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« Le porno féministe peut r évolutionner la société » : notre rencontre sex-activiste avec Erika Lust
« Le porn pourrait être tellement plus que ce qu’il est aujourd’hui ! », s’exclame Erika Lust avec un entrain contagieux, le sourire canaille aux lèvres. Celle qui pilote aujourd’hui un crew d’une cinquantaine de personnes tournées vers la production de films pour adultes y croit dur comme fer : le X pourrait « changer la face de notre société ». À condition d’un renouvellement par le fond. La méthode employée, cette cinéaste de 46 ans multi-primée la détaille au gré d’une visite de son QG, à Barcelone. C’est dans un loft richement décoré style vintage, tamisé – et suggestif, sans surprise – que notre interlocutrice embraye, pétulante : « Nous proposons une alternative au porno mainstream en mettant l’accent sur la sécurité des performeurs, l’inclusivité et la déconstruction de l’imaginaire hétéronormatif ». Le tout, dans l’optique d’offrir un cadre de travail respirable aux professionnels d’une industrie entachée par des scandales à répétition, bien sûr. Mais aussi de faire du porno, plus qu’un outil de divertissement pour les +18, « le » nouveau « medium privilégié de l’éducation sexuelle ». Tout un programme.
« Civilisons le porn ! »
Convertir le X en levier de transmission responsable, et bienveillant, des savoirs érotiques. De prime abord, l’idée paraît a minima contre-intuitive. C’est pourtant le combat de celle qui, question tabous sexuels, en a vu défiler. Partie de sa Suède natale « pas assez ouverte, trop étriquée » pour rejoindre la « so permissive » Barcelone après avoir décroché son diplôme de sciences politiques en 2000, notre interlocutrice s’agace, à l’époque, de devoir consommer un porno qui « n’apprend rien ». « Puisque j’étais incapable de trouver chaussure à mon pied, je me suis lancée dans la réalisation en 2004 avec un court-métrage sur le plaisir féminin, axé humour ». Une touche comique qui deviendra bientôt la marque de fabrique d’Erika, farouche défenseuse d’un porno « joyeux ». Et la formule fait mouche. Au point que notre cinéaste en devenir lance sa propre société, Lust Films, puis empile les productions – toujours indépendantes – diffusées sur le site erikalust.com. En parallèle, elle rencontre celui qui deviendra son mari et associé, Pablo Dobner. Débute alors une « vie de famille » qu’Erika chérit « plus que tout », auréolée par la naissance de deux enfants, aujourd’hui ados. « Très tôt la question du dialogue autour du porno s’est imposée avec eux », confie-t-elle. Et d’ajouter, pas dupe pour un sou : « Ils sont déjà tombés sur ce genre de contenu, forcément ».
Côté français, l’âge moyen du premier visionnage se situe aux alentours des 14 ans, selon une enquête Ifop révélée en 2017. Un « enjeu majeur », aux yeux de notre interlocutrice qui, entre deux verres de jus – elle ne boit jamais d’alcool – rappelle avec force que « l’introduction à la sexualité se fait par la porte du porno mainstream, et façonne une certaine vision des rapports intimes ». Avant d’asséner : « Bien sûr qu’il y un problème dans l’exposition juvénile à des vidéos qui négligent la question du consentement, scénarisent la violence envers les femmes, et surfent sur des normes de genre stéréotypés ». Selon une autre analyse Ifop réalisée en 2014, un français sur deux a déjà tenté de « reproduire des positions ou des scènes » vues dans un film pour adultes. La preuve par la stat’ qu’Erika a raison de monter au créneau.
Alors, pour faire barrage à l’influence du porn mainstream, celle qui détaillait la feuille de route du porno féministe dans son ouvrage X : A Woman’s Guide to Good Porn (2009) s’improvise d’abord sex educator à domicile. « Si mes enfants veulent savoir ce qu’est une fellation, il n’y a pas de honte, ils n’ont qu’à demander ! », glisse-t-elle, l’œil pétillant de malice. Avant de reprendre son sérieux : « De toute façon, si je lève pas le voile sur ces pratiques, ils iront toquer chez Google – et tomberont nez à nez avec du porn en streaming. Question instituteur, on a connu mieux ». L’éducation sexuelle publique, par exemple ? Un ange passe.
« Lorsqu’elle n’est pas politisée comme aux États-Unis, déplore Erika, cet enseignement est exclusivement orienté autour des IST et du système reproductif ». Question plaisirs, diversité des kinks et identités sexuelles plurielles, rien à voir, circulez ! Pire encore : en France, seulement 15 % des élèves disposent de cours – pourtant obligatoires, et d’ordre de santé publique – sur la sexualité. Pour les autres, c’est nada. Le désert de Gobi, quoi. Et parce que notre business woman n’a guère le loisir de faire la tournée des foyers hexagonaux pour prendre le relai là où l’État déconne sévère, Erika a lancé en 2017 The Porn Conversation. Un module en ligne à but non lucratif, qui offre « aux parents les outils nécessaires pour discuter de manière constructive du porno avec leurs enfants ». Ce, grâce aux conseils de sexologues.
The Wedding : quand le polyamour est une fête ludique
Mais parce que l’éducation sexuelle est « l’affaire d’une vie » qui ne concerne pas que les mineurs, Erika supervise aussi la création de films pour adultes à « portée pédagogique ». Il y a les X Confessions, ces courts métrages basés sur les fantasmes d’internautes de son site, puis des productions « à registres décloisonnés » où les triolismes homos succèdent aux ébats de couples hétéros. Sans oublier The Wedding. Une nouvelle production présentée en avant-première sur grand écran, qu’Erika introduit, non sans gourmandise, comme « la plus ambitieuse de toutes ». Fidèle à l’esprit frondeur de son autrice, le film s’attaque à cette institution « patriarcale » puisque « créée pour enfermer les femmes » qu’est le mariage.
La méthode ? Détourner les codes de la cérémonie maritale en célébrant le triomphe du polyamour des fiancés, plutôt que leur exclusivité romantique. Lequel scénario ouvre la porte à un défilé d’ébats tournés sous la supervision d’une coordinatrice d’intimité. Et avec des plans moins centrés sur le génital, plus attentifs aux nuances, que les contenus hébergés par les Pornhub, Youporn et autres xHamster.
Autre originalité : l’éventail des représentations. Corps sculptés et moins sculptés, érections dures et moins dures, performeurs âgés et moins âgés… Mais aussi parties de jambes en l’air à deux ou à trois, avec sextoys ou non. « Pour mettre en lumière la richesse des pistes que peut emprunter une sexualité saine, loin des sentiers d’un porn mainstream rythmé par la triade fellation-pénétration-éjaculation masculine, la diversité a été notre maître mot », pointe Erika, au moment de résumer l’esprit du film qu’elle présente avant tout comme une « comédie pour adultes ».
De fait, The Wedding se déguste dans la bonne humeur. Un peu comme si on était au premier rang d’un feu d’artifice folâtre, badin – sensuel, bien sûr. Il y a de francs éclats de rires, des complicités taquines. On est loin du hard des pornos mainstream, comme de la représentation tortueuse de sexualités hantées façon Nymphomaniac (Lars Von Trier, 2013). Les scènes s’enchaînent comme des sketchs, souvent doublés d’un commentaire social bien senti. Ici une vanne cinglante sur le carcan patriarcal, là un personnage de belle-mère rétrograde qui s’ouvre à la tolérance, en goûtant aux délices du libertinage… Car tenez-vous le pour dit : au royaume d’Erika Lust, on a la jouissance jouasse, communicative. Tant à l’écran que dans les coulisses, d’ailleurs
Interrogés sur l’ambiance du plateau, la brochette de performeurs font en chœur la louange d’un tournage de 9 jours « exceptionnellement chaleureux » supervisé par une équipe « majoritairement féminine » – une exception, dans le milieu. Et le témoignage de la mutation en profondeur d’une porn industry toujours prédatrice qu’Erika Lust s’est jurée de réformer. À ses côtés, Olympe de G, Anoushka ou encore Ovidie, pour ne mentionner que les noms de réalisatrices d’alt porn françaises font, elles aussi, bouger les lignes. Au point d’esquisser les contours du X hégémonique de demain ?