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Mon petit cousin veut devenir YouTubeur… C’est grave ?
J'ai moins envie de le dissuader que de le mettre en garde.
« Tu joues à Fortnite dans ta chambre et t’es payé pour ça. C’est la meilleure vie ! ».
Il y a encore quelques années, les collégiens rêvaient de devenir footballeurs, chanteurs, ou acteurs. Une autre époque. Aujourd’hui, les idoles s’appellent Carlito, Seb la Frite ou Tibo in Shape, et ce sont eux qui suscitent les vocations des ados. Leur métier : YouTubeur.
Mon petit cousin n’a pas encore onze ans et alors qu’il vient tout juste de rentrer en sixième, il m’a annoncé son nouveau projet de vie. Lui aussi veut devenir YouTubeur. Déjà pendant le confinement, il avait jubilé en faisant 500 vues sur TikTok (en dérobant le téléphone de son papa). Aujourd’hui, comme ses modèles, il veut gagner de l’argent avec ses vidéos – en se spécialisant dans le secteur du gaming.
En ligne de mire : la carrière de Michou, à peine dix-neuf ans, qui cumule près de cinq millions d’abonnés. Le jeune gamer originaire de la Somme est un exemple pour beaucoup d’adolescents. À treize ans, il enregistrait ses premières vidéos au lieu de faire ses devoirs. Cinq ans plus tard, il quittait l’école et sa famille pour s’installer seul à Paris dans un luxueux appartement équipé notamment d’une gigantesque télé 8k.
Pas de patron, pas d’horaires stricts, pas de tenue de travail… Le quotidien de ce jeune vidéaste semble se limiter à jouer à Fortnite devant des millions de spectateurs. Un métier de rêve dont son camarade Inoxtag, 19 ans, résume la philosophie dans son hymne aux 40 millions de vues : « l’important c’est d’kiffer ».
Alors, le projet professionnel de mon petit cousin doit-il m’inquiéter ?
Bien sûr, spontanément, je préférerais qu’il ambitionne de devenir astronaute, médecin ou avocat. Une profession classique, utile à la société, prestigieuse, intellectuellement épanouissante. À mille lieues du métier de YouTubeur, a priori. Il y a quatre ans, l’animateur Thierry Ardisson, dans une interview jugée pleine de condescendance, avait ainsi décrit le roi des YouTubeurs Squeezie : « Vous êtes un génie, car vous vous filmez en train de jouer à des jeux vidéo, et le diffusez, les gens regardent, et comme il y a de la pub, vous gagnez de l’argent. Je dois dire bravo ». Laurent Baffie avait achevé le jeune invité : « Un magnifique branleur ! ».
Ce mépris témoignait de la méconnaissance de la réalité du job. Être YouTubeur ne se résume pas à faire le beau à l’écran. Il faut avoir des idées originales, maîtriser la caméra et le son, assurer soi-même le montage, connaître les secrets des réseaux sociaux, fédérer une communauté, soigner son image, trouver des partenariats commerciaux… Bref, gérer une véritable entreprise unipersonnelle qui peut en quelques mois seulement exploser les compteurs.
Tout ça en attendant de signer un jour avec Webedia, l’agence qui représente la majorité des plus grands YouTubeurs français et met à leur disposition tous ses services : studios d’enregistrement, accompagnement commercial, valorisation de l’image…
Ils sont nombreux, à se lancer dans l’aventure. Chaque jour, je découvre une nouvelle chaîne YouTube à plusieurs centaines de milliers d’abonnés. Certains ont investi des créneaux spécifiques : la cuisine (Charles de FastGoodCuisine), le BMX (VodK), le maquillage et les conseils beauté (LoryLyn), le sport (Tristan Defeuillet-Vang), les voyages (Bruno Maltor), l’actualité (Hugo Décrypte)… D’autres sont plus généralistes et font un peu de tout, comme HugoPosay qui amuse ses 4,4 millions d’abonnés avec des jeux ou des canulars. À Angers, un collectif de YouTubeurs s’est même associé au sein de la Redbox, un espace dédié à la création qui regroupe un studio de musique, un plateau télé pour faire des diffusions live, un skate park… Une véritable pépinière de talents qui rappelle les bureaux partagés dans lesquels se sont lancés les géants du numérique à leurs débuts.
Tous ces vidéastes ont en commun leur humour, leur dynamisme, et surtout un redoutable sens entrepreneurial. Pas question de se contenter des revenus publicitaires issus de YouTube (à peine un euro pour mille vues) : ils diversifient leurs activités. Marque de vêtements, chaîne de fastfood, publication de livres, séances de dédicaces avec les fans… Leur célébrité est mise a profit pour faire pleuvoir les dollars. On raconte même que Norman et Cyprien, lors de la revente de leur société Talent Web en 2015, auraient réalisé des « montages d’optimisation fiscale pour payer moins d’impôts sur ces plantureux profits ». Vraiment tout comme les grands patrons !
Si mon petit cousin décide de se lancer dans l’aventure YouTube, et qu’il le fait sérieusement, il découvrira qu’il ne s’agit pas seulement de jouer à Fortnite dans son canapé en attendant que l’argent tombe du ciel. Il lui faudra apprendra sur le tas comment gérer sa petite entreprise. Il ne suivra pas un plan de carrière tout tracé, car ce métier tout récent s’invente chaque jour. Il ne se contentera pas d’imiter ses idoles : il devra les surpasser, être créatif, trouver son propre créneau, imaginer des sources originales de revenus.
Autre avantage : pour exercer ce métier, pas besoin d’attendre la fin de ses études. Il peut se lancer sans diplôme, sans investissement, sans démarche administrative. Une véritable aubaine pour les entrepreneurs pressés !
Bref, je n’ai pas forcément envie de le dissuader en lui assénant que « ce n’est pas un vrai métier, passe ton bac d’abord ».
Et pourtant, impossible de ne pas le mettre en garde. Derrière le fun, les paillettes et l’argent facile, la réalité est plus nuancée. La course au like, la mise en scène de sa vie privée, le cyber-harcèlement, la solitude, l’insécurité financière… A-t-il vraiment envie de devenir un de ces influenceurs livrés à la hargne des réseaux ? De filmer son intimité ? De marketer sa personnalité ? De se réveiller au milieu de la nuit pour lire les commentaires ou suivre le nombre de vues de ses vidéos ? D’être jugé en fonction de sa popularité ?
Plutôt que de trancher, je l’invite à regarder une web série de France TV, YouTubeurs, les risques du métier, dans laquelle les principaux concernés mettent eux-mêmes en garde les aspirants vidéastes.