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Entrevue : Pascale Brillon – À la rescousse des aidants

Elle vient de sortir un livre sur le soutien essentiel et urgent à fournir au personnel de santé.

Par
Barbara Paul-Foos
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Qu’ils soient infirmiers, thérapeutes, médecins, travailleurs sociaux, psychologues ou encore travailleurs humanitaires, tous ont un point commun : l’aide. Ils sont au cœur des situations de crise, comme celle que nous traversons depuis des mois. Ils prennent soin de nous, mais qui prend soin d’eux ? Et de leur santé mentale, en particulier ? Comment doivent-ils faire pour continuer à écouter, soutenir et aider ? C’est à cette question que Pascale Brillon tente de répondre dans son ouvrage Entretenir ma vitalité d’aidant qui vient de sortir. Interview.

Pourquoi avez-vous décidé de consacrer un ouvrage à ce sujet ? L’idée a germé bien avant la pandémie, j’imagine…

Je suis psychologue depuis 25 ans, spécialisée en stress post-traumatique. Ça veut dire que je vois des personnes qui ont vécu des tragédies, des agressions, des séquestrations, etc. Je suis aussi professeure au département de psychologie à l’Université du Québec à Montréal et j’ai fondé un laboratoire qui s’appelle « Trauma et Résilience ». Je travaille donc avec beaucoup de personnes qui ont vécu des horreurs. Mais depuis quelques années, je rencontre aussi des intervenants qui travaillent en stress post-traumatique permanent.

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Ce sont des gens qui ont toujours eu ce sentiment d’avoir trouvé leur vocation, le sentiment d’aider les autres mais qui ont réalisé que leur métier les faisait souffrir. Ça m’a beaucoup émue. C’était très douloureux pour eux de faire le deuil de cette vocation. Mais j’ai surtout réalisé qu’on n’avait pas les moyens de se passer de ces intervenants sur le terrain. Pourtant, on se préoccupe peu de leurs états d’âmes et de leur santé mentale à eux. Alors depuis une dizaine d’années, je donne une formation accréditée par l’Ordre des Psychologues du Québec à l’intention des intervenants en relation d’aide. Ça fait 3 ans que j’écris cet ouvrage, et puis la pandémie est passée par là…

Avez-vous remarqué une hausse des traumatismes chez les aidants depuis le début de cette pandémie ? Comment l’expliquez-vous ?

Bien sûr ! Cette pandémie a quelque chose de tout à fait particulier. Les aidants vivent les mêmes choses que nous, eux aussi sont anxieux, incertains, avec les mêmes questionnements. Mais les aidants sont considérés comme service essentiel et donc doivent être au service de la population, pas seulement sur le terrain comme aux urgences, mais aussi par téléphone pour les victimes de traumatismes, de violences, et gérer leurs propres questionnements. Sauf qu’on oublie qu’ils sont juste humains… Et ont donc aussi besoin d’aide.

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On parle beaucoup de « trauma vicariant ». Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit exactement ? Une fois que les personnes ont conscience de ce trauma, comment le vivent-elles ?

La fatigue de compassion, c’est un sentiment de lassitude, une impression qu’on ne peut plus s’immerger dans le monde. Tandis que le trauma vicariant, c’est beaucoup plus de symptômes post-traumatiques. Des intervenants vont me dire que ça a ébranlé leur vision d’invulnérabilité. Exemple : « Depuis que je travaille avec des victimes d’agressions sexuelles, je vois les hommes différents. Je loue un appartement avec des critères différents. Mon mari me touche à tel endroit, j’ai l’image d’un viol qui m’a été raconté qui me revient en mémoire. » Ça entraîne des sentiments par procuration. Il y a des images qui s’imposent à leur conscience alors qu’elles ne leur appartiennent pas. « On me parle d’un deuil, la seule image qui me vient c’est lorsque j’ai prêté mon portable à une personne qui allait décéder pendant la pandémie car il n’y avait personne autour d’elle. » Ces impacts sur la vision du monde, sur la vulnérabilité sont importants. La posture relationnelle, où l’intervenant glisse dans une posture empathique par exemple, permet de cerner le comportement de l’intervenant et de minimiser ces traumatismes.

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Pour la plupart, c’est une vocation, de prendre soin des autres. Mais comment faire pour que ces professionnels s’intéressent aussi à eux-mêmes ?

Souvent ils s’y intéressent quand c’est trop tard. Ils viennent consulter quand ils ne peuvent plus travailler, ou quand ils ont fait des erreurs, et qu’ils ne sont plus en pleine possession de leurs moyens professionnels. Ou quand leur entourage remarque une distance, une différence dans leur manière d’être. C’est un sujet qui est de plus en plus d’actualité et donc qui permet aux aidants de prendre conscience qu’il est vital de s’intéresser à soi-même. On ne peut pas perdre ces aidants ! Il faut pouvoir les aider à maintenir leur vitalité pour leur bien et pour notre bien à tous. Le fait de pouvoir déstigmatiser le terme, et montrer que ce n’est pas un signe de faiblesse ou de lâcheté, permet aussi d’entretenir cette vitalité, pour que les gens puissent le déceler chez eux.

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Quels conseils donneriez-vous aux professionnels de l’aide pour réussir à entretenir leur vitalité ?

D’abord, je leur dirais d’être à l’écoute d’eux-mêmes. Quand on est aidants, on veut toujours être à l’écoute de 3 sphères : de l’autre, c’est 80% à 90% de notre profession qui est basée sur l’écoute de l’autre ; de la relation, comment elle se déroule ; et de soi-même, comment je me sens quand la personne me raconte quelque chose. Il est important de se connaître soi-même, de savoir pourquoi on a choisi ce métier d’aidant. Comment je me sens émotionnellement, dans mon univers cognitif ? Est-ce que j’ai encore ce sentiment de « vocation » ? En situation de crise, il y a des moments importants qui peuvent être ébranlants. Par exemple, une intervention suicidaire, l’agression d’un.e patient.e, une plainte professionnelle. Il faut savoir comment gérer ces situations pour que ces moments ne deviennent pas des grains de sable qui induisent beaucoup de détresse après quelques mois.

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Et à celles et ceux qui se lancent, on leur dit quoi ?

Ce sont les mêmes fonctionnements à mettre en place. Mais j’encouragerais surtout les facultés de psychologie, de médecine, de travail social en France, à s’intéresser à ce phénomène et à éduquer les jeunes professionnels afin de mieux se prévenir de ces syndromes-là. Et le but c’est de travailler plus longtemps avec plaisir, c’est ça l’objectif ! Connaître ces façons d’entretenir sa vitalité permet de mieux s’aménager dans le quotidien constamment plutôt que d’aller au bout de ses limites. Et de tomber.

En tant que psychologue, comment vous sentez-vous ? Arrivez-vous à utiliser les outils dont vous parlez ?

J’essaie de pratiquer en direct tous les jours ce que je promulgue (rires). De toute évidence, ça a dû fonctionner puisque quand j’ai commencé ma carrière on m’a dit : « Tu vas voir Pascale, c’est tellement difficile de travailler avec des gens qui ont vécu des traumatismes, les psychologues ne font ça que pendant 5-6 ans ». Je me suis dit que je ne voulais pas faire ça que quelques années. Et aujourd’hui ça fait 25 ans, donc je crois qu’il doit y avoir quelque chose que je fais qui n’est pas si mauvais…

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Entretenir ma vitalité d’aidant paru le 7 janvier 2021 aux Editions de l’Homme.