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L’activiste parfait·e n’existe pas

Ou l’art délicat du militantisme.

Par
Pauline Allione
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Elijah Jacob a 16 ans et se définit comme un jeune trans noir. Actif sur les réseaux sociaux où il milite pour les droits des personnes transgenres et contre le racisme, le jeune homme a récemment été accusé d’appropriation culturelle. Son erreur : avoir choisi deux prénoms bibliques. Sur la Toile comme IRL, les militant·e·s se jettent la pierre (ou des œufs, comme l’ont fait des féministes lors de la manifestation du 8 mars) en cas de désaccord et la cancel culture, soit le fait « d’annuler » quelqu’un à cause de propos ou comportements problématiques, est plus en vogue que jamais. La déferlante de haine que l’on observe parfois (souvent) pose une autre question : ne serait-il pas temps d’arrêter de croire en un activisme parfait, sans erreur ni faux-pas ?

Interrogée par Lauren Bastide pour l’association Les Créatives, Loretta Ross, activiste afroféministe, balaie l’idée de l’existence d’une pureté militante. « Lorsque beaucoup de personnes différentes qui pensent de différentes manières vont dans la même direction, on appelle cela un mouvement. Mais lorsque beaucoup de personnes différentes qui ont une pensée unique, vont dans la même direction, alors c’est un culte ! », explique-t-elle, avant de poursuivre : « C’est une façon tellement absurde de s’organiser que de partir du principe qu’il faut atteindre la pureté politique et la perfection, avec des êtres humain·e·s qui sont absolument imparfait·e·s. »

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LA PRESSION DU FAUX-PAS

Alors que plusieurs luttes s’articulent et que différentes voix s’élèvent pour renverser les systèmes dominants, reste à composer avec les autres, à éviter de heurter la sensibilité de chacun·e, à faire attention à n’invisibiliser personne… la mission est parfois délicate. « On est engagées pour la cause féministe mais aussi dans les luttes antiracistes et pro LGBT+. Il y a tant de choses qui nous tiennent à cœur qu’on n’a pas envie de mettre une cause au-dessus d’une autre dans nos prises de paroles ou de blesser quelqu’un.e », confient Camille Giry et Justine Lossa, comédiennes et militantes, aussi connues sous leur chaîne commune.

Si la question ne se pose pas vraiment au début d’un engagement, c’est souvent plus tard dans la construction de sa pensée militante que vient l’aspiration à la perfection. Mais pour Juliette Rousseau, journaliste, activiste et autrice de Lutter ensemble, elle n’est pas une fin en soi. « Cet enjeu à la perfection continue de nos discours et de nos pratiques n’est pas nécessairement épanouissant individuellement et collectivement, et il ne nous donne pas de puissance. Alors que l’objectif, c’est justement d’accroître une forme de puissance collective dans l’opposition aux systèmes de domination. »

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DÉCONSTRUIRE, APPRENDRE, ÉVOLUER

Utiliser les mauvais mots sans le vouloir, Camille et Justine l’ont déjà fait, elles ne s’en cachent pas. « On est encore en déconstruction et il nous reste plein de choses à apprendre, mais il y a parfois un tel agacement chez les militant·e·s qui subissent des discriminations qu’i·el·ls oublient qu’on ne leur veut pas toujours du mal, qu’on peut simplement manquer de connaissances ou être maladroites ».

Du côté d’Elijah Jacob, les Twittos énervés ont fait l’effet d’une douche froide. Depuis la vague de commentaires haineux qu’il a reçus, le militant y réfléchit à deux fois avant de poster. « J’avais plutôt une bonne image des réseaux, je les utilisais pour visibiliser les personnes trans noires, répondre aux questions des gens… Ça m’a beaucoup touché de voir que ça pouvait me retomber dessus. »

Comme l’explique Loretta Ross, il faut distinguer deux types de call out : les call out verticaux, qui touchent les personnes haut placées dans la société et dont on a besoin, et les call out horizontaux, entre individus qui possèdent peu de privilèges et de pouvoir. Résultat, des minorités qui se battent pour leurs droits et une société plus égalitaire deviennent la cible de cyberharcèlement.

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ACCÉDER A LA JOIE MILITANTE

Heureusement, le militantisme peut aussi être la source de joie et d’enthousiasme collectif. Pour Juliette Rousseau, qui vient de traduire Joie militante, ouvrage incontournable de la pensée militante outre Atlantique, cette joie passe aussi par une certaine forme de droit à l’erreur. « Le droit à l’erreur peut exister dans un cadre dont les conditions permettent une confiance mutuelle et réciproque, et dans une forme de responsabilité devant nos actes individuels et collectifs », pose l’autrice. Le droit à l’erreur oui, mais attention à ce qu’il ne justifie pas non plus les grosses sorties de route, et encore moins la perpétuation de formes d’oppression ou de violence.

La perfection, Camille et Justine savent qu’elles ne l’atteindront pas. Mais il n’empêche qu’elles se demandent souvent si elles sont de « bonnes » militantes. « On se remet souvent en question mais l’important, c’est de ne pas oublier qu’on fait et qu’on a fait des choses, qu’on a le droit de se tromper, de changer d’avis… », rappellent les comédiennes.

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Il n’existe pas une seule bonne façon de faire, et chacun·e compose avec sa réalité, son point de vue et son histoire. Sur ce, quittons-nous sur une note de légèreté (et de nostalgie) signée Hannah Montana : « nobody’s perfect ».