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Des apéros pour faire son deuil
« Tout comme un mariage ou une naissance, la mort aussi mérite toute notre attention. » J’avais beau le savoir, avant la mort de mon père l’an dernier, je ne me rendais pas compte à quel point cette phrase était criante de vérité. Merci Happy End de me l’avoir rappelé.
Durant cette période de deuil très particulière, angoissante et prenante, où j’avais l’impression qu’une partie de mon âme avait suivi celle de mon père, j’étais perdue. Entre nuits blanches, réception des proches et gestion de la paperasse, je ne savais plus trop où donner de la tête… Au milieu de ce tourbillon, j’ai fini par découvrir le site de la journaliste Sarah Dumont. Et j’y ai trouvé bien plus que ce que je cherchais.
Une étude du CREDOC de 2016 prouve que préparer dignement la mort d’un.e proche aide à faire son deuil. On y apprend aussi que 70% des personnes ayant participé au déroulement d’obsèques ont ressenti un impact positif pour accepter la disparition d’un être cher. Mais Sarah Dumont a surtout retenu une chose : « Très peu de gens savent ce qu’ils ont le droit de faire lors des obsèques. »
Il ne lui en fallait pas plus pour lancer une plateforme en ligne. Dessus, on y retrouve l’histoire des traditions mortuaires à travers le monde, des témoignages d’expériences de deuil, mais aussi des infos sur l’évolution de l’industrie funéraire et même son rapport avec l’écologie.
Dans la foulée, elle a aussi lancé un podcast où elle interroge des personnes sur la mort et publié un livre Un enterrement comme je veux ! Le premier guide pratique des obsèques civiles. Son but reste le même: transmettre des informations précieuses et encore trop mal connues du grand public. Saviez-vous qu’on pouvait être enterrée nu.e ? Ou qu’il est interdit de disperser des cendres sur la plage ?
On va tou.te.s finir par y passer et pourtant, on s’y intéresse très peu à la mort. Même en pleine pandémie, le sujet reste tabou. Je trouve ça hallucinant. Mais les choses peuvent et doivent changer. Sarah Dumont est convaincue qu’on peut parler autrement de la mort, sans tabou et sans que ce soit glauque.
Déjà, à l’époque où elle officiait dans la presse féminine, elle était attirée par les « sujets lourds ». En conférence de rédaction, elle était la seule à les défendre. Parmi les plus marquants: les enfants et femmes battu.es, les pédophiles abstinents et… le deuil. Ce qui l’intéresse particulièrement dans le fait de traiter de telles thématiques c’est le chemin de résilience. « Je trouve qu’il y a toujours beaucoup d’espoir, même dans les situations dramatiques. Sur Happy End, quand je donne la parole à des parents endeuillés, je suis admirative de leur force de vie. Ce sont des gens qui cheminent, certains ont retrouvé une joie de vivre, ont eu d’autres enfants, ont pu se révéler à eux-mêmes, et aider à leur tour. »
Une mission : réhabiliter la mort dans nos vies
Il n’y a pas si longtemps encore, il était habituel que des familles veillent leurs morts à domicile. Aujourd’hui, tout est différent, sans parler de l’effet Covid-19. « On a délégué tout cela aux services médicaux et aux pompes funèbres. Les gestes d’antan sont perdus. Par exemple, les cortèges funéraires dans les villages qui permettaient aux voisins d’être alertés et de venir nous voir, ou le port du brassard noir qui signalait qu’on était en deuil, tout cela n’existe plus… Désormais, on est seul.e face à la mort, elle est devenue une étrangère dans nos vies. »
Selon Sarah Dumont, cela s’explique en partie par la perte des valeurs religieuses (ce qui implique moins de rituels), sachant que 63% de la population française ne s’identifie à aucune religion.
Elle-même est athée. « Ça ne veut pas dire que je ne crois pas à une vie après la mort. C’est une croyance qui n’est pas liée à la religion selon moi, même si je sais que tout le monde n’est pas d’accord là-dessus. La possibilité de communiquer avec un proche défunt, par l’intermédiaire d’un médium par exemple, peut être très aidante pour mieux accepter son départ et s’autoriser à vivre sans lui. Au même titre qu’une thérapie, cette dimension est une ressource complémentaire pour cheminer. De mon côté, m’imaginer que je retrouverai celles et ceux que j’aime après cette vie m’apaise.»
Quant à la clé pour lever ce tabou que représente la mort, il n’y a pas de secret : il faut en parler. D’où la tenue des Apéros de la mort tous les deux mois dans différents lieux en région parisienne. Le premier a eu lieu quelques mois après la création de son site, l’année dernière, dans un bar situé à Boulogne. Autour de la table, une quinzaine de personnes âgées de 25 à 80 ans, surtout des femmes, venues partager leurs expériences ou juste pour écouter certains récits.
Depuis la pandémie, ils se déroulent chaque mois sur Zoom. « Certain.es avaient perdu des proches peu de temps avant le début de la pandémie. Je pense à une mère dont le fils de 22 ans est décédé en janvier. Elle était présente à plusieurs reprises et avait encore l’urne derrière elle. Si elle revient, comme tant d’autres, c’est qu’elle y trouve quelque chose qui lui fait du bien.» Je confirme: ça m’a fait un bien fou personnellement.
Préparer sa fin de vie, une responsabilité
« Les gens qui ne préparent pas leur départ en expliquant qu’ils s’en fichent car ils ne seront plus là et laissent leur famille dans l’embarras, ça me met en colère. Si tout leur est égal, qu’ils l’écrivent pour éviter toute confusion car ces détails sont importants pour les personnes qu’ils laissent derrière eux. » On lui rapporte fréquemment des disputes qui éclatent dans les bureaux de notaires et d’entreprises de pompes funèbres. Et le plus dramatique pour les proches : vivre en ayant continuellement ce doute sur la conscience. Ai-je fait le bon choix en inhumant le/la défunt.e dans le caveau familial alors qu’il/elle ne s’entendait pas avec son père ou sa mère ?
Malgré tout, évoquer ces souhaits de son vivant auprès des sien.nes peut être mal accueilli, comme si le simple fait d’aborder le sujet attirait la faucheuse.
Pour soulager celles et ceux qui sont prêt.es à déclarer leurs dernières volontés et leurs proches, Sarah propose désormais des ateliers «Je prépare mon départ», pour se poser les bonnes questions : don d’organe ou pas ? Que faire de sa présence sur les réseaux sociaux à titre posthume ? Quelle type de cérémonie? Qui comme invités ?
A 42 ans, Sarah a donc déjà tout préparé, laissé à portée de main ses dernières volontés sur le site Mon Petit Testament et a confié le lien à deux personnes de confiance : son conjoint qui, à ce jour, n’en a pas pris connaissance et sa meilleure amie.
Et moi, qui en ai 10 de moins, j’ai presque terminé la rédaction de mes dernières volontés. Je peux poursuivre ma vie le cœur plus léger.