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Si vous aimez les livres et le silence, si votre mot préféré c’est la « sérendipité » , si le fait de disposer vos affaires sur une table de bibliothèque a pour vous la saveur d’un rituel…
Vous avez peut-être déjà envisagé de faire une thèse de doctorat, sans trop savoir par où commencer. Étant déjà passée par là, je vous ai préparé ce petit article pour vous aider dans vos vell éités universitaires et vous permettre d’aborder le choix de faire une thèse avec sérénité. Oui, c’est possible.
Le sujet
D’abord, il vous faut un sujet de thèse. L’idée peut vous arriver comme un éclair lumineux, quand tranquillement installé dans votre fauteuil à oreilles, vous finissez La cousine Bette de Balzac. Là dans un moment d’exaltation vous vous écriez : « Mais il y a toute la Volonté de puissance nietzschéenne dans La Comédie Humaine ! »
Oui, une idée de sujet de recherche, ça peut vous arriver n’importe où (évitez quand même ceux apparus à vos yeux ébahis à cinq heures du matin après votre quinzième tequila) et c’est souvent accompagné d’une sensation grisante de « découverte » due au pont inédit réalisé par vos neurones échauffés.
Ensuite, vous devrez vérifier la pertinence de votre idée. Il faut que votre sujet soit une « niche », en d’autres termes un sujet auquel personne n’a jamais pensé avant vous, ou bien un angle neuf sur une thématique particulière. Parce que votre job c’est de faire avancer la recherche, ie la somme de savoir à disposition de l’humanité (ou des fanatiques de Balzac et de tequila). Alors pour éviter d’inventer l’eau chaude, vous allez commencer à chercher. Cette idée est-elle éculée ? farfelue ? sans intérêt ? Un bon début c’est d’aller fouiner ici pour voir si personne n’a soutenu quelque chose de semblable. En tapant Nietzsche et Balzac dans le moteur de recherche, on trouve quelques thèses faisant le rapprochement entre les deux auteurs (c’est important que d’autres y aient pensé avant vous, vous ne découvrirez pas l’Amérique !), mais rien qui ne reprenne directement votre salutaire intuition.
Donc ça y est, vous avez un sujet inédit. Maintenant posez-vous la question de savoir si vous l’aimez, ce sujet. Autrement dit, aussi pertinent soit-il, si vous ne pouvez pas vous farcir les aphorismes de Nietzsche et mourez d’ennui à l’idée de relire Le colonel Chabert, vous ne cherchez pas au bon endroit. Car le doctorat, comme l’expliquent si bien les sites des universités françaises (oui, un chercheur passe beaucoup de temps sur les sites institutionnels, préparez-vous), est « une formation à la recherche par la recherche ». Vous êtes, comme moi, ébahis par la merveille tautologique de ce principe ?
Alors on continue. En gros, votre thèse sert à la fois à produire du savoir et à vous former à devenir chercheur. Pour défendre votre rapprochement entre Balzac et Nietzsche, il va falloir les connaître sur le bout des doigts: leur époque, les idées qui la dominent, celles qui traversent les œuvres ; bref, faire ce qu’on appelle un état de l’art. Et en même temps que vous développez votre pensée, vous vous mettez à acquérir les outils conceptuels vous permettant de travailler votre sujet. Donc, vous vous formez.
En résumé, un bon sujet de thèse doit à la fois :
— remplir un vide théorique dans votre domaine d’étude
— remplir un vide théorique dans votre propre cerveau, pour permettre à votre pensée de se déployer enfin, avec force, avec pertinence, avec passion ! (je me calme)
La direction de recherche
Avec votre petit sujet (révolutionnaire) en poche, il faut maintenant se mettre en quête d’un.e directeur.ice de recherche. C’est là qu’il faut commencer (continuer) à penser de manière stratégique. Parce que c’est bien beau d’aimer le silence feutré des bibliothèques mais c’est encore mieux d’avoir de quoi se payer à manger pour alimenter votre cerveau. Et pour ça, il faut tenter de décrocher le graal, j’ai nommé le Contrat Doctoral. C’est une bourse de recherche qui prend la forme d’un contrat d’une durée de trois ans, pendant lesquels vous êtes payés pour faire votre thèse. Son attribution se fait en deux tours, une admissibilité écrite sur le projet de thèse, un oral d’admission en face du conseil de l’École doctorale. Bien que la sélection passe par ce qu’on appelle un « concours », ce qui laisse supposer une égalité de traitement et des chances, son obtention est tout sauf transparente. Elle dépend :
— de la qualité de votre projet de thèse (là je vous fais confiance)
— de son inscription dans les axes de l’École doctorale que vous visez
— de l’influence de votre directeur
Pour tenter de reprendre un peu la main sur les points 2 et 3, il va falloir faire un nouveau petit travail de recherche (histoire de mettre à l’épreuve vos capacités de chercheur pas encore émérite). Ici, soit vous choisissez d’abord l’université, soit d’abord votre directeur.ice. Dans les deux cas, passez au crible les axes de recherche de l’École doctorale afin d’y adapter la présentation de votre sujet. Quant au choix de votre directeur.ice, soyez très attentif.
D’abord, vérifiez que ses domaines de recherche sont proches du vôtre : cela signifie qu’ielle partage votre passion pour Balzac et qu’ielle possède le savoir nécessaire pour vous orienter dans la bonne direction. Ensuite, n’oubliez pas que cette relation intellectuelle durera trois ans a minima, et que d’elle dépend la suite de votre carrière universitaire. Il faut absolument que vous vous sentiez en confiance et que votre directeur.ice soit impliqué auprès de ses thésards.
Afin de savoir cela, hop, on fait un nouveau tour ici ! Vérifiez le nombre de thèses qu’ielle suit : plus un.e directeur.ice est influent.e, plus ielle encadre des doctorants. Mais vérifiez surtout si ces thèses ont été soutenues ! Un.e directeur.ice dont la majorité des doctorants n’a pas terminé sa thèse après cinq ans est à fuir, c’est qu’ielle ne fait pas son travail d’encadrement avec sérieux.
Le plus important reste sa disponibilité. Elle va dépendre de son intérêt réel pour votre sujet et de ses qualités humaines et professionnelles. Selon moi, une bonne jauge est la rapidité et la précision de ses retours : quelqu’un d’investi doit prendre le temps de répondre à vos mails dans la semaine et vous apporter des informations pertinentes.
Un peu de recul
Pas de panique si, malgré tout votre investissement, vous n’obtenez pas de financement. Vous pouvez tout de même faire une thèse en travaillant à côté : en tant que contractuel dans l’enseignement secondaire, faire des vacations à l’université, se trouver un poste tranquille dans les bibliothèques universitaires (ils recrutent chaque rentrée, pensez-y !), ou encore en faisant des piges pour des magazines *Urbains au contenu extraordinaire*…
Mais surtout, prenez du recul.
Du recul sur votre sujet de thèse, car cette capacité de mise en perspective vous évitera les déboires qu’un manque de lucidité sur ses propres recherches entraine.
Et du recul enfin sur la carrière de chercheur, car elle est hautement aléatoire et l’obtention d’un poste après la thèse ne déprendra pas uniquement de vous, mais de politiques internes aux universités et de dizaines de facteurs que vous ne pouvez pas maîtriser.
Donc faites votre thèse parce que vous aimez l’activité de recherche, qu’elle vous habite et donne du sens à vos journées : mais n’oubliez pas que cette activité, vous pourrez la pratiquer en dehors du cadre institutionnel si, une fois docteur.e, vous n’arrivez pas à trouver un poste. Ça vous permettra d’éviter l’amertume que provoque un système hautement compétitif. Et c’est essentiel.
Bon courage mes petits thésards, j’espère que ces quelques conseils trouverons échos à vos oreilles chercheuses et qu’on se retrouvera bientôt dans un colloque !