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Il faut qu’on se parle de Mask Singer

D'autant qu'une troisième saison est déjà programmée.

Par
Stéphane Moret
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C’est le phénomène de la télévision américaine depuis 3 saisons, The Masked Singer en VO. L’émission est arrivée la saison dernière sur l’antenne de TF1, réalisant 8 millions de téléspectateurs pour sa première, soit le divertissement le plus vu depuis des années. Mask Singer est en plein dans sa 2e saison, et cartonne encore chaque samedi soir, un peu grâce au couvre-feu et au reconfinement, faisant de lui le parfait programme qui rassemble la famille. Alors mérité ou pas ?

La première saison avait cartonné au niveau des audiences, mais petite déception au niveau des stars : quand Smaïn, Yves Lecoq ou Sheila apparaissaient sous leur costume, les vieux applaudissaient, et les jeunes sur Twitter, s’interrogeaient: « C’est qui ? ». Avec cette sensation d’avoir été un peu lésés sur le casting après avoir suivi le programme pendant plusieurs semaines.

Bon, il faut reconnaître que c’est aussi manquer de respect aux artistes qui jouaient le jeu, car ils ont eu leur heure de gloire, même si ce n’est pas dans cette décennie. Par exemple, Smaïn a été le premier humoriste rebeu de France, et il a certainement ouvert la voie à Jamel et bien d’autres. Yves Lecoq, quant à lui, a été le premier imitateur à faire des grosses salles depuis Thierry Le Luron, et c’était aussi la voix indéboussolable des Guignols pendant plus de 20 ans. Et Sheila a été la plus grosse vendeuse française de disques à l’international jusqu’à ce que Mylène Farmer débarque. Sauf que tout ça, comme toujours, ça ne tient pas deux secondes face aux stars de Youtube chères à la jeune génération. Il n’y en a que pour Squeezie, Hatik, ou Aya Nakamura. Enfin, pour l’instant.

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Alors avec cette nouvelle saison, TF1 nous promettait du lourd côté vedettes, et promettait aussi de rassembler les générations. Le premier « prime time » a un peu mis à mal cette promesse, avec la première personne éliminée : Laure Manaudou. A ce propos, il ne fait pas bon être championne olympique et participer à cette émission, puisque l’année dernière, c’était la sprinteuse Marie-Josée Pérec qui avait jarté en premier. Et surtout, on reste dans la même saveur : des gens connus, certes, mais qui n’ont pas fait de carrière depuis leur retraite sportive. C’est difficile de les garder à l’esprit quand leur principale activité est de commenter les Jeux Olympiques une fois tous les 4 ans. Passons.

Deuxième éliminée de cette 2e saison : Frédérique Bel. Oui, la comédienne qui a tenu La Minute Blonde sur ses épaules. Mais la révélation fait flop, puisque cette pastille humoristique était regardée sur Canal + à l’époque, par maximum 1 million de personnes chaque soir. Alors oui, Frédérique Bel joue bien dans Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?, un des plus gros succès récents du cinéma français mais elle n’a qu’un petit rôle (10 minutes à tout casser) parmi les 8 jeunes qui s’affichent aux côtés des tauliers Christian Clavier et Chantal Lauby. Aucun succès ne repose réellement sur ses épaules, aussi variés que soient les rôles de sa carrière.

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Le deuxième « prime time » a révélé les frères Igor et Grischka Bogdanoff, anciens pionniers de la vulgarisation scientifique à la télévision, dans les années 80. Depuis, ils sont passés du côté des personnalités moquées, principalement pour leur incroyable transformation physique, digne d’un roman de science-fiction qu’ils affectionnent tant.

Et TF1 promettait également, pour cette 2e émission, la présence d’une « star internationale », qui se prêtait au jeu hors concours. Une prestation pour la reconnaître, et la star se révèlerait d’elle-même. Et il s’agissait, après des pronostics sur Kylie Minogue, Shakira ou Jennifer Lopez, de… Itziar Ituño. Pardon, ce nom ne vous dit rien ?

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Logique, il s’agit de l’actrice qui joue Lisbonne dans la série La Casa de Papel, le hit espagnol racheté par Netflix. Or, en dehors de ce rôle, vous n’avez certainement aucune chance de connaître cette actrice. TF1 a joué une sorte de carte joker, en s’adressant au public jeune et urbain qui consomme la plate-forme de streaming. Mais même sur ce point, le jury et les téléspectateurs pouvaient sembler déçus, attendant plutôt, au vu des indices, l’actrice qui joue Tokyo dans la même série. Un coup dans l’eau, donc.

Et quand on devine les autres vedettes possibles (Basile Boli, Jenifer, Dave, Tatiana Silva, Valérie Damidot): ça sent très fort les années 80 ou juste l’écurie TF1 qui replace ses employés. Un mélange de Stars 80 et de Bêtisier de fin d’année, en quelque sorte.

Le trompe-l’œil, c’est la présence de Camille Combal, idole des jeunes depuis sa matinale sur Virgin Radio et ses chroniques dans TPMP.

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Mais, en fait, ce divertissement est-il vraiment destiné aux jeunes ? Non, il est diffusé le samedi soir, quand les jeunes sortent (enfin quand ils pouvaient encore sortir). Il remplace Danse Avec Les Stars qui ne peut se tenir cette saison en raison de la crise sanitaire. Donc il est destiné à un public familial, ni plus ni moins.

Le trompe-l’œil, c’est la présence de Camille Combal, idole des jeunes depuis sa matinale sur Virgin Radio et ses chroniques dans TPMP. Mais aujourd’hui, CC est le gendre idéal, rôle dévolu il y a quelques années à Vincent Cerrutti, son prédecesseur à l’animation de DALS. On lui souhaite de durer plus longtemps, il a ce qu’il faut pour : il est drôle, et n’est pas coincé à l’antenne. Donc ça devrait le faire. Combal apporte donc un public jeune au programme… qui ne connaît pas les vedettes révélées.

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L’année dernière, beaucoup de tweets suivaient chaque révélation : « C’est qui, Lio ? », « C’est qui Natasha St-Pier ? » « C’est qui Julie Zenatti ? ». A peine reconnaissaient-ils Franck Leboeuf ou David Douillet, pourtant champions du monde de leurs disciplines, mais qui ont ensuite changé de carrière (comédien et ministre). Le manque de culture de certains Twittos est assez sidérant : ne pas s’intéresser aux générations précédentes crée une fracture, et on se sent vieux cons dès qu’ils disent « C’est qui ? ».

Raison pour laquelle des figures populaires, rassembleuses, qui mélangent plusieurs générations comme M. Pokora ou Soprano (ou Jenifer, gros clin d’œil relou, au cas où ce serait elle: on vous l’aura dit ici avant tout le monde!!) ne sont pas à jeter aux orties, ne sont pas dénués de talent. Et TF1 l’a compris, en misant sur ces personnes qui passent bien en télé, qui jouent le jeu en jouant de leur image, qui aiment que les projecteurs se braquent à nouveau sur eux: du moment que ça leur permet de vendre quelques disques ou places de spectacle. La chaîne intègre facilement ces profils dans ses émissions comme The Voice, en tant que jury. Ces stars sont même prêtes à participer à l’émission pour rien (à part certainement le cachet), si ce n’est le sentiment de faire plaisir à leurs enfants. C’est d’ailleurs l’argument lâché par la gagnante de la première saison, Laurence Bocolini, mais aussi par la première éliminée de cette 2e saison, Laure Manaudou : « Je l’ai fait pour mes enfants ».

Imaginez, vous avez 6 ans, vous êtes en train de regarder la télévision, et votre maman vous dit : « La licorne, c’est moi ».

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Et moi ça me touche comme argument. Une grande kermesse télévisée, histoire que leurs enfants les regardent avec des yeux émerveillés. Imaginez, vous avez 6 ans, vous êtes en train de regarder la télévision, et votre maman vous dit : « La licorne, c’est moi ». C’est pas trop mignon ? C’est comme lorsqu’un acteur avoue avoir accepté tel ou tel film pour faire plaisir à ses enfants, quand les critiques lui reprochent la légèreté du scénario.

Finalement, Mask Singer se range dans la même catégorie que Danse avec les Stars. Les cyniques se moqueront des vedettes qui y participent (souvent les mêmes d’une émission à l’autre d’ailleurs), pendant que les familles seront contentes de revivre un bout de nostalgie. Aux Etats-Unis, il existe un terme pour classer les vedettes selon leur grade : les grandes vedettes internationales de cinéma sont la « A-list ». Les autres sont de 2e voire de 3e catégorie, la « B-list » ou la « C-list ». Dans sa version américaine, Mask Singer propose déjà des vedettes de la B-list, voire C-list pour se démasquer.

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N’en demandons alors pas trop au programme français, qui n’est en fait qu’une énième itération de real-tv avec des personnalités. Les plus connues des vedettes démasquées sur 3 saisons sont Tori Spelling, l’ancienne actrice de Beverly Hills ; Rumer Willis, la fille de Bruce et Demi Moore ou des vieilles gloires comme Gladys Night. Ninja, premier Twitcher au monde, s’est également prêté au jeu, mais en dehors de la plate-forme de diffusion de jeux vidéos, qui le connaît ? Et qu’est devenue la carrière de Michelle Williams, ancienne membre des Destiny’s Child ? Le seul qui pourrait être d’un plus haut pedigree serait le chanteur Seal, s’il avait ressorti un tube ces dernières années. Pour le reste des participants, il s’agit d’animateurs, chanteurs et sportifs locaux.

Alors ne boudons pas notre plaisir en France, profitons d’un des rares programmes populaires comme Koh-Lanta, posons-nous devant la télé, retrouvons notre âme d’enfant, et jouons. De toutes façons, en ce moment, il n’y a que ça à faire. Alors, bas les masques !

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