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Comment une armada d’applis « bien-être mental » m’a sauvé de la déchéance

Un consortium de coachs numériques à la « pêche attitude » de spot TV surveillent mon moral comme lait sur le feu.

Par
Antonin Gratien
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Les chiffres sont encore sur les lèvres de tous.tes les expert.es du moral. Selon une étude Santé Publique France révélée en février dernier, les épisodes dépressifs ont bondi dans l’Hexagone. En 2017, 9,8 % des 18-75 ans étaient touchés, pour 13,3 % en 2021. Une catastrophe qui s’expliquerait, notamment, par le contre-coup du covid. Cerise sur le gâteau : pour affronter ce grand blues, les options d’accompagnement sont franchement décourageantes.

Vous habitez hors des métropoles ? Bienvenue dans le « désert psychiatrique ». Vous engagez une thérapie ? Félicitations ! Mais préparez-vous à casquer 70€ de consultations hebdomadaires pendant des mois, voire des années. Un ultra luxe, a fortiori dans cette période d’inflation. Craquer son PEL ou laisser la morosité s’installer ; une impasse à la Charybde et Scylla contre laquelle l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) himself s’est érigé, en mettant à l’honneur… Les applis de santé mentale. Des outils en plein boom, vantés comme « à peu près aussi efficaces que les psychothérapies courtes pour des troubles communs ». Genre la dépression, l’anxiété, et l’abus de stupéfiants. De noirs rivages dans lesquels je navigue depuis un bail, et contre lesquels ces plateformes offriraient une planche de salut. Le tout, à portée de clic. Sans déconner ?

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Hold up de l’Apple Store

Vachement engaillardi par la perspective d’une prise en charge massive de mes vils penchants, j’ai la main lourde sur l’Apple Store. Un vrai braquage. Applis pour stopper la clope, ralentir les psychotropes, s’initier à la méditation, booster mon moral… Tout y passe. Certaines plateformes proposent des forums de soutien entre utilisateur.ices, d’autres tablent sur un suivi quotidien. Il y a de tout. Et ce feu d’artifice d’interfaces dédiées au feel-good me fait l’effet d’une étreinte chaleureuse. Style « welcome dans la famille », avec les sourires, le chocolat de bienvenue et tutti quanti. Ça démarre fort. Première réflexion : dans une époque où, selon un sondage Ipsos, 80 % des français.es ayant un pépin de santé mentale ne consulteraient pas de spécialistes, les plateformes de « e-santé » dédiées font au moins tomber trois barrières.

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Celles du financement, bien sûr, les éventuels tarifs d’abonnement aux applis étant largement inférieurs à ceux des praticiens « IRL ». Envolé, aussi, le « tabou » qui pèserait encore sur la santé mentale pour 3 français.es sur 4, selon un baromètre de l’IFOP. En tête à tête avec votre smartphone, pas de regard stigmatisant – jackpot. Last but not least : l’accessibilité. Votre suivi, vous l’emportez avec vous partout, n’importe où. Lorsque je repense aux innombrables galères de synchronisation entre mon emploi du temps et celui des psys que j’ai côtoyé – qui œuvraient en moyenne à 50 min de chez moi, notons -, laissez-moi vous dire que ça n’est pas juste «pratique». C’est apaisant. Le premier pas vers la guérison, sans doute.

Des outils over-friendly

Voilà, nous y sommes. Après avoir rempli quelques « formulaires », une flopée d’applis en sait plus sur mes vices et vulnérabilités que le plus proche de mes potes. Mais à l’ère de l’extractivisme mercantile des personal datas, qui est-ce-que ça choquerait ? Pas moi. C’est en toute insouciance que je me dévoile à ces plateformes qui, d’ailleurs, me le rendent bien – presque un chouïa trop. Depuis que je les ai en poche, mon quotidien est ponctué de salves d’encouragements over-friendly. Ici une notification me félicite parce que « deux jours sans tabac, c’est déjà le début de quelque chose », là une voix apaisée salue ma « détermination à entrer en pleine conscience ». M’allonger en respirant profondément pendant 10 pauvres minutes mérite-t-il vraiment louange ? L’effet « ovation » no stop de ma cohorte d’applis me donne l’impression d’être un gosse encouragé par une assemblée familiale gâteuse, tombée en pâmoison devant mon gribouillage pas-si-ouf-m’enfin-c’est-déjà-ça. Gênant. Heureusement, passé cette cuisante impression d’infantilisation, l’ascenseur émotionnel fait un stop salutaire à la case « fierté ».

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Simplement parce qu’en matière de santé mentale, il n’y a pas de petite victoire. Sauf que. Qui reconnaîtra nos moindres pas en avant comme tels, des « victoires » ? Après tout, nul ne saurait décemment exiger l’accolade laudative de son entourage à chaque soupçon de « mieux-être ». C’est là que les applis entrent en piste – et sur les chapeaux de roues, s’il vous plaît. Comptez sur elles pour vous soutenir dans toutes vos initiatives. On retrouve là l’un des principes clés des cercles de discussions thérapeutiques : s’encourager à donf. S’applaudir, se féliciter. Parce que ouais, pour un addict, deux jours sans sa dose c’est effectivement « déjà le début de quelque chose ». Bref. Parmi la galerie de voix chaleureuses et de visages illuminés qu’hébergent mes applis, il est une figure qui m’a marquée plus que les autres : Ombline, aka la coach appolinaire de MindDay. Un outil conçu sur la base des thérapies comportementales et cognitives (TTC) qui propose des modules vidéo accompagnant l’utilisateur.ice vers des objectifs allant du localisé « accompagner ses parents qui vieillissent » au très existentiel « affronter sa peur de mourir ». Interactive, cette plateforme mise sur notre participation active en nous enjoignant à répondre aux questions d’Ombline, donc, (« définissez en quelques mots vos objectifs de couple »). La plateforme propose aussi d’évaluer puis de décortiquer, jour après jour, notre « score » de santé mentale. Gosso modo, on fait une auto-thérapie.

Jamais sans mon crew d’applis

Cette approche « qui ne prétend pas remplacer une thérapie de fond », précise notre coach favorite – repose sur une intuition percutante : nous pourrions prendre soin de notre moral grâce à de petits entraînements quotidiens. À l’instar de la santé physique, quoi. En rendant visite à l’appli jour après jour, nous musclerions notre moral à l’aide d’exercices de conscientisation, notamment. Ici, il ne s’agit pas de dénouer le fameux « complexe d’Œdipe », ni de disserter longuement sur des enjeux métaphysiques, mais plutôt de décrocher des outils accessibles, concrets, maniables pour mieux gérer ses spleen. Et aborder l’avenir plus sereinement.

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Engager une mind routine pour mieux se porter, donc. Comme si l’on adoptait un nouveau régime alimentaire en caressant l’idée de cultiver son hygiène de vie, façon diététique des « 5 fruits et légumes par jour ». Séduisant, le concept me pousse à me confectionner un cocktail « maison » d’applis vouées à mon mental. De l’auto-hypnose par-ci, du suivi émotionnel par là… Et ça me fait mal, très mal, de le dire mais ces brochettes de stars de la motivation online qui jurent par tous leurs dieux qu’accorder une vingtaine de minutes par jour à son bien-être mental « change la vie » ne sont pas dans le faux. Ils ont même plutôt raison. Même plus peur de la dépression saisonnière, j’ai mon crew d’applis derrière moi.