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Et si, à ma mort, je me faisais composter ?
Et pourquoi pas ? Avoir une empreinte écolo moindre même après la mort, se fondre dans la nature pour nourrir la terre, voilà une idée plutôt inspirante. Comme un Français sur deux, selon cette étude de fin 2018, j’envisage (pas pour tout de suite, on l’espère) de trouver un moyen plus écologique de disparaître. Mais, spoiler, c’est pas encore demain la veille qu’on pourra recourir à l’humusation.
Le processus a fait du bruit en mai dernier lorsque l’État de Washington a légalisé la “réduction organique naturelle”, appellation originale du compostage humain. Le principe : le corps est entreposé dans une sorte de cylindre hexagonal pendant environ 9 mois, avant que les familles ne puissent récupérer presque un mètre cube de terreau.
Au rang des motivations pour se transformer en terreau, l’aspect écolo : pas de combustion donc pas de CO2, pas d’embaumement donc moins de produits chimiques dans les sols, pas de cercueil donc pas de bois ou métaux…
Le constat, c’est qu’il y a seulement 2 options disponibles aujourd’hui : l’inhumation classique, dans un cercueil, et la crémation. Or, ces deux techniques ne sont pas vraiment éco-friendly : une crémation, ça génère entre 160 et 233 kg de CO2, selon les estimations. Et pour une inhumation, les métaux et vernis contenus dans le cercueil et les liquides utilisés pour l’embaumement se retrouvent tôt ou tard en terre.
Au rang des motivations pour se transformer en terreau, l’aspect écolo : pas de combustion donc pas de CO2, pas d’embaumement donc moins de produits chimiques dans les sols, pas de cercueil donc pas de bois ou métaux…
Et puis il y a le côté symbolique. Les cimetières, c’est glauque. La pierre, le marbre, les gravillons, que du minéral froid et figé. On est bien loin des cimetières scandinaves, avec leurs gazons et leurs arbres, où les gens vont faire leur promenade ou leur footing.
Il y aurait aussi un intérêt spirituel qui ne serait pas religieux, plutôt philosophique. C’est ce qu’explique Manon Moncoq, anthropologue à l’université de Tours, qui prépare une thèse sur les funérailles vertes. Pour elle, l’affaiblissement de la religion, notamment catholique, permet justement que cette idée séduise de plus en plus. “La mort, on a besoin de lui donner du sens. C’est tellement inconcevable qu’il fallait savoir à quoi ça servait, ce qu’il y avait après. La religion apportait une réponse énorme à ces questions-là et accompagnait les étapes de la vie, avec le baptême, le mariage, l’enterrement. Et avec une déchristianisation importante en France ces dernières années, quand il y a eu cette rupture, beaucoup de personnes se sont retrouvées sans point pour s’accrocher. Je pense que ce côté naturel, écologique, répond à ce nouveau besoin. On a un glissement de croyance entre le dogme chrétien et l’esprit de la nature. Pourquoi meurt-on ? On mourrait aujourd’hui pour nourrir la terre de nos enfants”. Wow.
Un peu comme la religion a longtemps fait obstacle à la crémation (condamnée par l’Église jusqu’en 1963), il y aurait donc aujourd’hui moins de contraintes sociales à disperser des cendres (ça, le Vatican le condamne toujours) ou carrément se volatiliser en terre.
Si l’idée est séduisante, est-ce qu’elle est réalisable ? Le procédé reste illégal partout, sauf prochainement dans un État américain, celui de Washington. Annoncée en mai 2019, la loi entrera en vigueur en mai 2020, notamment grâce au travail de recherche et développement d’une entreprise, Recompose. Elle s’est dotée de sa propre infrastructure et prendra en charge ses premiers corps au printemps 2021, pour un tarif de 5 500$ par défunt.
Je leur ai donc écrit, pour leur demander si j’étais le seul à penser à l’humusation. “On reçoit des emails du monde entier de gens intéressés, me rassure Anna Swenson, de l’équipe de Recompose. Au-delà de la mise en place technique (et du business qui va avec), la compagnie fait aussi du lobbying pour exporter l’idée. “On travaille durement à planifier une expansion aux autres États puis à d’autres pays. On s’attache à rendre Recompose disponible partout où c’est demandé”.
Mais faudrait donc que j’aille me faire enterrer à Washington ? Concrètement, ça se passe comment ? “Si vous vouliez opter pour l’humusation, il vous faudrait probablement passer par une maison funéraire dans votre région pour mettre en place le transport vers notre infrastructure de Seattle”. Donc pour l’instant, compliqué.
Autre option peut-être bientôt possible, la Belgique. Dans les Ardennes, quelques bénévoles ont créé une fondation d’utilité publique pour faire avancer les choses. Avec un agenda : légaliser l’humusation au Plat Pays. Et un motto, formulé par leur président : “il n’y a pas de déchets dans la nature, que des ressources”. Francis Busigny, ingénieur en gestion de l’eau, regrette le fait qu’“au moins 200 personnes sont mortes sans pouvoir en bénéficier, alors qu’elles avaient signé leur acte de dernière volonté, nous faisant part de leur boycott des pratiques actuelles. Il est urgentissime qu’on ait une solution pour ceux qui le veulent, puisqu’on ne veut pas interdire le reste des techniques existantes”. Pour prouver la crédibilité du processus, la fondation a déjà fait des tests de compost sur “tous les animaux possibles et inimaginables, et ça fonctionne à merveille”. En revanche, “ça prend trop de temps pour avoir les résultats sur des humains”, déplore le président. “On ne voit pas pourquoi on pourrait donner son corps à la science et pas pour faire ces tests. On ne va pas prendre le travail aux pompes funèbres, précise M. Busigny. Tout ce qui se passe entre la mort et la cérémonie ne va pas changer”.
“Il faut repenser et redéfinir complètement l’espace de mémoire, analyse Manon Moncoq, en marge de sa thèse d’anthropologie.
La fondation se dit prête à accueillir des corps venus d’autres pays. “Quand ce sera légal ailleurs, ce sera plus facile de le faire accepter. La législation n’évoluera que dans les régions où il y aura une volonté citoyenne”.
Elle prévoit aussi de bâtir un lieu dédié à l’accueil des défunts, un centre pilote près de Rochefort, quelque part entre les Ardennes françaises et le Luxembourg.
Car s’il reste une question majeure, c’est bien celle de l’espace du deuil. Où est-ce que ma famille, mes potes iraient se recueillir ? Si mon corps disparaît en terre, qu’est-ce qu’il en reste ? Beaucoup de gens n’ont pas besoin d’un point physique pour se remémorer des proches; l’idée et le souvenir de la personne nous suivent partout et sont intemporels. Sauf que disparaître, ça engage soi-même mais aussi son entourage, et beaucoup restent attachés aux stèles, aux fleurs, au marbre. Et au fait d’être entouré de ses défunts proches, les tombes étant souvent familiales. Bref, tout ça redéfinit la notion du deuil. “Il faut repenser et redéfinir complètement l’espace de mémoire, analyse Manon Moncoq, en marge de sa thèse d’anthropologie. Pour l’inhumation, vous avez un lieu spécifique, un cimetière, une tombe. Même si on n’y va pas, on sait que notre défunt y repose. Il est accompagné d’autres défunts, il fait partie d’une mémoire collective. Donc on voit à quel point l’espace de mémoire est important, pour plein de raisons : la mémoire collective, le deuil, la séparation des vivants et des morts. Pour l’humusation tout ça est bouleversé. Comment va s’effectuer la mémoire et la gestion du deuil ?”
L’avenir et la mort nous le diront.