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Chaque jour, Alice, 39 ans, permet à des personnes handicapées de découvrir leur sexualité. Pour URBANIA, elle raconte sans langue de bois son quotidien avec ses hauts et ses bas.
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C’est quand je suis tombée sur un article qui parlait de l’accompagnement sensuel et sexuel que j’ai eu le déclic. La sexualité est quelque chose de très important dans ma vie, ce n’est pas juste une question de plaisir et d’orgasme. Les énergies se libèrent, le rythme cardiaque accélère, c’est la fête aux hormones et on se sent bien. J’ai réalisé que c’était exactement ce que je voulais faire, c’était évident. En parallèle de mon métier dans le médico-social, j’ai donc suivi une formation en Suisse, qui a duré un an et demi. J’ai commencé à exercer il y a six ans, et je me suis tout de suite sentie comme un poisson dans l’eau.
IL Y A PEU DE PÉDAGOGIE AUTOUR DU FONCTIONNEMENT DU CORPS
Mon travail, c’est de proposer une réponse aux personnes adultes en situation de handicap qui expriment le désir d’incarner leur vie sensuelle et sexuelle. En France, il existe des groupes de parole, mais ça reste très fantasmé. Il y a aussi les supports visuels tels que la pornographie, mais c’est souvent du porno mainstream et très hétéronormé que nous, accompagnant.e.s sexuell.e.s devons déconstruire ensuite avec eux. Finalement, il y a peu de pédagogie autour du fonctionnement du corps et des relations intimes. C’est ce vide que j’essaie de combler, en intervenant en institution médicalisée, à l’hôtel ou à domicile.
Dans un premier temps, je rencontre la personne pour m’assurer que sa décision de me contacter est réellement un choix personnel et autodéterminé. Puis selon sa demande, j’essaie d’y répondre ou de l’orienter vers un.e collègue. Ça peut être une première expérience sensuelle de la nudité, un massage, des caresses, du sexe… Je me rappelle d’un homme autiste Asperger qui avait des difficultés à comprendre les jeux de séduction et qui voulait découvrir le corps féminin. En le rencontrant, j’ai découvert qu’il s’était énormément fait arnaquer sur des sites de rencontres, parce qu’il ne savait pas comment interagir. Au-delà de la rencontre physique, il voulait surtout comprendre comment fonctionnaient les habiletés sociales.
MON TRAVAIL, C’EST AUSSI DE RAPPELER DANS QUEL CADRE LÉGAL ON NAVIGUE
Comme il s’agit d’une rencontre corporelle contre rémunération, je suis une travailleuse du sexe. Si la loi stipule que vendre un service sexuel est légal, acheter un service sexuel ne l’est pas, et mettre en relation deux personnes dans ce but relève du proxénétisme. Mon travail, c’est aussi de rappeler la loi française aux personnes que je rencontre pour leur expliquer dans quel cadre on navigue. Sans confiance, respect mutuel et compréhension de ces enjeux, on ne peut pas avancer, parce que la personne qui fait appel à moi prend un risque.
Cela signifie aussi que dans ma vie personnelle, je ne peux pas avoir de compagnon officiellement, puisqu’il serait automatiquement considéré comme proxénète étant donné qu’il profite de mes revenus. L’autre problème, c’est que le travail du sexe est très stigmatisé en France : si on apprend que j’ai un fils, il serait placé par les services sociaux parce qu’une pute est forcément une mauvaise mère, une toxicomane ou sous le joug de son compagnon. Et le jour où mon fils deviendra majeur, il sera à son tour consid éré comme mon proxénète… C’est vraiment absurde.
C’EST EXTRÊMEMENT ENRICHISSANT DE VOIR QUELQU’UN ACCÉDER À CETTE JOIE
C’est pénible de devoir me cacher parce que je trouve que mon travail fait sens, et que j’en suis fière. Je fais du bien à des gens et ils me le rendent bien. On pense toujours à l’accessibilité des personnes handicapées, évidemment c’est bien d’avoir accès aux bâtiments, mais il ne faut pas réduire ces personnes à des objets de soins. Avec l’accompagnement sensuel et sexuel, elles deviennent des sujets désirants, qui s’affirment en tant que personnes sexuées. Et pouvoir participer à cette affirmation personnelle, c’est un bonheur. C’est extrêmement enrichissant de voir quelqu’un accéder à cette joie, qui peut paraître banale lorsqu’on est valide.
L’accompagnement sensuel et sexuel existe et il a besoin d’être légitimé et dédiabolisé, parce que tous les jours, des mamans, des kinés, des ostéos, des travailleurs du sexe, nous appellent pour qu’on accompagne de nouvelles personnes. Si on travaillait dans un cadre plus sécurisé, on pourrait davantage se concentrer sur les besoins de ces hommes et de ces femmes, pour mieux les aider à s’affirmer. Parce que le but, c’est qu’après ils n’aient plus besoin de nous et puissent faire d’autres rencontres, sans échange monétaire.
Propos recueillis par Pauline Allione.