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Fast 9 à Cannes : la magie du cinéma

Par
Anaïs Bordages
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À Cannes, tout est possible : voir les plus grands auteurs du cinéma international monter les marches du Palais des festivals, mais aussi voir Vin Diesel conduire de grosses voitures.

20h45 sur la Croisette. L’excitation est palpable. La foule déjà compacte se resserre, les cinéphiles et festivaliers venus en nombre trépignent d’impatience. Cette frénésie n’est pas due au nouveau film de Wes Anderson, qui monte les marches du Palais des festivals avec Timothée Chalamet au même moment. Si plus d’un millier de personnes sont réunies ce 12 juillet le long de la Croisette, c’est pour la diffusion, sur un écran géant installé sur la plage, de Fast 9, le nouveau film de la saga Fast and Furious. Au bord de la mer, les pieds dans le sable, le public cannois s’apprête à retrouver l’autre grande famille du cinéma : celle de Dominic Toretto.

Tous les ans lors du festival, le Cinéma de la plage propose une programmation en libre accès, le plus souvent de classiques primés à Cannes. Mais cette projection du 12 juillet, réservée à l’avant-première européenne du nouveau Fast and Furious, est exceptionnelle. La plage, accolée au Palais des festivals, met rarement en place un dispositif aussi lourd pour ses soirées ciné : sécurité renforcée, barrières longeant la Croisette sur des dizaines de mètres, et même une demi-douzaine d’hôtesses attelées à distribuer des goodies. Sur le bord de la plage, protégées par toujours plus de sécurité, deux énormes cylindrées sont exposées – la Dodge Charger de Dom, et la voiture-tank utilisée pour le saut en parachute dans Furious 7 (oui, comme la plupart des films de la saga, cette phrase n’a aucun sens).

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La projection n’est prévue qu’à 21h30 (et ne commencera finalement qu’à 22h), mais les festivaliers et cannois les plus vaillants ont déjà commencé à s’attrouper lorsqu’on arrive à 18h. Premier dans la file, un jeune homme souriant est venu en tenue de gala : casquette et t-shirt Fast and Furious, veste en cuir Furious 7, et chaussures à l’effigie de Vin Diesel. Presque trois heures de queue debout, dans la chaleur estivale, collés à des touristes russes qui ont abusé sur l’eau de cologne : l’espace d’un instant, on se demande si on n’aurait pas mieux fait de choisir Wes Anderson. Mais pour voir des malabars chauves casser des murs avec leur tête et conduire des grosses voitures dans l’espace, aucune attente n’est trop longue ni trop pénible.

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En regardant la file s’allonger à perte de vue, on engloutit un hot-dog en vitesse, et on prie pour réussir à rentrer : seulement 720 transats ont été méticuleusement installés face à l’écran. Ceux qui arrivent trop tard auront autant de chance de s’asseoir que Michelle Rodriguez de perdre une scène de baston, c’est-à-dire zéro.

Après une attente plus longue que le film lui-même, les barrières s’ouvrent enfin, et les premiers fans courent vers les chaises longues du premier rang. Malgré les rumeurs, Vin Diesel ne sera finalement pas de la partie, mais les spectateurs ont tous reçu une casquette Fast 9, et ça, c’est presque aussi chouette.

Côté public, on est loin de la population habituellement croisée dans le Palais des festivals : moins de journalistes, plus de familles, et surtout, des groupes d’ados sur-sapés qui semblent tout droit sortis de la version cannoise d’Euphoria.

« Désolé, je ne suis pas Vin Diesel »

Pour patienter, un DJ passe certains morceaux issus de la bande-son, tandis que des TikTokers et autres stars que l’on est incapable d’identifier se font prendre en photo devant les grosses voitures exposées pour l’occasion. Moment d’effusion lorsque le rappeur Koba LaD apparaît, suivi d’une déception quelques minutes plus tard lorsque la séance est présentée par le directeur général d’Universal France : « Désolé, je ne suis pas Vin Diesel ».

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Alors que la majorité des spectateurs sont désormais bien installés, la file d’attente le long de la Croisette ne désemplit pas. Face à l’affluence, les organisateurs autoriseront exceptionnellement 200 personnes supplémentaires à venir s’asseoir à même le sable, confirmant qu’il s’agit peut-être de « la plus grosse foule qu’on ait eu au Cinéma de la plage ». Pour les centaines de personnes restantes, il faudra contempler l’écran de biais, assis sur la murette de la Croisette, ou carrément debout, pendant 2h23.

Trop long et incompréhensible, Furious 9 trouve finalement bien sa place au sein de la sélection officielle du Festival de Cannes.

Quant au film, il ne méritait sans doute pas les trois heures d’attente, même si le public applaudit de bon cœur dès les premières scènes. Lorsque le personnage de Charlize Theron dévoile son nouveau look (les dreads du film précédent flirtaient sans doute un peu trop avec l’appropriation culturelle), un jeune crie de manière parfaitement factuelle : « coupe au bol ! ».

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Trop long et incompréhensible, Furious 9 trouve finalement bien sa place au sein de la sélection officielle du Festival de Cannes. Même l’opus dense et symbolique du russe Kirill Serebrennikov, en compétition pour la Palme d’or, semble plus lisible en comparaison. Difficile de comprendre pourquoi le méchant se balade en tyrolienne, pourquoi nos héros ont désormais la capacité de passer à travers les murs et rester en vie, ni pourquoi ils passent les trois quarts du film à transporter un aimant géant (en tout cas, Jesse Pinkman aurait adoré). Mais si vous aviez raté quelques épisodes de la saga, aucune inquiétude, les dialogues d’exposition se chargeront de vous rappeler subtilement les points les plus importants de l’intrigue : « C’est Cipher. La femme qui a tué la mère de ton enfant », explique-t-on à Dom, qui a perdu la mère de son enfant. C’est aussi l’occasion de retrouver le goût de la saga pour les répliques délicieusement ridicules : « Tu mets le pied au plancher, et tu pries », ou encore « Surveillez vos rétros, connards ! ».

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En deux heures de film, les personnages voyagent plus que nous en un an et demi de pandémie, et l’on ne peut que s’émerveiller devant la capacité de la saga à toujours renouveler ses destinations. Même si, au bout de neuf volets, on commence à racler les fonds de tiroir, avec une partie de l’intrigue se déroulant à Cologne – peut-être que dans Fast & Furious 10, ils iront à Montpellier.

La saga est devenue tellement boursouflée qu’on se prend à rêver d’une suite un peu punk, où les héros ne rouleraient plus qu’à vélo ou trottinette.

Les cascades, elles aussi, sont de plus en plus poussives. À force de surenchère permanente, la saga est devenue tellement boursouflée qu’on se prend à rêver d’une suite un peu punk, où les héros ne rouleraient plus qu’à vélo ou trottinette. Malheureusement, ce ne sera pas pour cette fois. Le film s’ouvre avec quelques scènes d’action dans la jungle où une voiture se balance au bout d’une liane (oui, comme Tarzan), tandis qu’une autre saute dans le vide pour être aimantée in extremis par un avion qui passait par là au bon moment : pratique. Mais la palme de la séquence la plus ridicule revient évidemment aux deux personnages qui conduisent une voiture, elle-même amarrée sur une fusée, jusque dans l’espace. Pourquoi ne pas avoir juste pris la fusée ? Il y a des mystères qu’il vaut mieux laisser sans réponse. C’est aussi ça, la magie du cinéma.

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