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Être lesbienne et désirer des hommes : l’ultime tabou ?

« J’ai compris que les choses n’étaient pas si binaires. »

Par
Salomé Tissolong
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Elles aiment les femmes, pas de doute là-dessus. Elles s’identifient d’ailleurs comme lesbiennes, homosexuelles, gouines… Et pourtant, parfois, elles peuvent ressentir du désir pour un homme. Oui, ça leur arrive. Qu’il s’agisse d’un simple fantasme, d’une envie fugace ou d’une pratique sexuelle, c’est pour elles une réalité. On en parle pourtant peu : dans les médias, dans les fictions, au sein de la communauté LGBTQIA+… C’est comme si cela n’existait pas. Et pour cause ! Un tabou semble encore entourer cette question. On a donc demandé à des femmes lesbiennes ce que ça fait de désirer des hommes, et comment elles le vivent.

« Il m’est arrivé plusieurs fois de ressentir du désir pour des hommes. Et plus le temps passe, plus ça m’arrive », déclare Clothilde, 24 ans. Elle est lesbienne et a parfois des rapports sexuels avec eux. « Ce n’est pas resté que de l’ordre du fantasme : il y a eu passage à l’acte dans la moitié des cas où j’ai été attirée par des mecs », complète-t-elle. Clothilde n’est pas la seule, loin de là. Il y a aussi Sarah, 31 ans, qui se souvient avoir eu de l’attirance pour un homme. « Je me sentais touchée par sa personnalité, ce qu’il renvoyait, son attitude, son rapport à la masculinité. Et puis je n’étais pas non plus insensible à son physique, je le trouvais mignon », explique-t-elle, avant de préciser : « Pour moi, ça reste de l’ordre du désir, du fantasme. Je ne suis jamais passée à l’action avec un homme pour lequel je ressentais une attirance. Je n’avais pas tellement envie d’enclencher la vitesse supérieure », conclut-elle.

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Et pour Violette, 26 ans, « avoir des relations avec des mecs, c’est purement sexuel et purement récréatif. C’est léger, vu que je sais qu’il n’y a pas de sentiments derrière, déclare la jeune femme. Je ne pense pas avoir de désir pour leur corps. C’est plutôt sur le moment, pour assouvir des besoins sexuels, ou une certaine curiosité. C’est une sorte d’intérêt pour l’intimité avec des hommes – mais c’est très ponctuel », conclut-elle. Elle nous confie cependant que ce désir peut être troublant : que vient-il faire là, dans une sexualité qu’on pensait totalement tournée vers les femmes ?

Que faire de ce désir ?

Selon la psychologue et sexologue Coraline Delebarre, qui a mené une enquête sur les réalités sexuelles chez les femmes qui ont des rapports sexuels avec d’autres femmes, on ne peut pas vraiment donner de raisons au fait qu’une lesbienne ressente du désir pour un homme. « C’est un mélange de plein de vecteurs, que ce soit l’attirance physique, sexuelle, émotionnelle, affective… », déclare-t-elle. « Et je crois que la question la plus importante, ce n’est pas tant de savoir pourquoi, mais comment. Peu importe pourquoi on ressent du désir pour un homme, l’important c’est ce qu’on en fait, comment on le vit, comment on arrive à se tranquilliser avec le désir qu’on peut ressentir. » Pour cela, chacune a sa réponse. On peut choisir d’agir dessus ou, au contraire, éviter de passer la barrière du fantasme.

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Clothilde raconte avoir apprivoisé ce désir. « Au début, ça m’a déstabilisée. Je n’étais pas très à l’aise avec ça, je trouvais que ça n’avait rien à faire là, que ce n’était pas très cohérent avec le fait d’être lesbienne. Alors je le réprimais complètement », explique-t-elle. « Mais ça a évolué au fur et à mesure que j’ai mieux compris ma propre sexualité envers les filles. J’ai compris que les choses n’étaient pas si binaires. J’ai réalisé qu’il y avait des mecs cis, des mecs trans, des femmes cis et des femmes trans… Progressivement, ça a rendu beaucoup de mes catégories mentales obsolètes, et j’ai bien plus accepté ce désir. Ça ne m’a plus paru un drame, j’ai commencé à m’autoriser à le ressentir et à agir dessus. »

Entre désirs, comportements sexuels et identité

Selon Coraline Delebarre, il est compréhensible qu’une femme qui s’identifie comme lesbienne soit déstabilisée. « Ayant construit tous ses scripts sexuels et ses désirs autour des femmes, elle peut être en grande difficulté quand elle ressent du désir pour un homme cis ou trans, parce que ça vient remettre en question une identité qui est parfois prégnante, fondatrice de l’individu. » Elle rappelle alors qu’un comportement sexuel ne correspond pas forcément à une orientation sexuelle et à la manière dont on s’identifie. « Il n’y a pas de lien direct entre genre, orientation sexuelle, comportements sexuels, pratiques sexuelles… Tous ces éléments sont indépendants les uns des autres. »

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C’est d’ailleurs ce que pense Violette : « Pour moi, être lesbienne c’est beaucoup plus une attitude par rapport à la façon de concevoir le couple – avec des femmes -, de se projeter dans la vie, de se situer dans la société, qu’une affaire de sexualité. Du coup, aujourd’hui, ça me donne envie de le revendiquer, tout en conservant l’éventail de désirs que je peux avoir. » Elle conclut cependant en demi-teinte : « Dans mon cercle proche je le dis, mais il y a des cercles dans lesquels j’évite de l’exprimer, parce que je sais que c’est excluant… »

Être une « mauvaise lesbienne »

Si comme Violette, certaines craignent de verbaliser ce désir, c’est par peur du regard des autres. La psychologue et sexologue Coraline Delebarre nous explique ce rapport à la communauté. « Quand on fait partie d’une minorité active, c’est un long chemin et un long parcours pour s’accepter telle que l’on est et se recréer un groupe d’appartenance… Il y a donc un risque d’effondrement, de perdre tout ce qui a été si difficile à construire. Il y a la peur d’être rejetée par ce groupe, d’être considérée comme traitre à la cause, d’être perçue comme bisexuelle – ce qui ne correspond pas à la façon dont on se perçoit –, de ne plus se sentir légitime en tant que lesbienne… Et ça crée des formes de dissonances cognitives, où on peut se perdre soi-même, dans son identité. »

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Pourquoi ces femmes qui tombent amoureuses d’autres femmes se sentiraient illégitimes ? Parce qu’elles sont confrontées à des normes. La sociologue Claire Piluso, qui a étudié la construction de l’homosexualité, les a notamment observées dans le milieu militant. « Les militants produisent des types de savoirs sur l’homosexualité. Cela permet de faire avancer les droits, mais en même temps, ça produit des normes », explique la docteure en sociologie. « On observe la création de rapports théoriques sur l’homosexualité, et c’est là qu’on voit des discours sur ce que peut être un·e « bon·ne homosexuel·le » ou pas. Dans les milieux militants, on voit par exemple un type de parcours homosexuel qui est mis en avant, avec des étapes par lesquelles on passe quand on est homosexuel·le, tel que le coming-out, par exemple. »

Dans certains imaginaires, la « bonne lesbienne » ou la « vraie lesbienne » n’aurait pas de désir pour un homme, et ne coucherait surtout pas avec. On se souvient alors – non sans amertume – du mythe de la lesbienne Gold Star. Ce terme, mélioratif, désigne une lesbienne qui n’a jamais eu de relation sexuelle avec un homme. Elle est valorisée, car considérée comme « pure ». Un schéma de pensée dépréciatif pour toutes les autres lesbiennes…

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Au-delà de la communauté

Les lesbiennes à qui il arrive de désirer des hommes peuvent aussi ressentir un malaise au-delà de leur communauté. C’est le cas de Sarah : « J’arrive assez facilement à en parler à mes copines lesbiennes, mais c’est dans la communauté hétéro que je vais avoir plus de mal à partager ces histoires… C’est parce que j’ai l’impression qu’ils vont changer de regard sur moi, et qu’ils vont aussi chercher à me caser dans une autre forme d’orientation sexuelle. J’ai l’impression qu’ils vont se dire : « Mais elle n’est pas sûre d’elle, elle ne sait pas ce qu’elle veut, donc elle est certainement bi, ou elle n’est pas vraiment lesbienne… » ». Une peur d’être incomprise, quand on ne correspond pas aux stéréotypes sur l’homosexualité.

Mais être lesbienne, ce n’est pas forcément avoir des rapports sexuels qu’avec des femmes. Pour certaines, cela correspond à une identité et n’a pas de lien avec les désirs. Et qui peut juger si une femme est une bonne ou une mauvaise lesbienne ? Absolument personne.

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