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J’aurais dû savoir que j’étais lesbienne

« Je n’ai jamais été capable de m’imaginer vieillir avec un homme. »

Par
Marie-Hélène Racine-Lacroix
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Ce sera bientôt le premier anniversaire de mon coming out. Il m’aura pris 26 ans pour réaliser que je suis lesbienne.

Enfant, j’ai eu un seul « p’tit copain », que j’ai largué quand il a insisté pour que je mette une robe à notre premier rendez-vous. La première semaine au collège, une fille beaucoup plus cool que moi m’a demandé quel garçon je trouvais beau. Je n’y avais pas pensé; je ne pensais jamais aux garçons. J’ai paniqué et j’ai nommé le seul dont je me rappelais le prénom.

Je n’ai pas eu de copain au collège, même si je me rappelle choisir chaque année un garçon sur lequel j’allais avoir un kick, puisque je me disais qu’il m’en fallait bien un. L’idée d’embrasser un garçon me terrifiait.

Je n’ai eu mon premier copain qu’à 18 ans, lors d’une période que j’aime surnommer « mon année Watatatow » puisque j’y ai aussi perdu ma virginité, bu ma première bière et fumé mon premier joint. À l’université, j’ai commencé à m’identifier comme bisexuelle, même si je n’avais fréquenté que des hommes. Je trouvais les femmes tellement belles qu’elles m’intimidaient.

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Quand je repense à tout ça, je ne peux que rire de moi-même. J’étais si évidemment lesbienne.

Ce n’est pas tout : très jeune, j’avais pleuré de bonheur quand ma Baby Spice préférée (la verte) m’avait touché la main. Depuis mon enfance, je ne fais que des couples de femmes dans les Sims. Longtemps, je ne pouvais même pas écouter Charlie’s Angels parce que je trouvais Lucy Liu trop belle.

Adolescente, on se moquait gentiment de moi parce que mes personnages d’animes japonais préférés étaient perçus comme féminins. Au lycée, je pleurais en écoutant She Keeps Me Warm de Mary Lambert. À l’université, je ne dessinais presque qu’exclusivement des femmes, puisque je les trouvais « artistiquement plus belles ».

J’ai toujours trouvé les filles plus belles que leur copain et vécu intensément mes amitiés féminines. Je n’ai jamais été capable de m’imaginer vieillir avec un homme.

J’ai toujours trouvé les filles plus belles que leur copain et vécu intensément mes amitiés féminines.

C’est pour tout ça, et plus, que je me demande comment c’est même possible que j’aie pris 26 ans avant d’avoir mon épiphanie lesbienne. Oui, une épiphanie.

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En novembre 2020, je lisais depuis un bon moment sur les concepts d’hétéronormativité et de « comphet », ou hétérosexualité compulsive. Je me reconnaissais dans tous les témoignages, mais je continuais à me dire que j’étais l’exception à la règle.

Puis, une nuit, je me suis réveillée soudainement, en larmes. J’ai commencé à me dire, en riant et à voix haute : « Je suis lesbienne. »

Eurêka.

C’est grâce à mes lectures, justement, que je pense avoir un début de réponse : nous vivons dans une société hétéronormative. La base, c’est être straight.

Les représentations queers adéquates et réalistes étaient très rares quand je grandissais. Je n’avais aucun exemple de ce qu’est l’amour et l’attirance entre deux femmes, encore moins entre une femme et une personne sortant de la binarité des genres. Quand je voyais plutôt des descriptions de l’attirance d’un homme pour une femme, je ne m’y reconnaissais pas du tout. J’ai donc supposé que ce que je ressentais n’était que de l’amitié.

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Parallèlement, les hommes me rendaient anxieuse, et leurs avances, mal à l’aise, mais j’assumais que les nœuds dans mon estomac étaient des papillons dans mon ventre.

Je pense aussi que le manque de diversité dans les représentations homos a contribué à mon déni.

Je pense aussi que le manque de diversité dans les représentations homos a contribué à mon déni. Il y a ce cliché voulant qu’une personne homosexuelle a toujours su qu’elle l’était. Je me suis longtemps dit : « Si j’étais vraiment lesbienne, je le saurais depuis toujours, non ? » Eh bien non. J’ai beau être une grosse lesbienne poilue, il y a au moins ce stéréotype dans lequel je n’entre pas.

Je crois aussi, tristement, que le très grand manque de confiance en moi du début de ma vingtaine a été complice de l’hétéronormativité. J’avais inconsciemment associé ma valeur avec l’approbation des hommes et ne me demandais même plus s’ils m’attiraient, ne souhaitant qu’attirer leur désir.

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Tout aussi tristement, je pense que j’avais plus de lesbophobie internalisée que je ne voulais me l’avouer. Étant humoriste, j’entends encore aujourd’hui des blagues qui n’ont aucun sens sur nous. Alors je n’ose même pas trop penser à tout ce que j’ai pu entendre en tant que jeune fan d’humour avec un accès illimité aux vieux galas sur telle chaîne du câble.

Quand je regarde les médias modernes, beaucoup plus divers, je ne suis pas jalouse; je suis incroyablement heureuse. Même si j’aurais aimé avoir plus tôt la nouvelle version de She-Ra ou des séries comme Les petits rois, je me réjouis que les ados d’aujourd’hui soient assez ouvert.e.s pour qu’elles existent.

Je me demande si j’aurais réalisé plus tôt que je suis lesbienne. Quoi que, probablement pas : j’avais déjà pas mal d’indices et je ne suis pas très vive parfois.

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