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Que faire si je suis ami.e avec un agresseur?

Ou comment soutenir les victimes.

Par
Jasmine Legendre
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Depuis quelques jours, au Québec, une vague de dénonciations déferle sur les réseaux sociaux. Plusieurs femmes et membres de la communauté LGBTQ2iA+ partagent leurs histoires d’abus et d’agressions psychologiques, physiques et/ou sexuelles. Et la France n’est pas en reste. Sur son compte Instagram, une internaute vient justement de dénoncer un youtubeur français très connu.

Dans ce mouvement aux allures de #MeToo2, certaines victimes décident de divulguer le nom de leur présumé agresseur afin de protéger de potentielles futures victimes. Des pages Instagram comme @victims_voices_canada et @victims_voices_montreal lèvent le voile sur des histoires d’abus dans divers milieux, notamment celui des vedettes du web et du tatouage.

Par solidarité avec les victimes, certain.e.s ont alors décidé de se mobiliser en retirant leur appui à ces derniers, du moins virtuellement. Unfriend, unfollow, désabonnement.

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C’est ainsi que plusieurs personnes ont appris que des agresseurs présumés se trouvaient dans leur entourage, qu’ils les suivaient sur les réseaux sociaux, leur donnant ainsi un poids notamment dans l’univers web. Par solidarité avec les victimes, certain.e.s ont alors décidé de se mobiliser en retirant leur appui à ces derniers, du moins virtuellement. Unfriend, unfollow, désabonnement. On a aussi vu ce type de publications commencer à circuler :

De son côté, la chanteuse Safia Nolin, après avoir fait le récit d’une situation de harcèlement sur son compte Instagram, a invité ses abonnés à faire de même. Et c’est justement ce qu’a fait cette internaute en racontant son histoire avec le vidéaste français, Norman Thavaud («Norman fait des vidéos»):

https://www.instagram.com/p/CCZE7SLDuPY/

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Au-delà de ces formes d’activisme sur le web, de plus en plus de voix s’élèvent pour qu’une discussion plus vaste prenne place, que lorsque, dans notre cercle, on observe un comportement d’abus ou d’agression, ou lorsque ces comportements nous sont rapportés, qu’on amorce un dialogue avec l’abuseur ou l’agresseur potentiel en question, avec franchise et sans tabou. Pour que les victimes ne soient plus seules à porter le fardeau, que les changements reposent sur la masse plutôt que sur leurs seules épaules.

Mais qu’en pensent les victimes? Que souhaitent-elles que l’on fasse quand on se rend compte qu’on a un.e ami.e abuseur? Nous avons posé la question à certaines d’entre elles.

«J’ai un ami abuseur»

«JE CROIS QUE j’ai des doutes sur la méthode punitive. Y’a pas grand-chose de constructif dANS LE FAIT DE jarter quelqu’un de sa vie sociale.»

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«Je crois que j’ai des doutes sur la méthode punitive. Y’a pas grand-chose de constructif dans le fait de jarter quelqu’un de sa vie sociale. Détruire une vie parce qu’il en a déjà détruit une, c’est un peu œil pour œil, dent pour dent et je ne sais pas si je suis d’accord avec ça», écrit Christina qui a récemment décidé de partager son histoire, elle qui a été abusée par un collègue-ami.

Mais même après ces événements traumatisants, elle ne saurait pas comment agir si elle apprenait qu’un de ses amis avait des comportements violents à l’égard des femmes. «J’espère juste jamais apprendre qu’un ami a fait ça parce que je ne saurais pas quoi faire. Est-ce que je le sors de ma vie? Ou est-ce que je lui laisse une chance s’il est repentant ?»

Des questions légitimes auxquelles a essayé de répondre dans une vidéo IGTV Masha Katasonov, une coach en fitness qui prend parole ces derniers jours en soutien aux victimes. «Montrer que ma page c’est un safe space pour les victimes, ça peut avoir plus d’impact qu’on ne le pense», martèle celle qui s’assure d’unfollower toutes les personnes toxiques de son réseau.

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Voir cette publication sur Instagram

Une publication partagée par Masha Katasonov (@mashakatasonov) le

Pour elle, ne pas aborder la question avec les abuseurs, c’est leur laisser un trop grand pouvoir. «Il faut utiliser ce lien-là pour essayer de changer leur mentalité. La beauté d’une amitié c’est de grandir ensemble, dans l’inconfort, se dire les vraies choses. Les gens qui ne disent rien: c’est la force du silence», explique-t-elle.

«Chaque pas compte»

On peut parfois se sentir illégitime d’aborder la question avec un ami qui semble avoir des comportements problématiques. Masha explique que le mouvement actuel sur les réseaux sociaux peut aider ceux qui se sentiraient moins confortables à l’idée de confronter des personnes de leur entourage. «C’est sûr que ce n’est pas facile, mais en entamant la conversation de façon virtuelle, tu peux aisément y mettre fin si tu te sens mal ou nerveux. Par messages, on peut stopper court à ça.»

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Pour elle, le mouvement actuel redonne le pouvoir aux victimes qui sont habituellement relayées au second plan, surtout que plusieurs personnes dénoncées dans les derniers jours jouissaient d’un pouvoir important sur les réseaux sociaux, les rendant parfois inatteignables. «Je pense que pendant trop longtemps on a glamourisé ces personnes-là, je trouve qu’il y a un beau retour du balancier», note-t-elle.

Charlie Gagné ne s’attendait d’ailleurs pas à une aussi grande vague de compassion lorsqu’elle a dénoncé son abuseur, le youtubeur Jay Saint-Louis. «J’ai déjà été interviewée une fois, et ça s’est retrouvé sur trois sites différents», s’étonne celle qui ne croyait pas que sa dénonciation serait la première d’une longue série.

Elle était âgée de seulement 13 ans lorsqu’il l’a ajouté sur Facebook. Complètement fan de lui, il ne s’est pas écoulé beaucoup de temps avant qu’il ne lui fasse plusieurs allusions grossières sur sa puberté et sur le fait qu’elle «devenait une femme».

«Quand j’en ai parlé à ma mère pour la première fois il y a deux jours, elle m’a dit de ne pas m’embarquer là-dedans. Ma mère n’aime pas ça quand je fais ce genre de trucs, elle pense que ça va me tuer. Je comprends son inquiétude, mais clairement j’aurais préféré un “Bravo chérie, tu fais bien ça. Je suis fière de toi”»

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C’est dimanche qu’elle a décidé de le dénoncer publiquement. «Quand j’en ai parlé à ma mère pour la première fois il y a deux jours, elle m’a dit de ne pas m’embarquer là-dedans. Ma mère n’aime pas ça quand je fais des trucs comme ça, elle pense que ça va me tuer. Je comprends son inquiétude, mais clairement j’aurais préféré un “Bravo chérie, tu fais bien ça. Je suis fière de toi” au lieu d’un grand soupir suivi d’un “N’en parle pas à ta tante stp”. Je tiens à dire que je n’en veux pas à ma maman, mais que quand un proche vit quelque chose comme ça, c’est important de leur apporter le plus de support possible. Un seul bravo sincère suffit», fait-elle savoir.

Pour elle, l’élan de solidarité perceptible sur les réseaux sociaux vient mettre un baume sur ses souffrances. «Certains à qui je l’ai dit ne s’en doutaient pas, et ils l’ont unfollow à la minute où j’en ai parlé. C’est la réaction qu’on veut voir. Si quelqu’un s’obstine à dire qu’on exagère ou que c’est pas vrai, faut questionner nos choix d’amitié.»

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Une position partagée par Masha. «Une fois que la victime a dénoncé, elle se sent invalidée si ses amis continuent de le côtoyer [virtuellement ou en personne]. Elle peut croire que le lien d’amitié avec l’agresseur est plus important que la violence infligée», ajoute-t-elle.

Aller au rythme des victimes

Après quelques échanges, Charlie, avoue éprouver un certain inconfort à se replonger depuis quelques jours dans cette histoire traumatisante. Elle tenait à s’exprimer sur le sujet pour aider les amis des agresseurs et des victimes à cheminer dans tout ça, mais elle a aussi besoin d’une pause pour faire face à la tornade.

Cette « fatigue » jette un autre éclairage sur l’invitation à «slide dans mes DMs pour que je me désabonne de ton agresseur». Car l’initiative, même bien intentionnée, force les victimes à se revivre continuellement leur histoire en message.

Il n’existe donc pas de méthode parfaite, mais cela prouve qu’il ne faut pas faire reposer le fardeau entièrement sur leurs épaules. Il faut aussi prendre nos responsabilités, notamment avec notre entourage.

L’initiative, même bien intentionnée, force les victimes à se revivre continuellement leur histoire en message.

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Si nos ami.e.s ont des comportements abusifs, si la rumeur se veut insistante, pourquoi attendre qu’une victime nous demande d’agir? Pourquoi ne pas amorcer le dialogue avec l’ami.e en question? Et parfois aussi couper les ponts? «Il faut se décentrer et faire passer la collectivité avant l’individualisme et l’inconfort», conclut Masha.

Cette vague de dénonciations d’agresseurs sur les réseaux sociaux québécois fera-t-elle aussi bouger les choses en France? L’avenir le dira.

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