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Ces angoisses qui nous pourrissent la vie

Et une pandémie mondiale en arrière-plan.

Par
Capucine Japhet
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La honte. C’est le sentiment qui m’a traversée lorsque je me suis retrouvée sur un brancard aux urgences en pleine nuit. Quelques heures auparavant, alors que mon bras gauche me faisait mal, j’avais eu le malheur de regarder sur internet. Mon rythme cardiaque s’était alors emballé et j’avais demandé à mon copain de m’accompagner à l’hôpital, pensant que j’avais un risque élevé de faire un infarctus. Le ridicule de la situation était à son comble lorsque, sachant pertinemment que je n’avais rien, j’attendais gentiment le diagnostic du médecin, débordé par les vrais malades.

J’avais fait ce qui ressemble, de près ou de loin, à une crise de panique. En tout cas, si j’ai du mal à mettre des mots sur cet événement, il était l’illustration parfaite de ce que je vivais depuis quelques mois : l’angoisse. Tout ça était pour moi inédit et teinté d’absurde. Je n’avais jamais véritablement expérimenté l’anxiété à ce stade. Un peu comme Mathilde, qui a toujours été “la stressée” de son groupe de potes et qui s’est retrouvée au mois d’avril, confrontée à sa première crise d’angoisse : « Rien que d’en parler, ça me fait un peu bizarre parce que c’est toujours un peu frais. J’ai fait une crise d’angoisse assez violente et ont suivi des angoisses et de l’anxiété quotidienne, me raconte-elle. J’ai vraiment vécu les jours qui ont suivi ma crise dans le chaos, c’était terrible ! Je n’étais pas du tout habituée à ça : de l’angoisse du lever au coucher avec des moments de pics. »

« Je ne savais pas d’où venait mon angoisse. J’avais une angoisse monumentale qui m’empêchait de vivre mais je n’arrivais pas à savoir de quoi j’avais peur. »

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Mathilde est sidérée par ce qui lui arrive. « Je me disais que j’étais en train de devenir folle. Psychologiquement, il y avait un truc qui avait complètement vrillé dans mon cerveau. » La période coïncide avec le début d’un nouveau travail qu’elle adore. Mathilde redoute alors les attaques de panique au boulot. « Je ne savais pas d’où venait mon angoisse. J’avais une angoisse monumentale qui m’empêchait de vivre mais je n’arrivais pas à savoir de quoi j’avais peur. »

La jeune femme finit par consulter un médecin généraliste qui lui prescrit des anxyolitiques mais lorsqu’elle arrête le traitement, de manière abrupte, c’est la rechute. « J’ai fait une crise d’angoisse de l’enfer à la gare. Impossible de monter dans le train donc c’est très violent parce que moi qui suis de nature débrouillarde, ça m’est vraiment arrivé en pleine face comme une grosse claque et c’était hyper dur. » Mathilde se rend alors chez un psychiatre qui lui prescrit des antidépresseurs et lui diagnostique un Trouble Anxieux Généralisé (TAG). « Je n’avais vraiment plus aucun espoir. » Elle finit par reprendre les anxiolytiques qu’elle avait laissés de côté et s’apaise avec la thérapie. « Avec mon travail de parole et aussi beaucoup de discussions avec mes amis, je me suis rendu compte que le covid n’avait peut-être pas aidé. J’ai un peu explosé comme une cocotte minute. Depuis janvier, je n’étais pas bien car je n’avais pas de taff et je mettais la faute sur le covid. J’avais l’impression que je n’avais vraiment pas de chance pendant cette période et je ne faisais rien. Tout ça a joué avec le fait que je suis anxieuse de nature. »

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La pandémie comme déclencheur

Le confinement et le bouleversement de nos habitudes ont très été compliqués à vivre pour certain.es. « Je me suis plus rongé les ongles, j’ai beaucoup plus pleuré, et surtout j’ai commencé à boire plus qu’avant, en tout cas beaucoup plus régulièrement, quasiment tous

les jours, et surtout seul. C’est devenu presque un réflexe. Avant cette période, je n’avais pratiquement jamais connu la gueule de bois », me confie Colin.

« J’ai commencé aussi à faire des crises d’angoisse, avec des difficultés à respirer, l’impression d’être totalement dépassé par tout ce qu’il y a à faire tout en étant absolument incapable de faire quoi que ce soit. »

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Relativement anxieux, il a été frappé de plein fouet par le contexte anxiogène de la pandémie. « Récemment, j’ai dû aussi lutter contre une soudaine envie de me mettre à fumer. J’ai l’impression d’être beaucoup plus perméable à ce genre de choses alors que j’ai toujours correspondu à ce qu’on attend d’un petit garçon sage. En janvier, j’ai pris du LSD alors que ça ne m’aurait jamais traversé l’esprit avant. J’ai développé aussi ce qui s’apparente à des troubles psychosomatiques, avec des douleurs insupportables au ventre. J’ai dû voir de nombreux spécialistes et j’ai suivi de nombreux traitements qui n’ont pas changé grand-chose. »

Après une petite période de chômage qui lui a permis d’aller mieux, Colin a repris le travail et a entamé une thérapie. L’angoisse est repartie de plus belle. « J’ai commencé aussi à faire des crises d’angoisse, avec des difficultés à respirer, l’impression d’être totalement dépassé par tout ce qu’il y a à faire tout en étant absolument incapable de faire quoi que ce soit. »

« Beaucoup sont venus me voir parce que ça ne va pas au travail, ils s’ennuient, ils ne sont pas épanouis et ils s’en sont rendu compte avec le télétravail. »

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La psychologue Léna Fischbein m’explique qu’avec la pandémie, on a pu constater une augmentation des troubles anxieux, voire une apparition chez des personnes qui n’en avaient jamais eus auparavant. « Ce qui a pu créer ça pour la majorité des gens, ce sont les confinements qui ont provoqué un isolement social, culturel, géographique, affectif donc l’absence de lien social pour les personnes les plus isolées. » Depuis quelques mois, la psychothérapeuthe a vu arriver des patients en proie à de l’anxiété et à de nombreux questionnements : « Beaucoup sont venus me voir parce que ça ne va pas au travail, ils s’ennuient, ils ne sont pas épanouis et ils s’en sont rendu compte avec le télétravail. Cela a pu provoquer chez certain.es des angoisses très profondes sur leur existence, avec des crises d’angoisses par moment. » Léna Fischbein a pu également observer que le retour à “la vie normale” avait eu un impact sur ses patient.es. « C’est plus une angoisse liée à la sociabilité c’est-à-dire, l’appréhension des rencontres, des nouvelles rencontres. J’ai des patient.es qui me disaient : “Maintenant, je ne sais plus comment interagir avec les autres, j’ai peur de sortir de chez moi, je ne sais plus quoi dire”. Tout ce manque de lien social a amené à une perte de confiance chez certaines personnes. »

Sortir de la spirale de l’angoisse

Les premiers jours de retour au bureau n’étaient pas simples pour Delphine qui a commencé à avoir des montées d’angoisse. « J’ai eu un peu le fameux “syndrome de la cabane”, le fait de ne plus être sortie de chez moi, je me ressentais de nouveau un peu anxieuse. J’ai eu un peu des vertiges, l’impression d’être ailleurs mais comme je sais quoi faire, au bout de deux jours, c’était fini. » En usant de techniques pour se calmer depuis plusieurs années, Delphine arrive désormais à passer outre son anxiété. Pourtant, l’angoisse faisait partie de son quotidien. « A un moment, c’était compliqué même pour aller au supermarché, en bas de chez moi », se souvient-elle. Alors étudiante à l’époque, la jeune femme emménage seule pour son entrée en Master et fait une grosse crise d’angoisse, la veille de la rentrée. Si elle avait déjà eu des attaques de panique auparavant, cet épisode est particulièrement violent. Delphine se retrouve par la suite à être angoissée en permanence et décide d’en parler. « Un médecin m’a mise sous Xanax, me disant que j’avais un trouble panique et un TAG avec tendance à l’agoraphobie, que j’allais vivre toute ma vie avec ça et que je risquais de finir comme les gens agoraphobes qui ne sortent plus de chez eux. »

« Quand on parle de “guérison”, les gens pensent qu’on devient zen. Je reste de nature anxieuse mais si je sens l’angoisse monter, je sais ce qu’il faut faire. »

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Après avoir fait quelques recherches sur internet, elle tente finalement de traverser cette mauvaise passe en s’appuyant sur un livre pour apprendre à stopper les attaques de panique. « Une fois que je n’avais plus vraiment peur des crises d’angoisses, j’ai commencé à m’exposer à mes peurs. Comme j’ai une tendance à l’agoraphobie, c’est vrai que le métro, le train, l’avion, sortir, c’était compliqué ! Du coup, comme j’habitais à côté de Paris, je partais toute seule tous les week-ends, au cinéma, au musée et je prenais le métro. » Il lui faudra alors un peu moins de deux ans pour effectuer ce qu’elle appelle “sa guérison” et sortir complément de la spirale infernale de l’angoisse. « Quand on parle de “guérison”, les gens pensent qu’on devient zen. Je reste de nature anxieuse mais si je sens l’angoisse monter, je sais ce qu’il faut faire. »

En 2020, en plus de son activité professionnelle, Delphine a lancé un site avec des articles et propose du coaching pour aider des personnes à aller mieux. Elle en a aussi fait des podcasts pratiques. Mathilde en a justement écoutés quelques-uns. Pour la première fois, elle a pu trouver des solutions concrètes pour surmonter les symptômes de l’angoisse. Aujourd’hui, si elle ne se dit pas complètement débarrassée de son anxiété, elle a appris à l’apprivoiser. « Ce qui m’a sauvée, c’est d’accepter mon état. Pendant longtemps, j’ai lutté mais le fait de verbaliser que “ça ne va pas”, me permet d’accepter ce mal-être et de vivre avec. Apprendre à vivre avec mon angoisse est en train de m’aider à sortir la tête de l’eau. »

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