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Sur quoi se masturbe ton voisin (et ce que ça dit de notre société) ?

Par
Bettina Zourli
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Depuis maintenant neuf ans, Pornhub nous offre le privilège de savoir sur quelles thématiques nos voisins et voisines se masturbent. Chaque année, on découvre également les nouvelles tendances, un moyen d’en savoir plus sur les goûts et fantasmes des êtres humains, d’un point de vue sociologique, évidemment. Bon ok, c’est surtout du putain de voyeurisme, je vous l’accorde. Mais quitte à être un peu trop curieuse, autant que ce soit pour la bonne cause.

On le sait désormais, les productions audiovisuelles sont des miroirs ou parfois des avant-gardes de notre monde. Et le porno alors ? Il représente 30% du trafic internet mondial ! Il est grand temps de s’y pencher avec un peu de sérieux, non ?

2022, quelles nouveautés ?

La France est le troisième pays regardant le plus de porno sur les sites de Pornhub (le site fait partie du groupe Mindgeek, qui possède aussi Youporn et RedTube), et notre consommation a légèrement augmenté depuis 2021.

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Mais qu’est-ce qu’on regarde, au juste ? En bon chauvin que sont les hommes français (oui parce que les hommes représentent 68% des Français.es regardant du porno sur Pornhub, c’est toujours aussi genré) c’est la recherche “Française” qui arrive en top search !

En fait, chaque pays recherche des vidéos porno de son propre pays : est-ce qu’on est plus excité quand les personnages parlent notre langue ? En Belgique, la top search est aussi “française”, ce serait donc bien une question de langue plus que de nationalité.

Toutefois, le Hentai (manga japonais à caractère sexuel) arrive en seconde position en France mais aussi très haut dans les classements du monde entier. Pas sûr que tout le monde comprenne le japonais pour autant.

Passons maintenant aux top trend : les mots ou expressions qui ont connu la variation de recherches la plus importante. En France, “poupée sexuelle” enregistre +363% et “première sodomie” +296%.

Le porno, d’une déconcertante banalité ?

Sans grande surprise, les sites porno sont peu fréquentés les vendredi et samedi soir. Par contre, ça y va les dimanche et lundi soirs. Ces fameux soirs de déprime avant la reprise, ou le blues du lundi. Hop, un petit porno et ça repart ! Bref, le porno, comme Netflix ou la télé, c’est une pratique sociale qui remplit nos soirées chill. Mais ce qui est intéressant, ce sont les recherches mainstream qui en disent long sur notre imagination et nos envies.

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La catégorie dont les recherches ont le plus augmenté entre 2021 et 2022 sur le réseau Pornhub est “Reality” : aux Etats-Unis, c’est “real amateur homemade” qui rencontre désormais le plus de succès. En France aussi, on aurait un certain penchant pour le réalisme : la troisième expression dont les recherches ont le plus augmenté en France en 2022 est “real rencontre” (oui on parle toujours aussi bien anglais vous avez remarqué ?).

Alors quoi, on n’arrive tellement plus à apprécier les rapports humains réels qu’on cherche juste à voir un rapport sexuel basique, réaliste, amateur, en ligne ? Pas si sûr : en fait, il semblerait que l’on ai surtout diabolisé le porno, en lui prêtant un rôle révélateur de goûts amoraux et sordides. Une étude canadienne menée en 2014 mettait en avant qu’il existe seulement 55 catégories de fantasmes chez les hommes et les femmes. « En-dehors des deux fantasmes pathologiques et illégaux que sont la pédophilie et la zoophilie, qui ne se retrouvent que chez 2% des gens (dont Bastien Vivès TMTC), les 53 autres sont tous assez répandus », montre l’étude, relayée par Femina Suisse.

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Le porno, toujours sexiste ?

Bon, c’est bien mignon de savoir que les hommes français adorent leurs compatriotes mais aussi les animés japonais sexuels ou que l’anal reste le fantasme numéro 1. Mais désolée de vous l’apprendre : d’années en années, rien ne change côté sexisme. Le porno est toujours le reflet d’une société embourbée dans le sexisme et la fétichisation.

Dans les années 2000, le mot “beurette”, héritée du masculin “beur”, un terme utilisé dans les années 1980 par les médias français à propos des personnes maghrébines ayant manifesté massivement contre le racisme, devient une top trend sur les sites pornographiques. Aujourd’hui encore, quand on tape le mot sur google, on n’arrive pas sur des sites d’actualités, mais bien sur divers sites pornographiques. Pendant des années, le mot arrivait d’ailleurs en tête des infographies Pornhub pour les Français. D’ailleurs, si le mot disparaît peu à peu des tops, la recherche “femme voilée” quant à elle, à enregistré +213% de recherches en comparaison à l’année passée. Mais pourquoi ?

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De nombreux sociologues y ont réfléchi : pour la chercheuse Nacira Guénif-Souilamas, « c’est un mot de l’humiliation des femmes arabes ». Pour de nombreuses femmes maghrébines s’exprimant sur Twitter à ce sujet, il s’agit d’un “fétichisme colonial et sexiste”.

En gros, un mec qui dénigre l’Islam peut aussi être un mec qui s’excite sur un porno avec une femme voilée. D’ailleurs, les deux vont en réalité plutôt de paire. Il en est de même pour la catégorie “lesbienne” qui arrive en top trend en France et dans de (trop) nombreux pays occidentaux.

D’ailleurs, une étude menée par l’Université du Nebraska mettait en avant une corrélation entre la consommation de porno tôt dès l’adolescence et le développement d’une pensée sexiste. Attention toutefois, ce genre d’études a aussi été vivement critiquée : corrélation ne serait pas toujours causalité !

En 2022, à l’international, c’est la catégorie “Gender” (genre) qui arrive en seconde position des recherches qui ont le plus augmenté. Le porno se fait un miroir des sujets de société, mais aussi des violences et des discriminations. Ainsi, la catégorie “transgenre” est désormais la 7ème catégorie la plus populaire au monde sur Pornhub. Et si les droits des personnes trans sont encore loin d’être acquis, on peut espérer que les luttes actuelles montrent la voie pour que l’intégrité des personnes trans ne soit plus en danger dans les décennies à venir.

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Le développement des porn studies, un outil précieux

Comme l’explique Sébastien Hubier, professeur en études culturelles dans une interview, « les quelques études sur la thématique montrent plutôt le rôle cathartique de la consommation de ces contenus. Sans eux, il est probable que les violences sexuelles seraient plus importantes dans notre société. »

Il publie en 2021 l’essai Pornologie, dans lequel il invite à la démocratisation des porn studies, déjà bien développées aux Etats-Unis, notamment dans les universités les plus prestigieuses des Ivy League. Pour lui, montrer que le porno est un sujet d’étude à part entière permettrait de lever le tabou de cette pratique pourtant habituelle pour une grande partie des êtres humains. Mais aussi de comprendre la façon dont notre monde évolue.

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Si l’on se mettait à parler de nos pratiques quant au visionnage d’un porno, de nos goûts, comme on parle de nos préférences alimentaires, une normalisation serait certainement à attendre, et donc par là, l’effacement de déviances illégales ou en tout cas, peut-être, une réflexion personnelle et collective sur le sujet.

Ce qui est certain, c’est que l’infographie annuelle de Pornhub est un outil génial qui, mis dans les mains des sociologues et chercheurs spécialisés sur le sujet, peut servir à mettre fin au tabou du porno, tout en mettant en lumière les problématiques sociétales qu’il exacerbe.