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Gaëlle Baldassari : « Le cycle menstruel est un super pouvoir qui a été préempté et piraté »

Elle vient de sortir « Kiffe tes règles », un ouvrage à mettre entre les mains de tous les ados.

Par
Daisy Le Corre
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Quelle est la différence entre règles et cycle menstruel ? À quel âge commencent-elles ? Est-ce que ça fait mal ? Peut-on faire du sport en même temps ? Quelles protections utiliser ? L’acné a-t-elle un lien avec le cycle ? Comment mettre une cup ?, etc. Autant de questions sur ce sujet encore (trop) tabou (surtout en 2023) et auxquelles Gaëlle Baldassari répond sans langue de bois sur les réseaux mais aussi dans son dernier ouvrage, Kiffe tes règles. On a zoomé avec elle pour en savoir plus sur les coulisses de cet ouvrage à glisser subtilement dans les toilettes (publiques, privées et/ou non genrées) de tous les ados de ce monde. Vous nous remercierez plus tard.

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« Je me suis rendue compte que le cycle menstruel n’était pas connu et/ou considéré comme quelque chose qui jouait en notre défaveur, comme si la nature avait mal fait les choses… Comme si elle faisait bien les choses pour tout le monde, sauf pour nous les personnes dotées d’un cycle. J’ai toujours trouvé ça très injuste ! C’est vraiment des croyances qu’on nous a plantées dans le crâne. Quand j’ai réalisé que tout ça était faux et qu’il y avait vraiment des choses positives à partager, je me suis dit que j’allais oeuvrer pour l’empouvoirement des femmes », me confie d’emblée Gaëlle quand je l’interroge sur ses motivations à consacrer tout son temps au cycle menstruel. « Moi j’ai une maladie chronique du cycle (ndlr, le Syndrome des ovaires polykystiques), en ce moment je suis en crise d’ailleurs, donc ce n’est pas évident de kiffer tout le temps (rires) Mais c’est aussi pour ça que le sujet me touche ».

En plus d’être présente en ligne, elle intervient aussi dans le réel auprès d’entreprises ou d’établissements scolaires pour briser le tabou du cycle menstruel et favoriser l’autonomie gynécologique. Elle ne compte plus le nombre de questions qu’elle reçoit, comme si elle était au carrefour de questionnements existentiels. Son mot d’ordre ? Rester neutre et ne jamais juger la pertinence de tel ou tel questionnement.

« Je ne suis pas médecin mais je reçois tellement de questions ! Notamment des choses basiques qui me paraissent évidentes pourtant… Mais quand j’avais 15 ans, j’étais comme elles.eux, je me posais aussi toutes ces questions qu’on pourrait trouver “bêtes” mais qui ne le sont pas. Je me souviens, je pensais être malade quand j’avais des pertes blanches ! », me confie Gaëlle en riant. En l’écoutant parler, un souvenir me revient : ce moment où je pensais défier la nature humaine.

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Je vous la fais courte : il était une fois une personne aux frontières de l’adolescence qui s’apprêtait à avoir ses règles. Du haut de ses 12 ans, elle se posait beaucoup de questions et découvrait la vie pas à pas. Mais quand même ! Quel ne fut pas son étonnement quand, de bon matin, elle découvrit une matière gluante blanchâtre et inodore au fond de sa culotte… Ça alors ! Elle croyait que ça n’arrivait qu’aux garçons… C’est pas du sang qu’elle perd, c’est du sperme ! Comment elle va annoncer ça à ses parents… Finalement, elle a eu ses règles dans la foulée. Elle a cru pendant un temps qu’elle était à la fois détentrice d’une boîte à sperme et d’une boîte à sang. Et puis, un jour, elle a tout compris.

Tout ça pour dire, PAS DE TABOU ICI. On est entre nous.

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« Méconnaître ou mal vivre son cycle menstruel à cause de pathologies ou d’incompréhensions, ça amène à perdre énormément d’empowerment. Mon combat c’est que les femmes soient à leur juste place dans la société », continue Gaëlle qui ne perd pas de vue son objectif.

« On ne sait jamais comment la vague (du cycle) va être. L’idée c’est pas de contrôler la vague, c’est de dealer avec. »

Est-ce qu’on peut vraiment kiffer son cycle ? D’après Gaëlle, ça dépend des mois… « Mais le plus important c’est de comprendre que son cycle fonctionne comme un lanceur d’alertes. On ne l’aime pas forcément le lanceur d’alertes ou le messager mais grâce à lui, il faut se dire qu’on va peut-être pouvoir vivre en meilleure santé plus longtemps », estime la spécialiste du cycle avant de préciser qu’il faut aussi et surtout avoir l’intention de recevoir les signes. « Il faut dire à son cerveau de nous prévenir quand les signes sont là et devenir un peu le Sherlock Holmes de son propre cycle, enquêter sur soi-même : prévenir pour mieux vivre avec. On ne sait jamais comment la vague (du cycle) va être. L’idée c’est pas de contrôler la vague, c’est de dealer avec. »

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Avec Kiffe tes règles, elle a aussi voulu toucher un public plus vaste, celui qui n’a pas forcément accès aux réseaux sociaux. « Kiffe ton cycle, ça a super bien marché ! J’ai reçu beaucoup de messages de parents qui me disaient : “À quand un livre pour les jeunes ? J’ai ma fille qui va avoir ses premières règles, ce serait cool qu’elle en sache plus, etc.” », raconte celle qui a répondu à l’appel. « Un an avant que je commence à écrire Kiffe tes règles, on a commencé à poster les réels de notre compte Instagram sur TikTok et on a recueilli des questions très différentes de celles qu’on recevait sur Instagram… On en a récupéré une partie pour les mettre dans le livre. »

Parmi les questions les plus récurrentes, ce sont celles liées aux fausses croyances qui l’agacent le plus, comme celles sur l’hymen ou la virginité. « C’est clairement du sociétal avec cette notion d’emprise sur le corps des femmes, ça me soule que tout le monde ne soit pas déjà au courant ! »

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@kiffetoncycle

✨🌊 Est-ce que je peux tomber enceinte pendant mes règles ? 😮🩸 #cyclemenstruel #règles #menstruations #grossesse #fertilité #prévention #kiffetoncycle

♬ Aesthetic – Tollan Kim

Ou alors sur TikTok ces centaines (milliers ?) de jeunes qui s’interrogent : “J’ai fait l’amour à tel moment de mon cycle, est-ce que je peux tomber enceinte ?”; ou encore “Est-ce que le pipi sort du même endroit que les règles ?», etc. (Ndlr: au cas où, non le pipi ne sort pas du même endroit que les règles, achetez-vous le bouquin de Gaëlle si besoin).

« Ce sont des choses qu’on devrait déjà tous.tes savoir… On doit savoir qu’on peut tomber enceinte pendant ses règles, c’est la base. Ou le fameux : est-ce qu’on peut se laver les cheveux quand on a ses règles ? Parce que certaines familles véhiculent l’idée que ce serait dangereux… C’est plein de croyances et c’est parfois difficile d’apporter des réponses mais on fait de notre mieux avec ce qu’on a pour éduquer sur le sujet. »

« Le cycle menstruel concerne 100% des êtres humains parce que si ce phénomène n’existait pas, on ne serait pas là. Je ne sais pas comment être plus claire ! »

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Dans les écoles, lors de ses ateliers où elle fait circuler une cup, une serviette hygiénique imbibée de liquide ou un tube à essai où pend un tampon (ndlr: quelles idées géniales !), la créatrice de Kiffe ton cycle est régulièrement confrontée à des jeunes qui pensent que c’est vraiment « tout pourri » d’avoir un cycle menstruel. « Mais en 1h de temps, j’arrive à faire en sorte que certains garçons sortent de la salle en disant : “Ah finalement, c’est cool d’avoir ses règles, c’est comme avoir un super-pouvoir !” Je voulais vraiment recréer cette sensation dans le livre. Parce que oui, le cycle menstruel est un super-pouvoir qui a été préempté, piraté : libre à nous de lui redonner ses lettre de noblesse. »

Extrait de « Kiffe tes règles »
Extrait de « Kiffe tes règles »
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La faute à qui ? À l’empreinte patriarcale présent dans le milieu de la recherche pour commencer. « Quand on voit le nombre de recherches qui ont été faites sur l’érection de ces messieurs, comparé aux recherches sur le cycle menstruel… Ceci dit, il faut aussi avouer qu’on reste une énigme pour la science, c’est un fait ! La façon dont on a créé la science c’est un système de “toutes choses égales par ailleurs qui fait varier un seul élément”, toute la science est basée là-dessus. Évidemment, c’est souvent plus simple d’étudier seulement des souris mâles, par exemple, car il y a une forme de linéarité biologique qui est plus simple à gérer que les souris femelles qui ont plus de fluctuations. Pendant des décennies, des études scientifiques ont été faites sur des cohortes 100% masculines parce que c’était plus facile. C’est donc un vrai sacerdoce de bosser sur le cycle ! », raconte Gaëlle qui discute régulièrement avec des chercheurs.ses.

« C’est comme si on avait créé une science inapte à financer ces recherches-là, à cause de notre société patriarcale mais aussi de la complexité du sujet d’études. La science occidentale est construite de manière à ne pas pouvoir donner de résultats probants avec tout ce qui est en lien avec le cycle, notamment le syndrome prémenstruel (SPM). Moi je trouve ça génialissime, ça nous rend encore plus uniques en notre genre. »

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Ce qui la touche le plus dans sa mission quotidienne ? Des hommes qui lui écrivent pour lui dire que ça a tout changé à leur vision des choses, notamment vis-à -vis de leurs filles ou de leurs femmes. « Je trouve ça émouvant parce que ça prouve à quel point c’est systémique. Le cycle menstruel concerne 100% des êtres humains parce que si ce phénomène n’existait pas, on ne serait pas là. Je ne sais pas comment être plus claire ! (rires) Quand je me rends compte que d’autres êtres humains, qui ne vivent pas ce cycle, s’en saisissent et en font quelque chose, ça m’émeut toujours. »

« On peut continuer à kiffer sa vie en surfant sur son cycle ! »

En l’écoutant me raconter sa façon de donner des ateliers dans les écoles, en osant tout dire et tout montrer, je ne peux m’empêcher de repenser à ce fameux cours de bio où on apprenait à mettre un préservatif sur une banane… « Mais quel enfer ! Je m’en souviens aussi… On apprenait ça mais quasiment rien sur le cycle, si ce n’est la reproduction qui, d’ailleurs, ne concerne pas forcément tout le monde. Ça ne fait aucun sens. Moi je ne veux pas mélanger le sujet des règles avec celui des premiers rapports sexuels. D’ailleurs je ne fais pas d’éducation à la vie sexuelle et affective, c’est un autre métier. Mais je trouve ça dommage de mélanger les 2. Le cycle vit en nous, avec ou sans sexualité. »

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Pour Gaëlle, le cycle menstruel est résolument positif même s’il existe des pathologies. « Il ne faut pas rester seul.e, il faut trouver des gens pour se faire accompagner. Le SPM, par exemple, on peut en venir à bout. Il n’y a rien d’inéluctable. Une fois qu’on a un diagnostic, il faut comprendre sa maladie et s’empouvoirer avec ça pour mieux vivre avec. On peut continuer à kiffer sa vie en surfant sur son cycle ! Et ne jamais oublier que notre corps joue toujours dans notre camp, contrairement à ce qu’on nous dit souvent. Le corps s’exprime, il faut l’écouter. »