualité affranchie, mettant en scène la sodomie ou l’avortement. Tout en soulignant, au passage, la tartufferie des élites aristocratiques et ecclésiastiques en leur faisant endosser le rôle de francs débauchés.

XIX-XXe : la grande bascule

Le sexe reste sous cloche courant XIXe siècle. Les évocations sont limitées, et les transgressions passibles de procès. Ainsi des Fleurs du Mal (1857) dont les références sensuelles, aussi métaphoriques soient-elles, tombent sous le coup de la justice. À peine publié, le chef-d’oeuvre baudelairien est condamné pour « outrage à la morale publique ».

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Les années passant, l’emprise religieuse s’estompe et une littérature pornographique saisit l’occasion pour fleurir au tournant XIXe-XXe siècle. Cette tendance s’accélère après la première guerre mondiale, dans l’élan sémillant des années folles. Des auteurs comme Henry Miller s’emploient alors à décrire sans ambages des ébats sexuels, vécus ou imaginés.

Parallèlement à cette effervescence, le développement de la photographie et du cinéma ouvre de nouvelles perspectives au genre pornographique. Dès le début des années 1920, certains privilégiés découvrent les films X. Clandestinement, puisque leur projection n’est légalisée en France que quelque 50 années plus tard, grâce au vent de « libération sexuelle » soufflant sur l’Occident.

Le porno « mainstream » bientôt détrôné ?

Autre tournant majeur, celui des années 1980 puis 90, marquées par la commercialisation des vidéocassettes et du DVD. Ce bouleversement technologique permet – enfin ! – le visionnage privé. L’accès à la pornographie bondit à nouveau avec la démocratisation progressive d’Internet, entre 1990 et 2000. Flairant la bonne affaire, plusieurs acteurs commerciaux se saisissent du phénomène.

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Jusqu’à bâtir une industrie pharaonique, dont l’un des épicentres se situe aujourd’hui en Californie dans une zone baptisée « Porn Valley » où l’on trouve, entre autres choses, des plateaux de tournage dédiés à PornHub. Lancé en 2007, le site règne aujourd’hui sur le porno en ligne. Mais peut-être plus pour longtemps.

Car depuis quelques années émerge une pornographie dite « alternative », féministe et éthique, portée par des pionnières telles qu’Erika Lust, Olympe de G ou Anoushka. À l’origine du site anoushkamovies.com sur lequel elle héberge ses courts-métrages, cette réalisatrice française n’a jamais fantasmé sur le porno « mainstream ».

« Les gros plans génitaux à répétition, les positions abracadabrantes, la performance effrénée… À titre personnel, rien de cela ne me convient », pose la vidéaste. Prenant le contre-pied de ce modèle, Anoushka s’attache à la construction d’un porno scénarisé et politique. À l’image de son dernier long-métrage, Vivante (2020), portant à l’écran la résurrection sexuelle d’une handicapée grâce à l’assistanat.

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« Aborder la question de l’invalidité et de l’assistance sexuelle me paraissait important car ce sont des tabous. L’un des enjeux du porno alternatif est précisément de visibiliser de tels sujets », explique la cinéaste. Avant d’ajouter « l’engagement de l’alt-porn passe également par le respect des acteurs, et un souci d’inclusivité. Du point de vue du genre, des races, de la diversité des corps… ». Qui dit porno féministe dit aussi réinterprétation des rôles féminins. « L’objectif est de filmer mes actrices comme sujets désirants, et non simplement comme objets de désir », explique la réalisatrice.

La multiplication des productions alt-porn atteste d’un réel intérêt pour le genre. Mais peut-on sérieusement envisager un glissement des habitudes de consommation pornographique, depuis le mainstream vers l’alternatif ? « On est déjà en plein dedans ! », tranche Anoushka.

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« Et cette évolution s’inscrit dans un mouvement global », développe-t-elle. « De plus en plus de personnes se tournent vers l’économie solidaire, l’alimentation bio… Cette responsabilisation citoyenne passe aussi par un virage vers le porno éthique, ne serait-ce que parce que nous vivons dans une société post #MeToo, où la notion de consentement est au coeur de l’attention ».

Son dernier tournage à peine bouclé, Anoushka nous donne rendez-vous au printemps prochain pour découvrir sur son site un nouveau court-métrage qu’elle promet « haut en couleur ». L’occasion, peut-être, d’avoir un avant-goût de ce à quoi ressemblera le porno hégémonique des années 2040.