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Souvenirs du pensionnat: apologie de la non mixité et de l’uniforme

Ou comment l'individu peut paradoxalement s'épanouir en milieu clos.

Par
Lysis Himmelsterne
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J’avais 13 ans lorsque j’ai intégré un pensionnat de jeunes filles.
En uniforme.
Volontairement.

J’étais pourtant une gamine banale : la libido en feu, fumant des cigarettes en cachette, obsédée par les sorties avec mes copains, par nos grands émois et nos immenses drames. On ne peut pas dire que j’étais docile ou soumise: je cultivais au contraire mon impertinence et mon goût d’avoir toujours raison.

  • J’ai néanmoins passé l’été précédent cette fameuse rentrée des classes 1998 à rêvasser, telle une Emma Bovary en Air Max, à la lecture du trousseau qui devait composer ma petite valise de nouvelle pensionnaire:
    5 culottes en coton
    5 paires de mi-bas blancs ou bleu marine
    une paire de mocassins, derbys ou richelieus en cuir noir ou bleu marine
    2 chandails de laine devant impérativement s’ouvrir au moyen de boutons (pas de zip)
    3 Thermolactyl pour l’hiver
    des escarpins à talons inférieurs à 5 cm pour les cérémonies
    etc.

La robe et le reste de l’uniforme seraient fournis par la Maison.

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Il faudrait tout marquer à l’aide d’étiquettes thermocollantes indiquant mon matricule.

Mon prénom serait bientôt ignoré au profit de mon nom de famille ou plus simplement du générique “Mademoiselle”.
Je vouvoierais et serais bientôt systématiquement vouvoyée par 100% des adultes que je croiserais.

Il serait désormais attendu de moi que je me lève et fasse silence si un adulte venait à entrer dans ma salle de classe. Il faudrait apprendre à faire la révérence (au sens propre).
Il faudrait surtout apprendre à se taire. La moindre excentricité serait proscrite. Le bon travail et les bonnes manières, récompensés d’une médaille. Une attitude contraire au règlement, sévèrement réprimée.

Devenir une élève de cette vénérable institution fondée par Napoléon en personne signifiait voyager dans le temps, goûter à un morceau d’histoire et de traditions, cela impliquait habiter une vieille abbaye classée aux monuments historiques, à la suite de nombreuses générations de pensionnaires avant moi. Partager sa chambre avec pas moins de 100 camarades.

C’était aussi, en partie, marcher dans les pas de ma mère qui m’avait pourtant souvent décrit cette période de sa jeunesse comme malheureuse et ponctuée de mauvais traitements.

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Pour une raison obscure, tout cela me semblait follement romanesque et de fait, excitant (je tiens personnellement le dessin animé Princesse Sarah pour responsable de tout cela, en plus d’une certaine dose masochisme).

Devenir une pensionnaire en uniforme, c’était donc un peu comme participer à une soirée déguisée, je trouvais cela très amusant.

Jusqu’à la première brimade, suivie de la première retenue.

Encore aujourd’hui, l’idée d’occuper un emploi où je devrais pointer mes entrées et sorties me donne des boutons.

Jusqu’au moment d’enfin saisir que j’allais passer les quatre prochaines années de ma vie enfermée entre 4 murs avec pour seule lueur à l’horizon, les sorties du weekend.

J’ai donc, vous l’aurez deviné, très mal vécu l’enfermement, le fait d’être constamment limitée dans le temps et l’espace. Encore aujourd’hui, l’idée d’occuper un emploi où je devrais pointer mes entrées et sorties me donne des boutons.

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Toutefois, n’ayant pas pour habitude de jeter le bébé avec l’eau du bain, je dresse aujourd’hui un bilan plutôt positif de ces quelques années carcérales et, surtout, de ce que j’en ai retiré.

Notamment cette histoire de non mixité et d’uniformes.

Commençons par l’uniforme, car c’est le plus évident

Notons tout d’abord qu’il s’agissait d’un uniforme parfaitement affreux dont la coupe semble avoir été conçue pour ne mettre strictement personne en valeur, et ce, peu importe la morphologie. Dont la matière réussit l’exploit de gratter ET de concentrer de l’électricité statique sans pour autant être isolante.

Dont le chemisier à collerette puéril parachève la tenue en apportant la touche de ridicule qui manquait à l’ensemble. Peut-être pour apprendre à celle qui le porte à rester modeste. Ou pour lui passer l’envie de faire le mur.

J’affirme que l’uniforme comme barrière aux préjugés est diablement efficace.

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Ce n’est donc pas pour des raisons esthétiques, voire fétichistes que je défends aujourd’hui l’uniforme.

Je défends l’uniforme tout d’abord parce qu’il a pour effet magique d’effacer les différences sociales. Vous aurez peut-être du mal à le croire, mais ce pensionnat regroupait tout un éventail de CSP. Et, grâce à l’uniforme, il n’était plus question de marques ou de dernière mode à suivre. Evidemment, comme dans n’importe quel établissement secondaire, on retrouvait les habituelles tribus adolescentes et leurs sous-cultures, mais celles-ci se manifestaient davantage à travers l’attitude que l’apparence.
En d’autres termes, d’une part, il était indispensable de cultiver sa personnalité propre pour être reconnue de ses pairs, et d’autre part, chacune avait l’opportunité d’approcher et d’apprivoiser des personnes qu’elle n’aurait probablement jamais fréquentées “en civil”.

J’affirme donc que l’uniforme comme barrière aux préjugés est diablement efficace.

Et, à ceux qui diront que c’est la mort de l’individu, je répondrai que les weekends servaient bien souvent à compenser ce besoin d’expression vestimentaire et que les plus rebelles faisaient raccourcir leurs jupes, troquaient les richelieus contre des Dr. Martens, se teignaient les cheveux en rose et se maquillaient malgré les consignes explicites du règlement intérieur.

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Ségrégation sexuelle = régression?

La génération de Mai 68 s’est rebellée à juste titre contre une société guindée, prude et bigotte et a obtenu, entre autres, que la ségrégation sexuelle jusqu’alors monnaie courante dans les établissements scolaires prenne fin.

Au nom de l’égalité des sexes et, en filigrane, de la liberté sexuelle.

On commence à se demander aujourd’hui si, au prétexte de libéraliser les mœurs, on n’a pas laissé passer certains concepts douteux (coucou les pédo!) et à se dire que, si les garçons sont indéniablement sortis gagnants de cette révolution sexuelle (assortie de la démocratisation de la contraception), les filles, devenues des femmes, en font un bilan nettement plus mitigé, ayant souvent in fine conservé leurs prérogatives ménagères et la charge de la famille (et de ladite contraception). On s’aperçoit que celles qui couchent beaucoup, se montrent libres, ont de l’ambition professionnelle et de l’autorité continuent d’être stigmatisées et mal vues.

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On sait également que malgré des avancées indéniables au niveau des droits et acquis sociaux, les femmes se soumettent encore, voire plus que jamais, à un certain nombre d’injonctions concernant leur apparence, leur corps, leur façon de parler, de se comporter, d’être au monde.
On est encore élevées pour plaire d’abord aux hommes, et selon l’idée que, pour ce faire, il faudra être “une vraie fille” jusqu’au bout des ongles.

Il n’y a plus vraiment de genres, ni de stéréotypes afférents.

C’est là que la non mixité et le port de l’uniforme peuvent être entrevus non comme des régressions sociales et sexistes mais comme des outils de libération, paradoxalement.

Parce que quand, durant ton adolescence, cette période de construction de l’identité si importante, tu portes un uniforme moche et que tu ne fréquentes que des filles au quotidien, tu court-circuites malgré toi ce système.

Tu échappes aux injonctions.

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Il n’y a plus vraiment de genres, ni de stéréotypes afférents. Plus que des individus qui, s’ils veulent émerger en tant que personnes uniques doivent se distinguer autrement qu’en se sur-sexualisant. Du moins, 5 jours sur 7, ce qui est déjà pas mal. Ce qui est même parfait pour ne pas non plus perdre vue les règles du jeu en milieu mixte. Ce qui permet de subvertir ses règles et de les remettre en question éventuellement, si on le souhaite.

Toutes les anciennes élèves que je connais et fréquente encore aujourd’hui et dont j’ai pu apprécier l’évolution sont des femmes fortes, indépendantes, avec des personnalités en acier trempé. Elles portent en elles ce je-ne-sais-quoi de spécial qui sent la liberté et l’insolence, qu’elles soient issues de famille très traditionnelles ou de milieux progressistes. Et je suis convaincue que cette histoire d’uniforme et de non mixité n’est pas étranger à ça.

uniformes et non mixité : une panacée ?

Une chose est certaine, s’il est vrai que je suis reconnaissante et ravie d’avoir eu la chance de construire ma personnalité et mon identité dans cette espèce de bulle étrange et anachronique au point d’en faire l’apologie, je ne suis pas pour autant persuadée que l’uniforme et la non mixité soient une panacée. Loin s’en faut.

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C’est simplement une solution rapide et superficielle à un problème profond.

Je rêve d’une mixité et d’une liberté joyeuses qui soient exemptes d’injonctions à se conformer.

La vérité, c’est que j’espère de tout mon cœur que les générations suivantes n’auront pas besoin de ce genre de subterfuge, d’être enfermées, ségréguées, ou contraintes dans leurs tenues, pour s’épanouir en tant qu’individus.

Je rêve d’une mixité et d’une liberté joyeuses qui soient exemptes d’injonctions à se conformer. Ce serait là la véritable révolution sexuelle, celle qu’on attend encore… mais qui est peut-être en marche, qui sait?