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En matière d’éducation sexuelle, l’État français ne fait pas ses devoirs
En France, l’éducation à la vie affective et sexuelle est obligatoire. Depuis 2001, le Code de l’éducation prévoit que l’ensemble des élèves bénéficient, tout au long de leur scolarité, d’au moins trois séances par an. Malheureusement, cette loi n’est absolument pas respectée. Moins de 15% des élèves suivent ces trois cours pendant l’année scolaire, selon un rapport de l’Inspection générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche (IGESR), publié en 2021. Pour mettre l’État face à ses responsabilités, le Planning familial, Sidaction, ainsi que SOS Homophobie ont déposé plainte contre ce dernier. Les trois associations s’associent derrière la bannière “Cas d’École” et saisissent le tribunal de Paris pour demander l’application pleine et entière de la loi.
Plus que l’aspect biologique de la reproduction, l’éducation sexuelle devrait avoir un rôle de prévention des infections sexuellement transmissibles et du VIH/Sida, de réduction des risques de grossesses non désirées et de mariages forcés. La lutte contre les comportements homophobes, sexistes et les violences sexuelles est aussi au programme, tout comme la promotion de l’égalité des genres.
« Pour beaucoup, les rapports sexuels existent seulement pour avoir des enfants. »
Si certains affirment que la nouvelle génération est très informée et qu’elle trouve de manière autonome les réponses sur Internet et sur les réseaux sociaux, les jeunes tombent souvent sur de fausses informations, qu’ils propagent ensuite dans leur entourage. Les enfants issus de milieux familiaux où la sexualité et les relations amoureuses sont taboues sont les plus touchés face à cette désinformation.
Laurine*, 20 ans, est étudiante infirmière à Marseille. Comme tous les étudiants dans le domaine de la santé, elle a dû réaliser son service sanitaire, qui consiste à intervenir dans le milieu scolaire pour promouvoir les comportements favorables à la santé. Dans ce collège du quartier Saint-Mauront, l’arrondissement le plus pauvre de France, la grande majorité des élèves est de confession musulmane. Dès le début, la professeure de SVT de l’établissement alerte les apprenties infirmières sur le fait que les collégiens ne connaissent pas grand-chose sur la sexualité alors que, pour beaucoup, la majorité sexuelle arrive à grand pas.
Laurine a été marquée par les idées qui circulaient parmi les élèves. « Pour beaucoup, les rapports sexuels existent seulement pour avoir des enfants. Sur la question des agressions sexuelles, l’idée qu’une femme qui s’habille court ne peut s’en prendre qu’à elle-même si elle subit une agression est toujours très présente. Les élèves pensent également qu’une personne qui se voit refuser un câlin ou un acte sexuel a le droit de se vexer. » Dans son atelier, elle a informé les collégiens sur les IST, qui se sont montrés très intéressés, surtout ceux des classes de 4e et de 3e. « Ils avaient beaucoup de questions à poser, qu’ils n’osaient pas poser à leurs professeurs. » C’est sûr, parler de sexe avec son professeur de mathématiques que l’on voit au quotidien, c’est moins facile que de poser ses questions à quelqu’un qu’on ne reverra plus jamais de sa vie. Laurine est une sorte de journal intime qui disparaît dès qu’elle passe la porte de l’école. Et pour ne rien arranger à la situation, des personnes comme elle, il en manque (beaucoup) en France.
Ce collège, comme beaucoup, subit la pénurie des soignants. Il n’y a pas d’infirmière à l’année vers qui les élèves peuvent se tourner. Ils se retrouvent donc seuls face à leurs questionnements. Ils ont un besoin criant d’information qu’ils expriment clairement. 84% d’entre eux estiment que le nombre de cours d’éducation sexuelle n’est pas suffisant, et 88% affirment qu’une éducation sexuelle adaptée aurait amélioré le début de leur vie affective et sexuelle. Bien sûr, certains élèves ont bénéficié d’une ou deux séances au cours de leur scolarité. Raphaël se rappelle de la fois où, en classe de science et vie de la terre, ils ont dû apprendre à mettre des capotes sur des bananes. Lison, elle, est « toujours un peu traumatisée » du film de prévention au sujet des grossesses précoces que sa professeure avait diffusé.
« On a retrouvé ses habits remplis de sang cachés sous son lit. Elle ne savait pas qu’il existait des protections hygiéniques. »
Chaque été depuis qu’elle a obtenu son BAFA, Lou est animatrice dans une colonie pour les jeunes défavorisés. Pour eux, cette semaine de vacances est une vraie délivrance. Ils mangent à leur faim, se font des amis et posent des questions qu’ils ne peuvent pas poser à l’école ou à leur famille. « Un jour où on organisait une journée piscine, une petite fille vient me trouver, toute paniquée, pour me dire qu’elle ne peut pas aller dans l’eau », raconte Lou. « J’ai mis quelques minutes à comprendre ce qu’elle voulait me dire car elle n’osait pas prononcer le mot “règles”. » Lou comprend ensuite rapidement que la petite Alicia*, âgée de 13 ans, n’est pas au courant que toutes les filles ont leurs règles et que ce n’est pas une maladie, ni une honte. « On a retrouvé ses habits remplis de sang cachés sous son lit. Elle ne savait pas qu’il existait des protections hygiéniques. » Une des collègues de Lou se rappelle aussi avoir entendu des jeunes filles parler de leurs méthodes de contraception. « L’une disait prendre une pilule contraceptive seulement les jours où elle avait des rapports, et une autre racontait se protéger uniquement avec des pilules du lendemain, qu’elle prenait plusieurs fois par semaine. »
Ce qui est très inquiétant avec ce manque d’information et de prévention est qu’il contraste avec une sexualité active qui arrive de plus en plus tôt. « Dans les dortoirs des 13-14 ans, ils ne parlent que de ça », affirme Lou. À cette problématique s’additionne une consommation de pornographie importante dès un très jeune âge, qui impacte la sexualité des adolescents, qui adoptent des comportements plus risqués en reproduisant ce qu’ils voient (absence de protection, violence, etc.). 23% des 18-24 estiment qu’ils peuvent prendre du plaisir à être forcés.
La défaillance de l’État dans l’application de la loi a déjà des conséquences visibles et mesurables sur les nouvelles générations. Si certains pensent que le mouvement #MeToo a profondément changé les mentalités, les violences sexuelles ont, en réalité, augmenté. En 2021, la hausse était de 33%. Une femme sur cinq, de 18 à 24 ans, déclarait avoir déjà subi un viol ou une agression sexuelle en 2022. En France, les LGBTphobies ont augmenté de 28% entre 2020 et 2021 et doublé en cinq ans.
« On voit beaucoup de fausses idées circuler. Certains pensent que le VIH peut être transmis par un bisou ou que la pilule contraceptive protège contre le virus. »
Chaque année, Sidaction réalise un sondage auprès des 15-24 ans. En 2023, un jeune sur quatre estime être mal informé sur le VIH/Sida, une augmentation alarmante de 22 points par rapport à 2009. « On voit les connaissances se dégrader année après année », raconte Florence Thune, directrice générale de Sidaction. « Pour beaucoup, le sida est un truc de vieux. On voit beaucoup de fausses idées circuler. Certains pensent que le VIH peut être transmis par un bisou ou que la pilule contraceptive protège contre le virus. »
« On attaque l’État, on n’attaque pas le ministre de l’Éducation nationale actuel qui hérite d’une situation qui dure déjà depuis longtemps », tient à rappeler Florence Thune. Avant le dépôt de la plainte, les trois associations, qui assignent l’État en justice, avaient rencontré le ministre Pap Ndiaye. Toutes avaient reconnu que ce dernier était très engagé sur ces questions et « semblait vouloir faire en sorte que les choses changent ». Mais à propos de l’importance d’obtenir des moyens supplémentaires pour que la loi soit mise en œuvre, le ministre estime que les moyens sont déjà présents et pointe du doigt les professeurs. Ces derniers sont censés mettre en œuvre la loi et organiser les séances d’éducation affective et sexuelle. « Aujourd’hui, les professeurs sont débordés et les élèves n’ont pas forcement envie de parler de sexe avec leurs enseignants », explique Florence Thune.
De leur côté, les professeurs affirment ne pas être suffisamment formés et se retrouvent souvent face à des parents indignés, qu’il faut savoir gérer. « Le terme d’éducation sexuelle génère beaucoup d’incompréhension, surtout pour les parents d’élèves en primaire. Alors que les séances sont bien évidemment adaptées aux âges des enfants. Pour les petits, elles permettent de leur apprendre que leur corps leur appartient et à déceler les gestes déplacés des adultes », développe la directrice générale de Sidaction. Pour l’instant, ce qui marche le mieux pour les élèves comme pour les professeurs, ce sont les séances organisées par les associations. Sauf que ces dernières doivent évidemment être financées… Bref, l’éducation à la sexualité manque cruellement de moyens, ce n’est pas nouveau. Mais il devient urgent de bouger les lignes et de révolutionner les moeurs.
*Certains prénoms ont été modifiés.