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Entrevue : Olivier Lallart – « Montrer l’homosexualité, c’est le vrai combat du film »
Ne plus banaliser l’homophobie ordinaire. Avec son moyen-métrage PD, qui a enflammé la toile ces derniers jours, Olivier Lallart propose un film choc mais surtout un outil précieux d’éducation populaire pour les générations à venir. Le but ? Faire évoluer la société et les moeurs en commençant par changer notre vocabulaire et nos comportements. On en a discuté avec le réalisateur, sous le feu des projecteurs.
Pour celles et ceux qui te découvrent : qui es-tu Olivier ?
Avec plaisir ! Je suis réalisateur depuis 12 ans maintenant. Je fais des vidéos institutionnelles et puis je crée aussi des projets plus personnels comme PD. D’ailleurs, l‘engouement du public pour ce moyen-métrage nous surprend beaucoup depuis deux semaines. On est presque à un million de vues sur Youtube, là ! On reçoit des messages très forts de jeunes qui nous disent qu’ils ont trouvé la force de révéler leur sexualité à leur famille. On se dit qu’on a fait plus qu’un film…
Justement, comment t’es venue l’idée d’écrire PD ?
J’ai découvert mon homosexualité très tard et j’ai eu besoin de parler de ce ressenti. Quand je travaillais dans les milieux scolaires, j’avais remarqué que l’insulte « PD » était lancée à tort et à travers en permanence. Alors le point de départ du film a été d’interpeler les gens sur ce mot pour ensuite le déconstruire. J’ai des potes, dans la trentaine, qui me disent encore: « Tu peux me resservir un verre mais ne mets pas une dose de PD, stp ! ». Ça peut paraitre anodin pour certain.es mais qu’est-ce que ça fait réellement aux jeunes d’entendre ces phrases à longueur de journée ? À quel point ça joue dans la construction de leur identité ? J’estime que cela contribue à la normalisation de l’homophobie et on sait à quel point, elle est toujours aussi présente en France. Laisser passer ça, le terme « PD », c’est dire aux gens qu’ils peuvent dire ce qu’ils veulent sans prendre responsabilité. Ce n’est plus possible, il faut que ça change.
Peux-tu nous en dire un peu plus sur le tournage ? Comment ça s’est passé ?
C’est le plus gros projet que j’ai jamais fait ! Il y avait une quinzaine de lieux de tournage, 16 petits rôles, 120 figurants, une cinquantaine de techniciens, plus de 200 personnes au total. En budget, on a obtenu cinq fois moins que ce qu’il aurait fallu. Esteban, le second rôle, ça a été simple de le trouver parce qu’on n’avait peu de candidats. Dès qu’on a envoyé la scène où il y a un baiser entre garçons, on a reçu très peu de retours d’emails… (rires). Sans tomber dans le cliché, je voulais aussi que ce personnage ne soit pas français pure souche, qu’il soit typé. On sait que dans le milieu des jeunes des cités, c’est très compliqué d’assumer son homosexualité voire impossible. Jacques Lepesqueur a été parfait pour le second rôle. Paul Gomérieux a été aussi une vraie révélation pour le premier rôle.
Quelles sont tes inspirations ou tes muses ?
Ma nouvelle vague de réalisateurs, c’est des mecs comme Gaspard Noé, Kim Chapiron ou Romain Gavras, ils font des films extrêmes et provocs, ça change des comédies très formatées avec Kev Adams (rires). J’aime bien l’univers de Dupontel aussi, un peu loufoque, proche du cartoon. Et alors évidemment, le réalisateur qui m’inspire beaucoup c’est Xavier Dolan : c’est juste et beau tout ce qu’il fait… Je l’adore, et en même temps je le déteste, parce que j’aimerais tellement lui ressembler… (rires).
À ton avis, qu’est-ce que tu as réussi à dénoncer à travers ce moyen-métrage ?
Déjà, juste le fait de voir deux mecs s’embrasser à l’écran a généré de fortes réactions de dégoût dans une salle avec des lycéens. Alors je dirais que montrer l’homosexualité, c’est le vrai combat du film. Normaliser aussi : montrer qu’un homo ce n’est pas forcément le cliché du mec fofolle avec un plumeau dans le cul ! Montrer aussi qu’un jeune qui est attiré vers un autre jeune, ça ne veut pas forcément dire qu’il est homo, il peut très bien juste tomber amoureux. On espère vraiment ouvrir d’autres horizons avec ce film .
Est-ce que tu penses qu’il y a une augmentation de l’homophobie chez les jeunes et dans la société en général ?
Dans les années 90, je n’avais aucun repère dans ma famille, ni à la télé ni dans la rue. En fait, tu te construis en pensant que t’es hétéro. Depuis 20 ans, on voit beaucoup plus de films avec des LGBT. On assiste aussi à une évolution des connaissances chez les jeunes sur les différentes formes de sexualité : non-binarité, pansexualité, etc… Là où les gens de 50 ans sont complètement largués ! À l’inverse, pour le Mariage pour tous en 2012, c’est une des premières fois dans l’histoire de France que des gens ont manifesté pour interdire à d’autres gens d’avoir les mêmes droits qu’eux. Ça a libéré une parole homophobe de dingue. SOS homophobie le dit aussi dans son rapport : depuis deux ans, les violences homophobes sont en hausse donc il y a encore du taff.
Comment, culturellement, on peut faire bouger les lignes selon toi ?
Les journées de sensibilisation dans les écoles c’est important mais ça ne peut pas passer que par l’Éducation Nationale. Les médias, les films, les musiques, les séries peuvent jouer un rôle pour toucher les adultes aussi. Si, dans les Avengers, il y avait un personnage LGBT, ça permettrait de toucher une population beaucoup plus large. C’est pour ça que j’avais envie que PD s’adresse à tous et à toutes, mais c’est compliqué pour les personnes qui ont vécu dans les années 70 où l’homosexualité était encore pénalisée et mal vue. On reçoit encore des centaines de messages depuis la sortie de PD, il y a un homme de 50 ans qui nous a dit : « J’ai une femme avec des enfants, je viens de me révéler. C’est une catastrophe… J’aurais tellement aimé voir votre film à 15 ans. » Ça en dit long.