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Masques, chaleur et cunnis : le retour de Cannes après un an de pandémie
Qu’est-ce qui vous a le plus manqué depuis le début de la pandémie ? Les bars ? Les salles de sport ? Le fait de pouvoir serrer vos proches dans vos bras ? Avoir une vie normale ? Personnellement, un peu de tout ça. Mais ce qui m’a le plus manqué, c’est sans doute le festival de Cannes.
Cannes, ce sont certes des nuits courtes, des ronflements en projection presse, et des repas entièrement composés de Pitch rassis et de Pom’potes. Mais c’est aussi l’immense privilège de découvrir certains des plus grands films du cinéma d’auteur dans des conditions royales, en compagnie de journalistes et cinéphiles du monde entier. C’est enchaîner un film russe de trois heures avec Fast and Furious 9. C’est parler de cunnis avec un inconnu dans la file d’attente pour le nouveau film d’Apichatpong Weerasethakul, espérer croiser Mads Mikkelsen au PMU à 3h du matin, et trouver les douze autres personnes sur Terre qui partagent notre obsession bizarre pour les manteaux de Léa Seydoux ou les documentaires sur les vaches.
Après un an d’interruption exceptionnelle liée à la pandémie, le retour était donc des plus émouvants. La diffusion d’Annette, en ouverture du festival, s’est montrée prophétique. Dès les premières secondes, le casting du film se lance dans l’interprétation du morceau So May We Start, composé par les Sparks : « on peut y aller ? ». Oui, enfin. On peut y aller. Le film démarre, et hop, on tient déjà les premières larmes de Cannes 2021.
Restrictions sanitaires
Mais le retour sur la Croisette en pleine pandémie exige forcément quelques petits changements. Les grandes soirées sur la plage, potentiels vecteurs de contamination, étaient beaucoup plus rares. Afin d’éviter au mieux la création d’un variant cannois, les journalistes et cinéphiles ont dû se soumettre à un certain nombre de règles sanitaires : masque obligatoire dans la zone de festival, pass sanitaire exigé pour entrer dans le Palais (mais pas dans les salles de projection)… Les lieux sont scrupuleusement nettoyés en permanence, et en plus du générique applaudi en chaque début de séance, on a désormais droit à un message de Pierre Lescure nous encourageant à garder nos masques sur notre nez. Ce qui n’a pas empêché certains journalistes de venir uniquement équipés de visières transparentes – personne n’a osé leur dire qu’on n’était plus en juin 2020.
Et Mylène Farmer faisant partie du jury, on a dû écouter Désenchantée plus de fois en dix jours que pendant l’intégralité des années 1990.
Cette nouvelle édition est aussi la première à se dérouler en juillet, plutôt qu’en mai. L’avantage : pour la première fois depuis des années, on n’a pas froid. L’inconvénient : à la place, on a chaud. Mais cette année, les épreuves sont surtout psychologiques – et je ne parle pas uniquement du nouveau film de Sean Penn. Même en étant masqué et doublement vacciné, la moindre toux ou éternuement du voisin en salle de projection peut plonger dans un profond état d’angoisse. Les journalistes d’Amérique du Nord sont traumatisés de devoir cracher dans un pot tous les deux jours pour leur test PCR, nous, on regrette surtout de se faire tousser dessus trois fois par jour par des touristes un peu trop décontractés. Et Mylène Farmer faisant partie du jury, on a dû écouter Désenchantée plus de fois en dix jours que pendant l’intégralité des années 1990. Ok, oubliez cette dernière observation, ça n’a rien d’un problème en fait.
Preuve que le retour à la normale n’est pas encore tout à fait là, tout le monde n’a pas pu être de la partie. Testée positive au covid quelques jours avant le festival, Léa Seydoux a dû renoncer au tapis rouge, elle qui apparaît pourtant dans pas moins de quatre films du festival, et livre certaines des plus belles performances de cette édition. Et avec 29.00 journalistes sur place au lieu de 40.000 habituellement, forcément, certaines salles peinent à se remplir. Ce qui n’est sans doute pas plus mal : après plus d’un an de disette sociale et de soirées canapé en solitaire, se retrouver coincé.e entre deux inconnus pendant un film de Bruno Dumont peut s’avérer extrêmement dangereux pour la santé.
Processus de réadaptation
Mais le plus grand changement organisationnel amorcé cette année est indéniablement positif : pour éviter la foule et les files d’attente, qui peuvent durer jusqu’à trois heures en temps normal et ne garantissent pas l’entrée en salle, le festival a mis en place une billetterie en ligne. Malgré les bugs du site les premiers jours, rappelant les heures les plus sombres de Parcoursup, le constat est unanime (en tout cas auprès des 8 personnes à qui j’en ai parlé) : ce nouveau système change complètement la donne, et permettrait de faire baisser le niveau de stress de 83%*. Espérons qu’il sera pérennisé.
Il y a aussi ces nombreuses scènes de sexe, qui viennent rappeler qu’après tous ces mois de confinement, le monde entier est en chien.
Et puis revenir à Cannes en pleine pandémie, c’est aussi voir le covid s’immiscer dans la fiction, de manière plus ou moins directe. Il y a les films en huis clos influencés par le confinement, comme Tromperie d’Arnaud Desplechin. Il y a aussi ces nombreuses scènes de sexe, qui viennent rappeler qu’après tous ces mois de confinement, le monde entier est en chien. Enfin, il y a les films de la sélection qui s’achèvent carrément en pleine pandémie : à la fin de Rien à foutre, on aperçoit une Adèle Exarchopoulos masquée à Dubaï. Et dans la dernière scène du film japonais Drive my car, l’héroïne enlève son masque et esquisse un sourire, tandis qu’on ruine le notre avec nos larmes.
On ne va pas se mentir, voir plus de projections de films en dix jours qu’en un an nous a aussi forcé à réaliser qu’on avait un peu perdu la main : comment on fait pour écrire sur un film, déjà ? On n’est pas les seuls. En pleine cérémonie de clôture, Spike Lee avait l’air aussi déphasé que nous, annonçant une heure trop tôt que Titane, le film incendiaire de Julia Ducournau, avait remporté la palme d’or. C’est la première femme de l’histoire à remporter ce prix seule, sans ex-æquo. Un clap de fin à l’image de cette 74e édition: bordélique, spontané, et tout simplement magique. Finalement, le chaos, ça a peut être du bon.
*chiffre inventé