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Entre précarité et inégalités : vis ma vie de jeune chercheuse

Discussion avec ces têtes penseuses tiraillées entre passion et manque de projection.

Par
Hélène Porret
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Qui dit confinement allégé, dit retour du droit de manifester. Depuis deux semaines, je promène à nouveau mon appareil photo au milieu des cortèges à Paris. Le samedi 5 décembre – avant que la marche ne tourne court, la journée était placée sous le signe de la convergence des luttes, celles contre la précarité et la proposition de loi « sécurité globale ». De jeunes chercheur.es du collectif « Facs et labos en lutte » étaient aussi de la partie pour contester le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), voté au Sénat le 20 novembre dernier. Vous n’en avez pas entendu parler ? Je vous explique rapidement. Le texte prévoit d’injecter 25 milliards d’euros d’ici 2030 dans la recherche publique, en souffrance depuis plusieurs années. Bonne nouvelle ? Oui, et non. Pour la communauté universitaire, les mesures pour parvenir à cet objectif vont aggraver la compétition entre labos et accentuer la précarisation des plus jeunes.

Car oui, on peut avoir fait bac +10, passer son temps à trouver de nouveaux vaccins, et ne pas avoir un dossier assez solide pour louer un appartement à Paris (ou ailleurs). Si votre numéro de sécurité sociale commence par le chiffre 2, votre parcours risque de se corser. Comme partout, le milieu n’est pas épargné par les inégalités femmes-hommes. Preuve que la pilule ne passe pas, une autre mobilisation a aussi eu lieu le 10 décembre. J’en ai profité pour discuter avec de jeunes chercheuses pour mieux comprendre leurs conditions de travail. A les écouter, il faut avoir les nerfs solides (et une bonne dose de vocation) pour espérer durer.

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« Je suis payée 1490 euros. Je fais partie des chanceuses »

Et ça commence dès le doctorat, avec la recherche de financements. Si en sciences exactes (mathématiques, biologie, physique), les doctorant.es sont payés directement par les labos grâce à des contrats doctoraux (un contrat de travail d’une durée de trois ans), en sciences humaines et sociales, c’est plus compliqué.

« On peut aussi postuler à des contrats doctoraux mais il y en a très peu. La concurrence est rude », m’alerte Laura*, 33 ans, qui finance elle-même sa thèse, en multipliant les petits jobs. En cinquième année de doctorat en sociologie, la jeune femme travaille cinq jours par semaine en cumulant deux postes dans l’administration, et étudie les soirs et week-ends. « Les trois premières années, je touchais à peine 1 000 euros par mois », m’explique t-elle. « J’avais seulement deux semaines de vacances par an que j’utilisais pour faire du terrain pour ma recherche.» La doctorante tente alors les vacations à la fac mais abandonne au bout du premier contrat. « On est payé au bout de neuf mois pour une somme dérisoire, environ 900 euros.»

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De son côté, Camille*, 29 ans, thésarde en littérature a réussi à obtenir un contrat doctoral. « Je suis payée 1490 euros net. Je fais partie des chanceuses », sourit-elle. Si la jeune femme a du temps pour se consacrer à sa recherche, son esprit demeure toutefois préoccupé par son avenir professionnel. « On est poussé à se surpasser au nom du prestige du métier », ajoute-t-elle.

Cerveaux en surchauffe

Les exemples de burn-out et de surmenage sont fréquents. « Ça m’est déjà arrivée d’aller en Angleterre pour assister à une conférence la journée et de revenir avec un train de nuit le soir même. Le lendemain matin, je me brossais les dents à l’université et j’allais donner un cours. J’enchaînais ensuite avec autre chose », se remémore Lila, 29 ans, doctorante en sociologie.

Atteinte du/de la Covid en mars, elle se remet doucement de cette infection virale. « Je sais que ce n’est pas non plus sans lien avec la vie que j’ai menée pendant ces quatre ans de doctorat. Je ne me suis pas écoutée. J’ai usé mon corps.»

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Une fois la thèse en poche, deux voies s’offrent à ces têtes penseuses : celles de l’enseignement ou de la recherche pure. Dans tous les cas, le parcours du combattant reste le même. Avant de décrocher un poste comme titulaire, il faut se préparer à enchaîner les contrats courts pendant plusieurs années – des CDD de douze mois en moyenne pendant lesquels il faut réaliser un certain nombre de publications.

En sciences expérimentales (physique, chimie, biologie), le passage par un labo à l’étranger pendant au moins 18 mois est valorisé et rapporte des points. « Pour être enseignante-chercheuse, il faut ensuite passer un concours. Mais les places sont chères et les postes rares. Ça n’arrive pas avant 35 ans dans le meilleur des cas », m’explique Esther*, 30 ans, en deuxième année de post-doc en immunologie.

Entre déménagements fréquents et faibles revenus, difficile de se projeter dans un projet familial. « Pour le moment, je ne veux pas d’enfant. Mais dans cinq ou six ans, la question se posera et ce sera un dilemme terrible. Je n’ai pas envie d’y penser », raconte Lila.

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Des inégalités chez les gradés

Face à ces horizons bouchés, Esther, elle, se laisse encore un an avant de se reconvertir comme professeure au lycée, tandis que d’autres choisissent de se tourner vers le privé ou faire carrière à l’étranger. « Je compte partir aux Pays-Bas car il y a plus de moyens. Si je veux être chercheuse en France, il faudra que j’attende des années pour avoir un vrai poste. La loi LPPR n’arrange rien à cette situation », soutient Laura.

La création de nouveaux types de contrats inquiète. L’article 6 prévoit par exemple l’introduction d’un « CDI de mission scientifique » grâce auquel un « agent peut être recruté, pour mener à bien des projets ou opérations de recherche, par un contrat de droit public dont l’échéance est la réalisation du projet ou de l’opération ». De longs CDD déguisés selon les opposant.es à la loi.

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Certain.es universitaires regrettent qu’aucune étude d’impact n’ait été effectuée pour évaluer les conséquences de celle-ci en terme d’égalité femmes-hommes. Si en début de carrière, hommes et femmes sont logés à la même enseigne, l’écart se creuse chez les fonctionnaires. D’après les chiffres du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation en 2018, les enseignants-chercheurs touchent en moyenne 3685 euros nets par mois contre 3298 euros pour les enseignantes chercheuses.

Autre donnée : selon l’Agence nationale de la recherche (qui donne l’argent aux chercheur.es) entre 2015 et 2018, 70% des projets lauréats des financements sont portés par des hommes. « Le renforcement de la logique d’appels à projets prévu dans la LPPR va mettre à mal la notion d’égalité. Elle valorise la mise en concurrence et la performance. Or, on voit que les carrières des femmes sont plus hachées que celles des hommes, notamment en raison des congés maternité. Cela crée des trous dans les CV », note Fanny Gallot, maîtresse de conférences en histoire à l’université Paris-Est Créteil, auditionnée le 10 septembre dernier par le Haut Conseil entre les femmes et les hommes.

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Des mesures ont été proposées, comme la mise en place de quotas. « C’est une manière de contrebalancer la méfiance à l’égard des compétences des femmes, qui elles-mêmes s’auto-censurent car elles ont intériorisés ces normes. Mais elles sont tout aussi compétentes et ambitieuses », poursuit l’historienne.

En 2020, deux femmes ont remporté le prix Nobel de Chimie, la Française Emmanuelle Charpentier et l’Américaine Jennifer Doudna. Et toc !

* Les prénoms ont été modifiés