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Suicide d’une ado trans à Lille : « C’est un échec collectif. L’école doit jouer le rôle de refuge. »
On aurait aimé avoir tort et que l’actu contredise le titre de cet article qu’on a publié le 19 novembre dernier, à l’occasion de la Journée du souvenir trans. Mais non : en 2020, la transphobie tue encore et toujours. Fouad, une lycéenne transgenre de 17 ans s’est suicidée ce 15 décembre 2020 dans son foyer d’accueil. Ce drame relance, une fois de plus, la question du manque d’accompagnement des ados trans dans les établissements scolaires, et plus généralement au sein de la société.
« Je n’ai pas été surprise de ce tragique événement, hélas. Une autre étudiante trans, Doona, s’est aussi suicidée à Montpellier en septembre dernier. Ce sont des cas de figures qu’on retrouve malheureusement plus souvent qu’on le voudrait », m’a confié Gabrielle Richard, auteure et chercheuse québécoise installée en France. « Pour les personnes qui, comme moi, connaissent les expériences scolaires des jeunes LGBT, je sais à quel point les jeunes trans se retrouvent au carrefour de plusieurs difficultés, de problèmes d’accès aux sphères institutionnelles incluant médicales et scolaires. Je connais trop bien ça… »
Selon elle, ce suicide c’est « le constat d’un échec collectif : de l’Éducation nationale et de la société en général qui ne sait pas inclure ces jeunes-là » raconte la spécialiste qui estime qu’en France, il manque des lignes directrices encadrant l’accueil en milieu scolaire des jeunes trans et non binaires. « On a de telles lignes directrices au Québec ! La France aura tout à gagner à s’en inspirer. »
une incompréhension de certains concepts de base
Quentin, personne trans non binaire, n’a pas non plus été surpris.e d’apprendre qu’une ado trans s’était “encore” suicidée. « J’ai éprouvé énormément de tristesse mais pas de surprise ». Et selon lui.elle, il est urgent que les établissements scolaires français forment les enseignants, CPE, entre autres, pour accompagner les personnes trans, mais aussi pour éduquer sur la transidentité et la non binarité.
Gabrielle Richard rejoint Quentin dans cette idée que les milieux éducatifs, les profs, et le personnel enseignant, doivent apprendre à accueillir les ados trans. « Ils ont constamment cette préoccupation d’un.e élève trans à accueillir et comment le faire dans le respect de son identité, dans le respect des parents. Je pense qu’il y a une grande confusion sur le rôle de l’Éducation nationale mais on pourrait y remédier en produisant des lignes directrices, c’est pressant. »
« Je trouve que l’école est maltraitante envers les élèves trans. »
Mais d’après elle, cela ne s’arrête pas là. Il y a aussi un grand manque de formation par rapport aux questions LGBT au sens large et aux questions trans de façon plus spécifique. « En ce qui concerne Fouad, apparemment, l’équipe éducative l’a soutenue mais au niveau de la direction et du rectorat, il y aurait eu du mégenrage, notamment après le décès de l’étudiante, ce qui ajoute encore de l’injure à la tragédie initiale. C’est terrible. Donc il y a vraiment une incompréhension de certains concepts de base et des manières de référer à ces jeunes là », m’explique la Québécoise qui estime qu’il y a une vraie nécessité de formation initiale obligatoire. « Il faut le faire avant que le personnel entre en poste, de manière à pouvoir former tout le monde, pas seulement celles et ceux qui sont sensibles à ces questions. Actuellement, on va prêcher aux déjà-convertis et à mon sens, ça pose un problème. »
Au cours de la conversation, elle me rappelle aussi qu’il ne faut pas oublier que le milieu scolaire est et peut encore être hostile aux jeunes LGBT. « Il faut donc changer les choses de façon cruciale, maintenant, c’est urgent ! », répète la chercheuse, prête à mettre toute son énergie pour faire avancer les choses.
« J’ai pris l’habitude que mes sœurs meurent, que tout le monde en parle pendant une semaine et puis qu’on passe à autre chose jusqu’à la prochaine morte. »
« Je trouve que l’école est maltraitante envers les élèves trans. Pourtant, il appartient à l’école d’accompagner et de soutenir ces jeunes qui ne sont pas en sécurité dans leur milieu familial. On ne devrait pas attendre d’avoir l’aval des parents pour l’accommoder au niveau du nom, du pronom, etc. L’école doit jouer le rôle de refuge. »
Pour Claude*, du collectif anti-transphobie, le suicide de Fouad lui a fait ressentir beaucoup de rage. « Car non je ne suis plus surprise. Ces décès sont devenus une habitude. Rien n’est fait pour empêcher qu’ils arrivent. J’ai pris l’habitude que mes sœurs meurent, que tout le monde en parle pendant une semaine et puis qu’on passe à autre chose jusqu’à la prochaine morte. Sauf qu’en tant que femme trans, je n’oublie pas, ni Fouad ni toutes les précédentes, tuées par une société qui ne les respecte pas. Quand on martèle que lutter contre la transphobie, c’est sauver des vies, ce n’est pas pour rien, on sait ce que ça signifie. »
« En ce moment, il y a beaucoup de choses qui se mélangent. Les lois racistes, islamophobes, entre autres, qui arrivent les unes après les autres. Sans parler des agressions faites à des personnes dans la communauté LGBTQ+. Fouad a dû subir toutes ces discriminations. Son suicide, c’est un coup de plus », confie un activiste trans décolonial qui préfère rester anonyme avant de rappeler que Fouad était encore une enfant.
« Les personnes qui l’entouraient, ses vrai.es proches, étaient aussi de jeunes personnes. Tout cela montre l’échec de la part des administrations de la fonction publique, de l’Éducation nationale : bref, de la part de personnes qui sont censées prendre en charge nos enfants. Qu’iels aillent bien, qu’iels soient accepté.es, qu’iels évoluent et grandissent dans un monde qui ne les voit pas comme des personnes déviantes et qui ne souhaitent pas leur mort », explique l’activiste qui estime que l’État français « se leurre dans des pseudos valeurs d’acceptation qu’il ne respecte pas du tout ».
Le 14 octobre dernier, un plan national d’actions pour l’égalité des droits, contre la haine et les discriminations anti-LGBT+ a été annoncé par le gouvernement. Une des mesures vise à mettre en place un guide sur l’accueil des élèves et des étudiants trans à destination de l’ensemble du personnel de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur, notamment sur l’utilisation de la civilité et du prénom d’usage. On va suivre cela de très près.
* Le prénom a été modifié.