TPMP, du divertissement à l’écœurement

Chaque soir, vers 20h35, juste après le journal télévisé, la France bascule dans un univers parallèle. Mais ça ne se passe pas sur TF1 ou France 2, non. Ça se passe sur C8, dans Touche Pas à Mon Poste, animé par Cyril Hanouna. Normalement, c’est une émission qui décrypte la télévision, s’en amuse, en faisant venir des chroniqueurs (pas forcément les plus fines lames de l’audiovisuel) pour dire tout le mal qu’ils pensent des émissions des autres chaînes. Mais depuis plusieurs semaines, ça ressemble très étrangement au bistro qui est fermé depuis des mois. Entre la Suze et la Poire, dès 19h, ça commente les déboires des vies privées des starlettes, ça donne un écho aux théories du Front National, et ça reprend un verre de Muscadet. Ah non, en fait, on est à la télévision, donc pas d’alcool, mais vous pouvez garder le reste, c’est pareil.

Mardi 11 mai, l’animateur lance un débat sur le port du voile. Retour en arrière sur la programmation des dernières semaines. Lundi, Hanouna reçoit le père de celui qui a tué un flic. « Pour essayer de comprendre, pour donner la parole à tout le monde ». Mardi, Hanouna reçoit un mangeur de viande face à une activiste de la cause animale, hyper démonstratrice. « Pour essayer de comprendre, pour donner la parole à tout le monde ». Mercredi, Hanouna reçoit Loana, qui va s’expliquer pour la première fois sur sa tentative de suicide et ses relations toxiques. « Pour essayer… » Bon, je pense que vous avez compris. Et ainsi de suite avec Juan Branco, ou Pierre Menes, accusés de comportements au moins dangereux envers les femmes, pour ne pas dire criminels. Au milieu de tout ça, il y a parfois un ministre, comme Marlène Schiappa, Jean-Baptiste Djebbari, ou Agnès Pannier-Runacher, une starlette de la télé-réalité qui accuse de violences ou de consommation de drogue, puis l’accusé qui vient se défendre.

En gros, si vous faites polémique, vous êtes quasiment sûrs d’être invités le soir ou le lendemain dans l’émission. A tel point, que sur les réseaux sociaux, Hanouna est devenu un Meme. Dès que qu’il y a une petite polémique, les internautes mettent une photo d’Hanouna avec un texte supposé du genre : « Les chéris, on va pas se mentir, voilà… On voulait donner la parole à Isabelle Balkany, voilà, les chéris. Elle a eu des petits soucis et on se dit tout, on s’est dit on peut pas laisser faire ça. Alors voilà, vous le savez, moi, je donne la parole à tout le monde, alors voilà, les chéris. » Et justement, sur les réseaux, chaque soir, ça réagit beaucoup. Pour insulter surtout, pour soutenir un peu. Côté ligne éditoriale, il y a de quoi donner le tournis à un tenancier de grand 8. On est entre France Dimanche, Le Nouveau Détective et Closer. C’est comme quand on passe à côté de gens qui s’engueulent ou se foutent dessus dans la rue, ou un accident sur la route : on sait que c’est pas bien, mais on ne peut pas s’empêcher de traîner pour regarder. TPMP, c’est cet effet “accident” quand on zappe : on reste un peu pour voir jusqu’où ils peuvent aller dans la connerie. C’est exactement la même recette que les émissions de télé-réalité.

On va pas se mentir, depuis quelques mois, les théories du complot ont le vent en poupe, à cause de la crise du Covid-19. Et ceux qui tiennent des chaînes Youtube sur ce sujet ont souvent aussi des théories qui remettent en cause beaucoup de choses de la société. En gros, rien ne va, on n’est pas bien informés, le tout sans proposer de solution. Non, la vraie solution, c’est d’instiller la peur, de monter les uns contre les autres, de dire que c’est la faute des autres. ça vous rappelle quelque chose ? Oui, c’est exactement la méthode du front national depuis des décennies : opposer, créer la menace, jouer sur le doute, pour faire avancer ses thèses radicales (pour rester polis). Or, le public du front a beaucoup de points communs avec celui qui regarde Hanouna “pour se vider la tête”.

Et que l’animateur donne un écho à ces gens, sous prétexte qu’ils n’aient pas la parole ailleurs, me gêne particulièrement. Pas sûr que ça parte d’un bon sentiment, mais plutôt d’un nez qui sniffe bien les tendances et qui surfe donc sur la vague de ce populisme qui plait tant à son public. Or, en faisant cet écho, comme on dit, on joue le jeu du front. Désormais, c’est de manière décomplexée que des gens viennent à la télévision pour dire tout le mal qu’ils pensent des “racailles”, des arabes, des homos, et j’en passe. Avant, ces gens-là parlaient entre eux au bistrot, rentraient chez eux tout frustrés et la fermaient en société. Aujourd’hui… ils sont décomplexés. Et on le sait bien, on refait facilement en société ce qu’on a vu en télévision. Alors, cette parole décomplexée se répand entre ceux qui s’appellent “patriotes”, “sauveurs”, “informés”, ou “survivalistes”. Toujours les même secoués du bulbe qui font passer leurs frustrations d’une vie pas terrible sur le dos des autres. Et puis, après tout, pourquoi ils ne le feraient pas ? Puisque les politiques le font eux-mêmes.

Rappelons que C8 est la propriété de Vincent Bolloré, homme de droite, voire plus, qui aime diffuser ses idées dans ses médias. L’homme d’affaires a d’ailleurs redécoré l’ancienne i-télé en Cnews, et a retravaillé toute la ligne édito de la chaîne. Finis, les reportages avec les vieilles camionnettes en direct des quatre coins de la France, bonjours les émissions de débat en plateau, axées sur l’insécurité, l’islam, et tout ce qui est d’habitude sujet d’actualité pendant les quelques moins avant une élection présidentielle. Là, la chaîne rend le sujet permanent, pour le rendre encore plus fort en 2022, et ouvrir un boulevard à Marine and Co. Il faut voir les invités quotidiens de L’Heure des Pros et la présence quotidienne d’Eric Zemmour.

TPMP est un peu à CNews ce que Carrefour Market est à un Hypermarché Carrefour : une extension, en plus petit, tenue par la grande gueule du quartier.

Et TPMP est un peu à CNews ce que Carrefour Market est à un Hypermarché Carrefour : une extension, en plus petit, tenue par la grande gueule du quartier. L’animateur et les Bolloré père et fils sont cul et chemise, et jouent un jeu d’influence : tu me rends service, je te rends service. Si je résume : “Poursuis un peu la ligne Cnews, et je renouvelle ton contrat de production pour 5 ans”.

Si on rouvre les portes du bar quotidien “Chez Cyril”, au comptoir, on retrouve des habitués. D’ailleurs, c’est même plus des habitués, ce sont des piliers de comptoir. L’avocat anti-gouvernement Fabrice Di Vizio est présent au moins une fois par semaine, tout comme l’ancien membre du front national Jean Messiah. Je serais eux, je demanderais un cachet comme chroniqueur. A leurs côtés, des patrons de bar, de discothèques, de restaurants, des policiers, des vendeurs de drogues déjà condamnés, des pour, des contre…

Tout ce beau monde n’hésite pas à dire tout haut ce que personne ne leur a demandé tout bas, à gueuler leur haine de la société, leur liberté perdue avec les restrictions liées au covid, en fait… à gueuler contre tout et pour rien. A leurs côtés également, des chroniqueurs qui donnent leur avis sur la société. Et c’est vrai que l’autre jour, je prenais tranquillement mon café lorsque je me suis arrêté net en me disant : « Mais attends, j’ai pas encore l’avis de Benjamin Castaldi sur les affrontements entre jeunes des cités et policiers, ça me manque ! » L’instant d’après, un autre choc m’a parcouru le corps : « Mais je connais pas non plus l’avis d’Isabelle Morini-Bosc sur le port du voile ! ». Et Gilles Verdez, il en pense quoi ? De tout ? Et ça manquait vraiment à ma vie.

Heureusement, Saint-Hanouna a résolu ça, en donnant la parole à chacun lors de ses débats. Il y a un homme en télévision qui excellait aussi bien dans le divertissement que dans l’animation de débats, c’est Christophe Dechavanne. Or, Hanouna se rêve en Dechavanne des temps modernes, et souvent comparaison est faite par les pros du métiers. Au point qu’une secrétaire d’État a déclaré qu’il ferait un excellent animateur du débat d’entre-deux tours pour l’élection présidentielle. La reine du lissage brésilien, Marlène Schiappa. Et ça a si bien marché, que ça a fait débat pendant quelques jours dans les médias. A tel point que, comme ça faisait polémique, Hanouna décide d’en faire un débat dans sa propre émission. On est en plein Inception, là.

À une époque, qu’on adhère ou pas, TPMP avait pour mission de faire rire, de divertir le téléspectateur. Avec des chroniques comme celles de Jean-Luc Lemoine ou Camille Combal, partis depuis. Okay, l’époque se prête moins au rire gras, mais de là à devenir un relai quotidien des tabloïds et des thèses complo-frontistes, il y a un grand écart qui casserait l’entre-jambe de la plus souple des pornstars. De populaire, TPMP est passé à populiste, en s’inspirant de la formule “actu” de son concurrent Quotidien, animé par Yann Barthès, chaque soir, en face, sur TMC.

Après l’impossibilité de tenir son émission de débats hebdomadaire Balance Ton Post, et aussi une érosion des audiences de sa quotidienne, Hanouna tente le tout pour tout, car il faut bien survivre à l’audimat : il met un morceau de BTP dans TPMP, et invite la société dans le médiatique. Roland Barthes n’est pas loin. Bon en l’occurrence, on se situe plutôt du côté de Morandini avec Tout est possible et Bataille et Fontaine avec Y a que la vérité qui compte, et de Confessions intimes, soit le menu burger des pires heures de la télé poubelle. On est vraiment à ça du supplément nuggets : Jacques Pradel qui revient avec ses émissions sur l’extra-terrestre de Roswell ou Perdu de Vue. En fait, TPMP est devenue une chaîne Youtube géante de complotistes, portée à l’antenne nationale. Entre eux, ils savent qu’ils ont raison, ou plutôt, ils ne reconnaitront jamais qu’ils peuvent avoir tort. Malheureusement c’est beaucoup moins drôle que l’original : Brèves de comptoir, de Jean-Marie Gourio.

J’ai un rêve. C’est que Cyril Hanouna est en train de tourner une énorme caméra cachée, et qu’il va effectivement se présenter à l’élection présidentielle 2022. Qu’il va ressortir un montage vidéo bien senti, de toutes les conneries prononcées par ces beaufs sur son plateau pour dire « Alors, ils sont pas cons, mes chéris ? On a bien golri »… C’est beau de rêver. Mais je crois malheureusement que, chaque matin quand il se lève, Cyril Hanouna ne pense pas à la France de 2022, il pense à ses audiences de 9h01.