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Coming out, ou pas

Retour sur ce non-événement.

Par
Owen Barrow
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Je me suis enfilé tous les épisodes de Coming Out sur Spotify. J’ai entendu de belles histoires, touchantes, révoltantes, rageantes, inspirantes. J’ai vu Angèle affirmer fièrement sa nouvelle relation.

https://www.instagram.com/p/CDteBv1JKq1/

Je me suis indigné devant tous ces articles putaclic en mode « Angèle fait son coming out ». Je n’étais moi-même pas certain que ce soit ça, un coming out. Alors je suis allé chercher la définition sur SOS homophobie: « Annonce volontaire d’une orientation sexuelle ou d’une identité de genre à son entourage ». Et je me suis dit qu’effectivement, Angèle n’était pas en train de come out mais juste d’annoncer son attraction pour une fille. C’est tellement plus simple de mettre les gens dans des cases bien définies. Allons-y gaiement, décidons pour elle : Angèle est lesbienne. Si ça vous fait plaisir.

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J’ai aussi maté le documentaire Coming out de Denis Parrot. Et je n’y arrive toujours pas. Cette notion de coming out me met toujours hors de moi, avec, encore, cet énorme sentiment d’injustice. Le besoin de justifier, d’annoncer, de revendiquer une « déviance » par rapport à la norme dominante. Il y a la norme, puis il y a les autres. Nous, en l’occurrence.

Je n’avais pour ma part, absolument pas envie de faire de coming out. Pas du tout. C’est évidemment le choix le plus individuel et personnel du monde : chacun le vit à sa manière et à son rythme. Je ne parle même pas d’outing, ma pire phobie de l’époque. Mais pour ma part, le simple vocabulaire associé à la chose elle-même me repoussait, comme s’il fallait à tout prix « sortir du placard ». « Tes parents sont au courant ? » « T’es officiellement out? » Berk. Je voulais que les choses se fassent naturellement, simplement sans annonce, comme pour n’importe quel.le hétérosexuel.le, en fait. J’avais envie de présenter à ma famille un garçon, tout comme j’aurais pu leur présenter une fille. Je n’avais pas envie de m’asseoir autour d’une table pour en discuter. Pas envie d’entendre ces mots sortir de ma bouche. Mais, malheureusement, encore aujourd’hui, c’est une étape quasi obligatoire de la vie de n’importe quel.le gay, lesbienne, bi, trans…

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Et assez paradoxalement, malgré toute l’aversion éprouvée envers ce besoin de come out, j’avais vu Love, Simon quelques semaines plus tôt et je rêvais plus que tout au monde d’un coming out de cinéma, avec déclarations d’amour, pleurs et drama. C’est comme si, au fond de moi, c’était le non-événement par excellence, je le savais et je le croyais fermement. Mais l’industrie de l’entertainment avait réussi à me retourner le cerveau en me vendant ce rêve et en me faisant accepter l’image d’un événement majeur dans ma vie. Et si on n’en parlait plus ? Ou alors différemment. On fait comme si c’était un truc banal et on met de côté le drama ?

Pour ma part, c’était il y a 2 ans. J’étais en couple depuis au moins 1 an, une relation que j’arrivais à dissimuler assez aisément. Mais dans les derniers mois, je ne pouvais plus, je ne voulais plus, surtout. Je revenais d’un séjour à Berlin, chez mon copain. Quelques jours durant lesquels j’ai pu, assez naturellement, lui tenir la main en public sans ressentir la moindre pression extérieure. Je suis rentré en me disant : je veux vivre la même chose en France.

C’était ma vie, mes mots, mon timing, mon choix.

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Quelques jours plus tard, lors d’une discussion en fin de repas, avec ma mère et ma soeur, c’est allé assez vite. Deux choses m’ont marqué, deux choses que j’ai envie de partager ici. Le reste nous appartient. La première, c’est que ma mère a eu l’intelligence émotionnelle de me laisser le choix. Elle m’a demandé : « Je peux te poser une question d’ordre intime et privé ? » Je savais très bien ce qu’elle avait en tête, et j’avais une issue de secours. La décision d’en parler ou non me revenait. C’était ma vie, mes mots, mon timing, mon choix.

La deuxième, c’est qu’après quelques minutes de discussion, je me suis mis à pleurer. Elle m’a regardé droit dans les yeux, et avec la plus grande bienveillance du monde, elle m’a demandé : « Pourquoi tu pleures ? » Sur le coup et quelques jours/mois après, j’ai eu pas mal de difficulté à comprendre cette phrase. Je me disais qu’elle ne comprenait pas ce que ça représentait, qu’elle ne se rendait pas compte de l’émotion associée au simple fait de parler de cela à voix haute, avec eux. Je me disais qu’elle ne comprendrait jamais.

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J’étais en contradiction totale avec moi-même. Mes principes et ma vision initiale du coming out avaient été retournés en 2 secondes. Et puis avec le recul, je me suis dit que c’était la réaction la plus intelligente au monde. Je m’étais énervé, je lui avais dit quelque chose du genre : « J’ai pas envie d’avoir cette discussion avec toi, c’est pas juste, ça n’a aucun sens ! Pourquoi je dois me poser et te parler de ça ? » Elle l’avait très bien compris, c’était pour elle un non-événement et elle me demandait donc, calmement, pourquoi je pleurais.

Ce n’est pas un moment précis de notre vie, on passe son temps à come out. Le chemin est long, très long.

Sur le coup, je me suis senti vidé, et soulagé. Et je me suis rapidement rendu compte que cela n’avait rien changé. J’en avais parlé une fois à ma mère, et à ma sœur. On était loin du sujet normalisé. Ma famille élargie n’était pas au courant, plein d’ami.e.s non plus. J’ai aussi réalisé que je n’avais jamais prononcé, à voix haute les mots « je suis gay », mais que je paraphrasais le statement assez allègrement. Je me suis dit que la notion même de coming out, perçue comme action figée dans une temporalité unique, n’avait aucun sens.

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Ce n’est pas un moment précis de notre vie, on passe son temps à come out. Le chemin est long, très long. Dès que l’on rencontre une nouvelle personne, il y a toujours ce moment de léger doute qui plane avant d’avoir à te sentir obligé de clarifier ton orientation sexuelle, pour éviter tout malaise. Fête de famille, premier jour de boulot, rentrée scolaire, dîner, nouvelles rencontres, présentations, discussions, etc. Est ce qu’ils sont déjà au courant? Est-ce que ça va de soi? Est-ce que je devrais le dire? Je vais caler une allusion discrète pour voir. Ça ne s’arrête pas.

D’où le besoin d’en parler, d’où le besoin de revendiquer, de manifester, de se rassembler, d’écrire ce genre d’articles aussi, je crois.