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Il fallait bien que ça arrive. Le 28 février 2020, c’était la 45e cérémonie des César, celle où Roman Polanski a remporté le prix du meilleur réalisateur. Quand bien même il est accusé d’agressions sexuelles, à 12 reprises. Adèle Haenel et Céline Sciamma font partie de celles qui ont décidé de se barrer en premier, de marquer le coup pour frapper les esprits. Certain.e.s les ont suivies quand d’autres les ont incendiées, à l’image de Lambert Wilson ou d’Olivier Carbone, pour ne citer qu’eux. Hasard nécessaire (on y croit ou pas): c’est aussi à ce moment-là que j’ai appris, grâce à la presse britannique, que deux de mes potes étaient en prison pour viols. Au lieu de ruminer toute seule dans mon coin, j’ai décidé de leur écrire.
À vous, mes “amis” violeurs,
Rien ne va dans cette phrase. Pourtant, c’est vrai, on a été potes. Vous étiez tellement accueillants, toujours blagueurs, dragueurs aussi (peut-être un peu trop?) car oui vous aviez le “sang chaud” comme on dit. Trop chaud sûrement. On vous accuse aujourd’hui d’avoir abusé sexuellement d’une meuf en boîte et de vous y être mis à deux. Comme des animaux selon le directeur de la boîte, sans pitié, selon les dires de la victime.
Mais vous êtes qui finalement? Vous-ai je vraiment déjà connus? La question me hante.
On passait toutes nos soirées ensemble en boîtes. Je ne me suis jamais sentie menacée par votre présence, au contraire. Vous m’aviez même aidée lorsque ma pote Charlotte avait trop bu, un soir. J’avais parfois l’impression que vous veilliez sur nous.
On a fait les 400 coups ensemble, j’avais gardé une super image de vous. Jusqu’à cette photo de vous dans la presse et ce fait-divers sordide. J’ai eu faux sur toute la ligne. Vous, des violeurs? Après le choc, l’incompréhension. Je suis désemparée.
Par téléphone, une amie m’a résumé la situation. Vous auriez profité de l’état d’ébriété d’une fille pour la violer dans les toilettes d’une boîte de nuit londonienne. Justement lors d’une de “nos” soirées. J’étais là, donc. J’essaie de me remémorer la soirée.
Je me souviens maintenant de votre retour victorieux au bout de quelques minutes à notre table. Avec mes potes, on vous a questionné, on voulait en savoir plus: vous aviez l’air si heureux. «On vient de coucher avec une meuf, pas loin de la piste de danse…» Chacun son trip, après tout. À deux, à trois, ou plus si affinités: chacun fait ce qu’il veut tant que c’est entre adultes CONSENTANTS.
On ne s’est douté de rien. Est-ce que on aurait pu faire quelque chose ce soir-là pour aider cette personne que vous avez transformée en proie? Je n’ai pas de réponse. Je re-re-re-re-re-regarde vos gueules dans le journal: je m’en veux de ne pas réussir à vous voir comme des criminels. Je vois juste mes anciens amis, avec un air un peu flippé. C’est bizarre cette sensation d’avoir de la compassion pour des personnes reconnues coupables et emprisonnées pour viol jusqu’en 2026. Suis-je normale de ressentir tout ça?
La fille que vous avez violée est désormais en état de stress post-traumatique permanent. Vous avez bousillé sa vie, littéralement. Son existence se résume maintenant à flipper pour tout et pour rien, au quotidien. Vous avez profité de sa faiblesse parce qu’elle avait un peu trop bu.
J’ai vu les images de télésurveillance: Après l’avoir violée, vous l’avez laissée seule dans les toilettes. Complètement inconsciente. Vous êtes ensuite partis des sanitaires, en courant. Une fois à l’extérieur, on vous voit allumer votre cigarette d’un air triomphant. C’était avant ou après être revenus nous voir comme si de rien n’était ? Les preuves sont là.
Je m’en veux d’être passée à côté de tout ça. Depuis cette affaire, j’ai réalisé que les violeurs font bel et bien partie de notre entourage. De nos amis proches, de nos familles. J’en avais entendu parler tant de fois déjà, mais je n’avais pas eu de déclic. Maintenant j’ai compris. On pense souvent que les viols ont lieu dans une ruelle sombre, tard le soir, un couteau sous la gorge. Que les violeurs sont des monstres sans-cœurs, des vieux mecs dégueulasses qui ne pensent qu’au cul. Mais pas du tout. En société et quand ils interagissent avec les autres, les violeurs portent juste des masques.
Vous avez porté votre putain de masque tout ce temps avec moi. Celui des potes sympas, toujours prêts à déconner, dépanner, aider.
Avec le recul, j’ai l’impression d’avoir été trop laxiste avec cette fameuse notion de consentement et de respect, de ne pas vous avoir posé les «bonnes» questions, de ne pas vous avoir remis en place quand j’aurais pu (dû?). J’ai l’impression d’avoir intériorisé cette culture du viol qu’on essaie tant bien que mal de faire sauter en Europe et ailleurs.
Parfois, on se dit que telle ou telle chose est «normale», alors que ça ne devrait pas être le cas. «Tu n’aurais pas dû boire autant.» « Tu n’aurais pas dû t’habiller comme ça.» « Tu n’aurais pas dû être seule ce soir-là.» Tu n’aurais pas dû. Au fond, on normalise le viol, on rend ça banal. Et pas que les hommes, les femmes aussi. J’en ai fait partie. Sauf que c’est terminé: maintenant, on se lève et on se barre.