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Englouties par l’alcool

Enquête sur une dépendance encore largement taboue.

Par
Isabelle Delorme
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Lorsque j’ai habité en Ecosse pour mes études, je les voyais en nuisette en plein hiver à la sortie des pubs et des boîtes de nuit, ces étudiantes titubantes totalement décomplexées. Je ne sais pas ce qu’elles sont devenues depuis, si les cuites du week-end sont devenues plus récurrentes avec le temps. En France aussi, le problème est bien réel. Notamment chez certaines femmes très habiles à le cacher, tant l’alcoolisme cadre mal avec la vision stéréotypée qu’on peut se faire d’une femme et/ou d’une mère. Dans le contexte actuel, je pense plus que jamais à elles et je m’interroge : que deviennent-elles ces femmes qui noient leur angoisse dans l’alcool, depuis qu’un virus a bouleversé nos vies sociales ? J’ai mené mon enquête.

La maladie de la honte

Les derniers chiffres de Santé Publique France faisaient état de 11.000 décès de femmes attribuables à l’alcool en 2015 et selon un sondage effectué en 2020 par les Alcooliques Anonymes, 39% des membres de l’association sont des femmes. Une dépendance encore largement taboue. «L’alcoolisme féminin est plus mal vu que l’alcoolisme masculin et reste plus caché car on a une image plus négative d’une femme que d’un homme alcoolique», analyse Laurence Maout, psychologue clinicienne dans la région toulousaine, spécialisée en addictions.

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«L’alcoolisme est une maladie, mais un homme qui boit un peu est considéré comme un bon vivant tandis qu’une femme est vue comme un déchet humain (…). Parce qu’il y a ce tabou, les femmes alcooliques n’osent pas en parler et encore moins se faire soigner», estime Carole Gazon, fondatrice du groupe privé Alcool au Féminin sur Facebook, qui a brisé la spirale infernale en 2011 en ayant «tout perdu», en particulier ses deux filles qui refusent de la voir. Elle déplore le manque de préparation des médecins. «Leur accueil est trop souvent innommable. Ils jugent les femmes alors qu’elles sont malades, ou alors ils ne les soignent pas», dénonce celle qui regrette que 8h seulement soient consacrées aux addictions dans le parcours des étudiants en médecine généraliste.

«J’ai regardé mes enfants dans les yeux en leur jurant que je ne boirais plus, puis j’ai replongé. Le noeud du problème, c’est le mensonge aux autres, mais surtout à soi-même, en particulier pour une femme et une maman confrontée au regard de ses enfants, de la société et de l’image que l’on a d”être mère», avoue Anne qui a arrêté de consommer de l’alcool il y a un an. Devenue experte en dissimulation à chaque verre – consommé notamment pour oublier ses blessures d’enfance ou d’adolescence et ses problèmes de couple et d’argent -, c’est pour ses enfants que la quarantenaire s’en est sortie, grâce notamment à un suivi psychologique et au soutien des Alcooliques Anonymes qui l’ont aidée à «ne pas prendre le premier verre».

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«Le meilleur anxiolytique en vente libre»

Selon Laurence Maout, le processus de l’alcoolisme survient souvent pour calmer de l’anxiété et gérer des difficultés. «Dans la population étudiante, les filles boivent fréquemment pour des raisons qui appartiennent à leur histoire – difficultés familiales ou personnelles – ou pour gérer le stress des études et décompresser en fin de semaine», constate la psychologue. Une porte ouverte à l’addiction.

«L’alcool est le meilleur anxiolytique en vente libre», lance Virginie Hamonnais, qui a écrit le livre Noyée dans l’alcool dans lequel elle raconte comment elle a sombré à 35 ans pour oublier ses problèmes. «L’alcool était devenu mon oxygène», raconte celle qui buvait de l’alcool pur dès le réveil. Selon l’auteure, la société encourage la consommation d’alcool pour se détendre ou s’alléger. «Quand vous vous séparez de quelqu’un ou quand vous perdez votre job, on vous dit ouvertement : “Viens boire un verre, ça va aller mieux” ! J’ai commencé à boire pour retrouver le sourire». Mais l’élixir n’a marché qu’un temps, le corps s’habituant et amenant la jeune femme à consommer toujours plus, retranchée chez elle. «Au bout d’un moment, plus personne n’est dupe, raconte Virginie Hamonnais. Au départ on met des talons et on achète des produits d’hygiène ou de la nourriture avec la bouteille d’alcool. On essaye de changer de magasin…. Après on s’habille en baskets et en jogging, on ne se maquille plus et on va directement au magasin le plus proche. Le vendeur sait qu’on vient chercher notre produit».

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C’est aussi l’anxiété qui a conduit Hélène à boire après la naissance de son deuxième enfant, à 33 ans. «Je suis très sensible au regard des autres et je me suis mis la pression. Je voulais être une maman, une chérie, une femme au foyer, une amie parfaite, et une employée parfaite aussi… Au début, l’alcool m’a servi de booster et d’anxiolytique. J’avais l’impression d’assurer», se souvient la jeune femme qui a commencé avec un ou deux verres d’apéro seule pour progressivement passer aux cubis (pour ne pas affronter le nombre de bouteilles à mettre au tri). Celle qui est abstinente depuis deux ans et demi s’est sentie soulagée lorsqu’elle a poussé la porte des Alcooliques Anonymes, à 37 ans. «J’ai vu qu’il y avait d’autres femmes, d’autres mamans, de tous milieux», raconte-t-elle. Des femmes qui, comme elle, ne buvaient pas tant dans les bars qu’en cachette à la maison.

Le confinement : plongeon ou déclic

«Beaucoup de gens ont sombré pendant le confinement», estime Virginie Hamonnais. Selon l’autrice, certains se sont mis à boire pendant la journée, parfois «pour se donner un coup de fouet pour le télétravail». Des alcooliques sevrés ont replongé et d’autres ont dû interrompre leur cure. «Chez certaines personnes, la situation a surajouté du stress. Les personnes confinées en famille étaient moins libres et les personnes seules se retrouvaient isolées et davantage confrontées à ce qui cause leur alcoolisme (…). Dans des contextes défavorables ou dramatiques, les conséquences ont pu être catastrophiques, confirme Laurence Maout. D’autres ont, au contraire, été plus sereines lorsque leur anxiété provenait d’un stress extérieur, et ce moment de recul sur elles-mêmes a pu provoquer un déclic», rapporte la psychologue.

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Pour l’entourage, le confinement a bien souvent été une épreuve. «Il ne faut pas fliquer une personne alcoolique car plus on la flique, plus elle va boire en grosse quantité à chaque petit moment de liberté qu’elle aura», alerte Virginie Hamonnais.

Pour s’en sortir, la première étape est de sortir du déni. À toutes celles qui se sentent plonger ou sur le point de sombrer : ne restez pas seules, parlez-en à votre entourage, il n’y a pas de honte à demander de l’aide.

Quelques liens utiles

–Si vous êtes concerné(e) directement ou indirectement par une dépendance à d’alcool, n’hésitez pas à prendre contact avec des Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA)

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–Vous trouverez aussi des ressources sur le site de l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie

–Sur le site des Alcooliques Anonymes, un numéro d’aide a également été mis en place: 09 69 39 40 20