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Thomas d’Ansembourg : « S’écouter et se comprendre, c’est un enjeu de santé publique »
« C’est dur d’avoir 20 ans en 2020 », a dit Macron. Je confirme. J’ai 25 ans et j’avoue que j’ai du mal à croire en l’avenir, à garder espoir. En quoi le « monde des adultes » me ferait envie ? Je suis peut-être trop réaliste ou trop lucide. Depuis l’enfance, on nous vante les bienfaits du « vivre ensemble ». Mais aujourd’hui, maintenant que la pandémie est passée par là, qu’en est-il ? J’en ai discuté avec le psychothérapeute, spécialiste de la communication non violente, Thomas d’Ansembourg. Et ça m’a redonné un coup de boost. J’espère que ça vous fera le même effet. C’est cadeau.
Vous venez de sortir un livre intitulé Notre façon d’être adulte fait-elle sens et envie pour les jeunes ? En cette année assez bouleversée et bouleversante, comment redonner de l’espoir aux gens et aux jeunes, en particulier ?
Beaucoup d’adultes ont, dans leurs têtes, des valeurs mais ils ne les incarnent pas. La fantaisie, l’humour, la patience, la bienveillance, le respect, le courage, etc. Tout cela, les adultes doivent le faire percevoir aux jeunes, c’est une histoire de cohérence entre les valeurs et les actes.
Beaucoup de contemporains se battent contre le temps au lieu de marcher avec lui.
L’accélération de nos rythmes de vies a pu nous faire perdre cette cohérence. Beaucoup de contemporains se battent contre le temps au lieu de marcher avec lui. Avec toute la technologie, les infos et les messages qui arrivent à toute vitesse, beaucoup de sollicitations nous écartent de nos rythmes propres. Ce modèle, où l’adulte court tout le temps, est épuisant et très peu inspirant pour les jeunes.
Vous dites que « le sens et l’envie sont les moteurs de notre joie de vivre et de notre façon d’être ensemble ». Comment trouver du sens en ce moment ?
L’épreuve mondiale que nous vivons avec cette épidémie nous invite à travailler la notion du sens. Que voulons nous vivre ? Est-ce que c’est s’enrichir pour consommer en puisant dans des ressources limitées dans une hystérie collective ? Ou voulons-nous vivre la qualité du lien, de la présence au monde, de l’appartenance à un univers inspirant ? Cette crise est une réelle invitation à s’arrêter pour se ressourcer et développer une intériorité citoyenne, c’est-à-dire une capacité profonde à ancrer nos valeurs et donc à être inspiré.e et inspirant.e.
Il suffit de voir l’impact de Greta Thunberg ! Elle n’est pas une adulte, mais a un charisme, une présence et surtout une cohérence et donc elle arrive à mobiliser les foules.
Le fait que les adultes incarnent des valeurs est extrêmement inspirant. Gandhi disait : « L’exemplarité n’est pas une façon d’éduquer, c’est LA seule ». Il suffit de voir l’impact de Greta Thunberg ! Elle n’est pas une adulte, mais a un charisme, une présence et surtout une cohérence et donc elle arrive à mobiliser les foules. Ces jeunes là descendent dans la rue en masse et demandent aux adultes dirigeants d’être responsables, conscients, raisonnables, de développer une vision à long terme et donc de cesser de penser à court terme ! C’est du jamais vu dans l’histoire de l’humanité. Cela veut-il dire que nous avons démissionné de notre rôle d’adultes ? Prenez l’exemple de la loi autorisant des produits toxiques tuant les abeilles pour sauver le commerce de la betterave. Pour garder l’emploi de 40 000 personnes, le gouvernement français est prêt à compromettre l’avenir de la biodiversité. Comment voulez-vous faire comprendre cette vision à court terme à un jeune qui, lui, voudrait pouvoir être vivant dans un monde vivant dans trente ans ? Les jeunes attendent qu’un gouvernement prenne ses responsabilités pour que chacun puisse trouver et /ou générer ses ressources dans le respect de la planète et de la vie sur terre à long terme.
Avec l’actualité plus que pesante, que diriez-vous aux jeunes aujourd’hui ? Ceux qui sont justement entre ces deux mondes (l’enfance et l’adulte).
Je les encourage à suivre leurs intuitions profondes et à faire confiance à leur élan créateur. D’après de nombreux chercheurs, 80% des métiers de dans 20 ans n’existent pas encore. Ils vont correspondre à de nouvelles façons d’être ensemble, de produire, d’échanger et de gouverner le monde. Il y a un vrai potentiel de créativité. La jeune génération est bien outillée pour ça, elle a appris à travailler en réseaux, à chercher l’information, à être dans la collégialité. Et ce sont des valeurs essentielles pour vivre dans les décennies qui vont venir. Je les inviterais à se faire confiance et à bousculer le système actuel qui est à bout.
On oscille entre liens réels, et liens à distance via les réseaux en permanence. Comment peut-on garder des liens de qualité aujourd’hui ?
En se parlant de l’essentiel ! Du fait de l’éloignement, nous allons prendre des nouvelles plus profondes pour mieux comprendre comment on vit les choses. C’est l’occasion d’utiliser le confinement comme un laboratoire expérientiel de la relation à soi et aux autres. Pour ceux qui vivent avec beaucoup de promiscuité par exemple, c’est une véritable école de vie que d’apprendre à garder sa bulle, son espace de ressourcement. Il y a une discipline à mettre en place et des outils existent pour cela. Il faut le dire et le répéter : ne restez pas démunis, apprenez la relation, apprenez à vous connaître et gardez un état de paix intérieure contagieux. La crise vient nous prendre au dépourvu car nous n’avions pas prévu d’être déboussolés, de nous sentir seul, de côtoyer la peur et la mort. Ces choses sont sorties de nos habitudes alors qu’elles font partie de la vie. Nous avons besoin d’apprendre à nous connaître, à gérer nos émotions, à vivre avec nos peurs et à écouter l’autre avec empathie. Ce sont des enjeux citoyens pour un vivre-ensemble fécond et joyeux.
En tant qu’expert de la communication non violente, quels conseils donneriez-vous pour finir l’année 2020 le plus sereinement possible ? Comment pouvons-nous trouver les mots à mettre sur nos émotions en ce moment ?
Le fait de percevoir ce que nous ressentons adoucit significativement la douleur et la peine parce que nous les comprenons. Et cela maximalise la joie car nous comprenons ce qu’elle dit de nous. L’intelligence émotionnelle et le fait de nommer nos émotions fait partie de l’approche de la Communication NonViolente ©. C’est une invitation à nommer notre ressenti et à comprendre celui de l’autre. Beaucoup de violences naissent du fait que nous ne comprenons pas notre ressenti, alors les tensions non dites s’accumulent jusqu’à explosion ou implosion : c’est l’effet cocotte-minute.
C’est un véritable encouragement que je donne à chacun de s’écouter et de se comprendre : aujourd’hui, c’est un enjeu de santé publique.
Si à un moment je pense ou je dis à l’autre « Toi tu es la goutte d’eau qui fait déborder mon vase », je l’accuse parce que je n’ai pas appris à m’asseoir avec moi-même pour écouter les frustrations qui – goutte après goutte – se sont accumulées en moi. Nous avons la possibilité d’apprendre les clés de cette connaissance de soi et de l’autre, notamment par la Communication NonViolente. A travers mes livres ou des cours en ligne, par exemple, je développe ces clés. L’essentiel c’est que, pour comprendre les autres, nous avons besoin d’abord de nous comprendre nous-même. C’est un véritable encouragement que je donne à chacun de s’écouter et de se comprendre : aujourd’hui, c’est un enjeu de santé publique.
Selon vous, que pouvons-nous retirer comme apprentissages, ou comme leçons de vie de cette année qui vient de s’écouler ?
Cette épreuve collective est une école de vie. La première chose est d’apprendre à rester en paix avec soi, à rétablir du lien avec le premier humain dont nous avons la charge : nous-même. Nous avons grand besoin de savoir comment garder de la bienveillance, de la patience, de l’accueil de ce qui est, et comment apprivoiser nos peurs et nos tristesses. La deuxième est de développer de l’empathie, de l’écoute de l’autre. Le troisième est de simplifier nos vies. Nous voyons bien que du fait de ne pas avoir accès aux magasins, aux gadgets, etc : nous vivons avec des enjeux plus simples, plus sobres (avoir un toit, à manger, des activités culturelles et sportives). Nous avons bazardé ce qui était frivole, compulsif. Nous avons pu démasquer des mécanismes compensatoires de la vie habituelle qui nous font sortir de nous-mêmes.
Le mot de la fin ?
Nous ressentons souvent beaucoup d’appréhension à changer, à oser quitter la zone de confort, mais aujourd’hui j’ai à cœur de dire que nous avons largement dépassé l’enjeu du développement dit personnel et que nous sommes dans un enjeu de développement social durable. Nous avons besoin collectivement de faire ce travail de transformation personnelle.
A mes yeux, nous vivons, depuis bien avant la crise sanitaire actuelle, une épidémie de brutalité quotidienne ordinaire, face à laquelle chacun a besoin de se laver le cœur.
Nous le voyons bien aujourd’hui, en cas d’épidémie tout le monde est invité à se laver les mains et à porter un masque. A mes yeux, nous vivons, depuis bien avant la crise sanitaire actuelle, une épidémie de brutalité quotidienne ordinaire, face à laquelle chacun a besoin de se laver le cœur.
Pourquoi je réponds mal ? Pourquoi je veux avoir raison ? Pourquoi je n’écoute pas ? Nous avons besoin de filtrer ce que nous disons (comme avec le masque), pour ne pas rajouter de la tension dans un monde qui est déjà tendu, de la critique ou du reproche dans un monde déjà assez agressif. Filtrons ce que nous disons mais aussi ce que l’autre émet pour tenter de comprendre ce que l’autre vit derrière ce qu’il dit. Il y a de vrais bénéfices collectifs à se connaître mieux et à comprendre les émotions. J’ai vraiment à cœur que chacun puisse réaliser que nous disposons en nous d’une ressource de joie généreuse et créatrice que les éducations ont malheureusement assombrie.