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Ces victimes (consentantes) de dermatillomanie

Passion perçage de boutons. Pardon, mais c'est trop bon.

Par
Daisy Le Corre
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Ça a commencé par un simple tweet sur mon fil. Celui-ci (attention c’est addictif ou juste dégueu’ selon votre sensibilité) :

En quelques secondes, je me suis retrouvée projetée 20 ans en arrière, vautrée sur le canapé de mes parents en train de triturer mes p***** de boutons d’acné, tout en matant un énième film sur Canal+. « Daisy, tu arrêtes ça tout de suite ou je te mets des gants. Tu vas avoir des cicatrices à vie si tu continues, c’est dangereux ce que tu fais avec ta peau ! Ça va pas bien, hein », me lançait ma mère, flippée par mes chtars ensanglantés.

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Elle a donc essayé de me mettre des gants. En vain.
Et j’ai essayé, en vain, d’arrêter de me charcuter le front, le nez, les joues, le cou, etc. Pour mener cette terrible bataille contre moi-même, mes alliés de l’époque s’appelait Biactol, zinc, antibiotique et… Diane 35 (!). C’est vraiment Diane qui a sauvé ma peau, je dois l’admettre, au détriment de mes ovaires (si j’en crois les règles noires qu’elle m’a ensuite provoquées).

Il a fallu attendre 2021 pour que je réalise que je souffrais d’un mal qui porte un joli nom : dermatillomanie, ou autrement dit l’envie de se percer les boutons en permanence. « Ce comportement favorise l’apparition des staphylocoques dorés. Une septicémie est même possible. Les conséquences médicales et dermatologiques peuvent parfois être graves », rapporte Alexandra Lecart, psychologue notamment spécialisée dans l’accompagnement de ce trouble, qui donne surtout raison à ma mère.

« Le grattage/triturage peut consister en plusieurs minutes à plusieurs heures de crise, où la personne est en état dit « hypnotique » et perd la notion du temps »

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C’est quoi au juste la dermatillomanie ? « C’est du triturage pathologique de la peau : perçage, triturage et/ou grattage excessif et répété des imperfections de son corps (boutons, croûtes, relief de la peau…). La dermatillomanie est classée dans les TOC dans le DSM-5 depuis 2015. Elle fait également partie des CRCC (Comportements Répétitifs Centrés sur le Corps) avec la trichotillomanie, l’onychophagie, le mordillement des lèvres et de l’intérieur des joues. C’est un comportement “self-grooming” (d’auto-toilettage), exutoire, de gestion du stress et de soulagement des tensions internes. Le grattage/triturage peut consister en plusieurs minutes à plusieurs heures de crise, principalement le soir ou en fin de journée, où la personne est en état dit « hypnotique » et perd la notion du temps, » m’explique la psy avant d’ajouter que les conséquences sont multiples et invalidantes tant sur le plan dermatologique que sur le plan social.

Ce TOC concerne les hommes et les femmes, mais les études rapportent que le triturage pathologique de la peau (« skin-picking ») concerneraient environ 86% de femmes. « Elle démarre généralement à l’adolescence mais peut débuter également à l’âge adulte. Les personnes atteintes de dermatillomanie ont souvent une acné légère mais la perçoivent plus grave qu’elle ne l’est en réalité. Les causes de la dermatillomanie sont multiples, elle peuvent être génétiques, biologiques, environnementales et/ou psychologiques ».

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Au quotidien, quand on est atteint de dermatillomanie, notre quête principale réside dans l’envie d’enlever ou de faire disparaître toute imperfection réelle ou perçue de la peau. Chaque imperfection parait insupportable voire inacceptable. « Effectivement, l’imperfection est perçue comme étrangère, n’étant pas censée « être là », impure et dégoûtante. Elle doit être retirée par tous les moyens possibles : doigts, pince à épiler, aiguille, crèmes, peeling, traitements dermatologiques… La seule vue ou le toucher d’une imperfection est insupportable et est triturée ou grattée sur le champ, dans la mesure du possible », raconte Alexandra qui confirme que ce TOC est difficile à gérer seul.e.

« Tout au long de la journée, la main se balade de manière inconsciente sur la peau afin de repérer toute irrégularité, qui sera à « lisser » plus tard. Des efforts effrénés et répétés ont été faits à maintes reprises pour arrêter ce geste auto-agressif, mais le côté impulsif et addictif de ce trouble dépassent la volonté, laissant la personne impuissante face à ce TOC. »

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Il existe quelques solutions pour arrêter de se triturer jusqu’au sang : la thérapie intégrative (qui semble l’approche la plus appropriée) ; la Thérapie Cognitive et Comportementale (TCC) qui peut traiter par exemple les aspects des pensées irrationnelles en lien avec la peau en proposant des exercices comportementaux progressifs, répétés et personnalisés ; la thérapie analytique qui aide à mettre du sens sur les causes psychologiques déclencheurs et sous-jacentes, et sur les émotions refoulées ; la thérapie ACT qui peut également aider à accepter les émotions et les imperfections (corps, esprit) tout en travaillant la lutte intérieure et les valeurs. « Mais sinon la Pleine Conscience, la méditation et l’hypnothérapie sont également souvent indiquées en complément d’une TCC, par exemple. Enfin, un travail sur le perfectionnisme et l’estime de soi semblent nécessaires. »

« La pandémie n’a pas augmenté le nombre de personnes souffrant de dermatillomanie. En revanche, selon le retour des patient.es, elle a aggravé l’intensité de ce TOC »

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En préparant cet article, j’avais une question pour Alexandra qui me démangeait : est-ce que la pandémie a augmenté le nombre de victimes de dermatillomanie ? Il faut bien l’avouer : on s’ennuie plus que jamais et quand on parvient à se défaire de nos téléphones, c’est pour vider nos placards de toutes les sucreries qu’ils pourraient contenir ou pour river nos yeux sur d’autres écrans, ceux qui projettent nos films ou séries préférés. Et quand nos doigts ne pianotent pas un énième clavier, certains s’égarent au pays de l’acné, à proximité du mont furoncle. Tout un voyage.

« La pandémie n’a pas augmenté le nombre de personnes souffrant de dermatillomanie. En revanche, selon le retour des patient.es, elle a aggravé l’intensité de ce TOC en raison des confinements, couvre-feux, postes en télétravail et conditions de chômages partiels, qui ont induit à ce que les gens soient davantage chez eux, enfermés voire seuls, avec leur trouble », m’a raconté la spécialiste, première spectatrice des ravages de l’épiderme.

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« Avant la Covid, je devais attendre la fin de la journée pour me triturer, enfermée dans ma salle de bain, cela limitait à peine les dégâts. Maintenant je peux le faire toute la journée, plus besoin de sortir et de me remaquiller. C’est terrible, il n’y a que moi et mon miroir, c’est une lutte incessante avec moi-même… » , a confié une patiente à Alexandra.

Si, désormais, je ne me triture plus les pores, il m’arrive de m’adonner à une passion collatérale : les vidéos de perçages de boutons sur TikTok… Et je ne suis pas la seule apparemment. Pardon, mais c’est trop bon :

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