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Pourquoi il faut plus de « gender editors » dans les médias français
Le Monde ne tourne plus rond, Libé pète un câble, Le Figaro n’évolue pas plus que la presse people. Sans parler de ceux qui continuent à considérer et transmettre l’info à la sauce « vieille France ». Pas très actuelles comme valeurs… Bref, c’est lassant et dangereux de voir que rien ne change. Qu’on s’enfonce dans un abîme sidéral et sidérant qu’on aurait pu prédire il y a bien longtemps déjà. Et pas besoin d’avoir fait une école de journalisme ou SciencePo pour prédire l’avenir de la presse dans l’Hexagone : il suffit de la regarder à l’oeuvre, tous les jours, et de guetter les billets d’excuses en guise d’explications pour justifier une énième erreur de publication.
« -Ah c’est marrant que tu parles du Monde et de Libé, j’ai failli me désabonner la semaine dernière ! -Oui, moi pareil, en fait ». Deux de mes proches ont pensé la même chose que moi, à quelques jours d’intervalle. C’est dire le pouvoir des mots et images que renvoient quotidiennement les titres nationaux. C’est surtout triste et flippant.
Heureusement, d’autres médias (Mediapart, Vice, Arte, Slate, Neon, Marsactu, entre autres) ont su tirer leur épingle du jeu en innovant, en se mettant à la place de leurs lecteurs.trices, en faisant simplement leur travail correctement. Et parfois aussi en recrutant des fameux « gender editors », ces gourous de l’écriture inclusive mais pas que. Pour l’heure, sauf erreur de ma part, seul Mediapart a franchi le cap. Et URBANIA France aussi, à sa manière – en me recrutant.
Je ne peux m’empêcher de penser que si Libé ou Le Monde avaient eu des « gender editors », il est fort à parier que leurs dernières sorties de route n’auraient pas eu lieu. On en est la preuve.
Comme toute bonne rédaction qui se respecte, notre choix de traiter ou non certains sujets relève d’un travail quotidien d’équilibriste de l’info et affiche clairement notre ligne éditoriale. Choisir de publier le texte de Lola Lafon plutôt que celui d’un violeur, c’est un parti pris qu’on assume. Choisir de publier le cri d’une personne victime d’inceste, plutôt que le témoignage d’un agresseur, c’est un parti pris. Donner la parole à des personnes racisées sur des sujets universels et pas seulement pour leur demander leur avis sur tel sujet vu et revu, c’est un parti pris. Demander aux personnes interviewées les pronoms qu’ils.elles préfèrent pour les citer, c’est un parti pris. Utiliser l’écriture inclusive aussi. Mais c’est aussi, pour nous, du « gros bon sens » comme diraient nos cousins québécois.
On en a reçu un aussi (et peut-être même cherché) témoignage de violeur. À l’heure où j’écris ces mots, il dort encore sur nos disques durs. Et il dormira jusqu’à ce que les personnes qui composent notre rédaction soient raccord sur le parti pris adopté, qui justifierait qu’on publie un tel témoignage. Parce qu’il n’y a rien d’anodin à publier ce genre de missile. Parce qu’on sait combien de plaies peuvent rouvrir un simple clic sur « publier ». Parce que l’humain prime sur le reste.
« Les victimes ont tellement de mal à prendre la parole encore que c’est incompréhensible de la donner à celles et ceux qui consomment nos contenus. C’est intéressant mais pas de manière brute, sans décryptage. On n’a pas encore trouvé une bonne façon de publier ce témoignage mais on ne renonce pas. Mais oui c’est un fléau de société, on veut comprendre, sans tabou, les mécanismes qui poussent à de tels actes, c’est sûr », c’est ce qui s’est dit dernièrement au sujet de ce témoignage.
Alors on va s’envoyer encore des centaines de messages sur Slack s’il faut, on passera des heures sur Whereby, et des heures à cogiter seul.e chacun.e dans notre coin pour être certain.es qu’on n’est pas en train de faire une erreur, qu’on prend bien toutes nos responsabilités, qu’on ne manque de respect à personne, qu’on fait bien notre job. Quand bien même on ne peut pas plaire à tout le monde. On ne choisit pas de publier telle tribune ou tel article pour plaire à quelqu’un. On le fait par souci et devoir d’information, pour faire évoluer les moeurs aussi.
La morale de tous ces faux-pas éditoriaux, s’il y en a une, c’est que les grands titres nationaux sont en train de perdre toute crédibilité. À force de publier et de s’excuser à répétition, la confiance est rompue et les référents brouillés. Comme l’exprime très justement Mediapart ici, « il est question de la responsabilité de la presse, de notre éthique de journaliste et d’un débat éditorial bienvenu sur la couverture des violences sexistes et sexuelles. »
Mais à mon sens, ce n’est pas seulement la couverture des violences sexistes et sexuelles qui est problématique : c’est toute la manière d’aborder l’humain à travers sa diversité et ses cordes sensibles qui est à revoir. Et ça commence par la façon dont sont composées les salles de rédaction. Il n’y a pas de recette magique. Juste des moeurs qui évoluent et des humains qui doivent affiner leurs plumes, au risque d’en laisser quelques-unes.