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À La Maison des Femmes de Montreuil, la sororité face à l’adversité

« Ça fait 20 ans qu'on fait du #MeToo, nous. »

Par
Adiaratou Diarrassouba
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La pandémie mondiale et les (re)confinements ont eu raison de nombreux commerces, entreprises et institutions mais ont aussi mis à rude épreuve les associations, déjà fragiles. C’est le cas de la Maison des Femmes de Montreuil qui, depuis plus de 20 ans, vient en aide aux femmes victimes de violences.

Quand j’arrive à la MdF, 3 ou 4 femmes sont déjà sur place, elles attendent d’être reçues. Je prends place sur l’un des canapés, après avoir été accueillie par une membre de l’équipe, en attendant que Roselyne Rollier, présidente des lieux depuis plus de 11 ans, termine un appel d’urgence. Depuis mon dernier passage, de nouveaux écrits engagés ont fait leur apparition sur les murs, un peu comme si le lieu se mettait à jour lui aussi, en suivant le tempo des réflexions issues des cercles féministes.

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À la MdF, on se sent tout de suite à l’aise et on sait qu’on sera entendu.es et écouté.s, c’est d’ailleurs la mission de l’organisme : accueillir, écouter, soutenir et offrir un espace de réflexion aux femmes. Depuis l’extérieur, à travers les vitres, on peut apercevoir des messages du collectif Collages féministes affichés sur les murs en espagnol, en russe, en serbe et en soninké, Montreuil regroupant une forte diaspora malienne.

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On y aperçoit aussi des représentations de vulves et de clitoris, des illustrations et photos d’activistes renommées comme Nina Simone, Frida Kahlo ou encore Thérèse Clerc, féministe qui a pratiqué des avortements clandestins à Paris avant la loi Veil de 1975 et fondatrice du lieu, décédée en 2016.

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À la MdF, ma pièce préférée c’est les toilettes : j’aurais rêvé d’avoir les mêmes quand j’étais ado. On y trouve des protections hygiéniques, et des préservatifs pour tous les corps. Mais aussi des messages pour apaiser l’âme et le sentiment de culpabilité que peuvent ressentir les survivantes de viols. Il y a aussi un récapitulatif de tous les types de contraception existants, un sticker qui rappelle que « la lesbophobie tue » ou encore un tuto pour apprendre à insérer un tampon en toute sécurité. Si seulement j’avais connu un lieu pareil quand j’étais ado, ça m’aurait probablement rendue plus forte de lire tout ça.

Roselyne me rappelle qu’elle a rejoint, dès le départ, Thérèse Clerc et précise aussi qu’elle a toujours milité. « J’ai été élevée dans une famille à majorité de garçons, donc j’ai dû me battre pour avoir ma place. »

Retraitée depuis 2007, anciennement directrice d’école à Montreuil, où elle vit depuis maintenant plus de 30 ans, elle a aussi été militante syndicale, une expérience particulièrement formatrice. Elle a la causerie facile et en tant que militante, elle n’a qu’un mot à la bouche : le collectif. « A la Maison des Femmes, ça fait 20 ans qu’on fait du #MeToo, nous. » Et ce à travers le récit collectif qui se trouve dans la bibliothèque et sur les murs, mais aussi et surtout lors de groupes de discussions, dans la bonne vieille tradition féministe. « Plusieurs femmes ayant vécu des violences se réunissent autour d’une table et partagent leurs témoignages. De quoi réaliser l’ampleur des violences vécues : 99% d’entre elles, au départ, ne savent pas que le viol conjugal existe. » A force de questions posées sur ce qui se joue au sein de leur couple, certaines prennent conscience de ce qu’elles traversent et réalisent qu’elles n’ont pas à se sentir coupables de quoi que ce soit. Une libération.

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« Une femme m’a dit un jour : “C’était tellement fort de comprendre où j’en étais que j’ai dû faire une pause avant de revenir.” » Les femmes qui se rendent sur place viennent de Montreuil mais aussi d’autres villes du 9.3 ou même d’autres départements d’Ile-de-France. Parmi elles, bon nombre ont déjà déposé une plainte ou une main courante et ont été orientées vers la MdF par le commissariat.

« On ne va tout de même pas prendre une plainte pour la moindre petite claque ! »

Pendant notre entretien, j’entends une femme éclater en sanglots à côté. « Je fais confiance aux autres pour gérer… J’irai voir après celles qui ont géré pour les consoler à leur tour. » Le bien-être de ses sœurs de lutte est une priorité pour Roselyne. La sororité d’abord. « Ça fait du bien de pleurer, elles ont raison de venir ici pour se décharger. Mais moi je veux surtout qu’on puisse prendre en charge la personne qui est venue nous voir. Sinon, c’est dramatique. » Pour l’heure, celles qui franchissent la porte de la MdF apprennent à qualifier les faits quand elles doivent déposer une plainte, en plus d’être accompagnées psychologiquement et médicalement, si nécessaire. Bientôt, des formations juridiques seront aussi proposées par les avocates à l’ensemble de la Maison des Femmes ainsi qu’aux victimes qui le désirent. La connaissance du droit social est un précieux point d’entrée dans ce combat, selon Roselyne.

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C’est en 2016, lors d’une assemblée générale, que l’association a décidé de faire de la gestion des victimes de violences sa priorité. Non pas qu’elle ne s’en occupait pas avant, au contraire. Mais la demande s’est accrue avec le temps. D’ailleurs, Roselyne Rollier m’explique comment, il y a dix ans, ce sujet était encore si peu considéré par les autorités locales. « A l’époque, le commissaire de la ville a déclaré lors d’une grande réunion publique, devant une centaine de personnes : “On ne va tout de même pas prendre une plainte pour la moindre petite claque !” Il y a eu trois commissaires depuis, ça avance doucement. » Entre-temps, les membres de l’association ont beaucoup appris et évolué. « On a eu une juriste. Puis on en a eu une deuxième, puis une troisième, puis une quatrième… Ça tournait beaucoup, elles ont été usées. Passer sa journée à accueillir seule des femmes victimes de violences, c’est lourd, on a envie de pleurer au bout d’un moment ! On a donc décidé de toutes nous y mettre. » En se formant et en agrandissant l’équipe. Des avocates et une psychologue ont fait leur apparition. Sans oublier la poignée de salariées, les stagiaires, les services civiques, et les bénévoles.

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Comme la plupart des associations, la MdF manquent cruellement de moyens. « On nous diminue ou on nous retire des subventions sans justification ». Et en 2020, avec la crise sanitaire, la situation a évidemment empiré. Les violences domestiques ont augmenté, prenant au piège certaines femmes avec leurs enfants. Malgré le contexte, l’association a été forcée de fermer ses portes du jour au lendemain. Il a fallu se réorganiser en urgence. « Pendant le premier confinement, on a réalisé 200 entretiens, tous par téléphone. Habituellement, on a deux types d’entretiens : les entretiens en physique qui durent 30 à 45 minutes ou plus si nécessaire, et d’autres par téléphone réservés aux renseignements. Parfois, on cause juste pour passer le temps. » Elles se sont retrouvées submergées d’appels, d’autant plus que le 3919, le numéro d’accompagnement pour les femmes victimes de violences, n’a pas été opérationnel dès le début. « Les quinze premiers jour du confinement, le 3919 ne fonctionnait pas car les écoutantes, parfois elles-mêmes mères, ne pouvaient pas prendre les appels et parler de violences avec leurs enfants à côté ou pour d’autres raisons logistiques. J’avais proposé de les accueillir à la MdF mais ça ne s’est pas fait. »

S’ajoute à cela le fait que Les Restos du Cœur, et d’autres associations d’aides alimentaires, ont également cessé leurs services les premiers temps. « On est resté en lien avec toutes les femmes qu’on avait rencontrées depuis septembre 2019, sans les lâcher. Rapidement, elles nous ont dit : « Je n’ai pas cuisiné depuis deux jours » ou « Je n’ai même plus de quoi acheter du savon pour les enfants. » Au bout de quelques jours, j’ai lancé un crowdfunding : on a récolté plus de 5000 euros en 5 ou 6 semaines. » Pour remettre l’argent aux femmes, elles ont organisé des rendez-vous à l’extérieur des locaux, en disposant des chaises juste devant l’entrée pour qu’elles puissent patienter.

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Un esprit de solidarité et de sororité qu’on retrouve chez toutes les femmes qui mettent un pied à la MdF. « Certaines m’ont dit : “Je n’ai pas besoin d’autant pour faire mes courses, je ne prends pas plus, d’autres vont en avoir besoin.” » Une aide financière exceptionnelle qui n’a pas mis fin pour autant à la précarité accentuée par la pandémie. Concernant celles qui ont eu besoin de s’échapper de leur foyer, qu’elles aient des enfants ou non, ça a été bien plus compliqué. Et ce, malgré les hébergements d’urgence et chambres d’hôtel prévus par le gouvernement, soit 20 000 nuitées, pour l’ensemble des départements français.

« Les femmes qui ont été hébergées pendant le premier confinement y sont encore car beaucoup n’ont pas de papiers, pas de CAF et donc pas d’APL. »

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« C’est scandaleux ! On a annoncé des places en résidences universitaires, j’ai rempli un dossier en express, et en trois heures, il n’y avait déjà plus de place ! La mairie de Montreuil a aussi proposé 20 logements d’urgence, pris d’assaut en 2 jours, sans créer de liste d’attente, il n’y a donc pas de priorité, c’est injuste. On voit des femmes avec des bébés dans la rue. On est en contact avec l’une d’entre elles qui change de lieu d’habitation tous les jours. C’est inhumain. »

Au final, ce sont les réseaux militants de la MdF qui ont permis à certaines femmes d’avoir un toit au-dessus de leur tête, en enchaînant les appels et en enclenchant le bouche-à-oreille. Sans parler des initiatives citoyennes comme « Un abri pour sauver des vies », plateforme qui permet à des particulier.es de proposer un logement pour des femmes et enfants qui fuient un conjoint ou un parent violent.

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Roselyne avait aussi prévu l’hébergement de mères avec leurs enfants dans les locaux de la MdF, en mettant à disposition le nécessaire (lait pour bébé, couches, gel, etc). « Les femmes qui ont été hébergées pendant le premier confinement y sont encore car beaucoup n’ont pas de papiers, pas de CAF et donc pas d’APL. La ville ne peut donc pas les prendre en charge. D’autres vivent dans des logements d’urgence depuis dix ans, alors qu’elles travaillent. Il faudrait réévaluer le coût réel de ces opérations. »

Au sujet des campagnes proposées par le gouvernement dans les pharmacies et dans quelques supermarchés du pays, Roselyne dénonce une communication mensongère. « J’ai contacté des pharmacies qui m’ont dit ne pas avoir été formées pour recevoir ces femmes. Annoncer cette opération à la télé, alors qu’elles sont confinées avec leur conjoint violent, c’est dangereux… Soit ils vont les empêcher de sortir, soit ils les accompagnent à la pharmacie, ça ne sert donc à rien. Les gens du ministère vivent dans des mondes parallèles : les femmes victimes ne vont pas au supermarché, elles sont dépendantes de leur mari économiquement ».

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Des toilettes pour tous.tes

Le travail de la MdF concernant l’aide aux victimes de violences « fêtera » son 5ème anniversaire l’an prochain. L’occasion pour Roselyne, réputée pour son franc-parler, de régler ses comptes pour la bonne cause. « On va lancer un ultimatum aux financeurs, et on voudrait se focaliser sur nos objectifs politiques et associatifs : devenir un fer de lance sur la question des droits des femmes, être des lanceuses d’alerte sur des sujets délaissés et promouvoir la place des femmes dans la ville. »

Parmi les combats qui lui tiennent à coeur, entre autres : celui des toilettes publiques pour femmes. « Quand je demande à cinq femmes si l’absence de toilettes dans la ville leur pose problème, 4,5 d’entre elles me répondent qu’elles adaptent leurs sorties en les écourtant. » Et toujours, cette question financière qui ressurgit. « Les hommes utilisent les toilettes des cafés car ils ont les moyens, ce qui n’est pas toujours le cas des femmes. J’avais dit à un précédent maire adjoint que, pour une fois, la police devrait verbaliser les hommes qui urinent dans la rue parce que ces 80€ d’amende mis bout à bout permettraient de construire ces toilettes, qui serviraient aussi aux hommes », lance la militante qui n’a pas dit son dernier mot. « Il y a un bar qui a collé une étiquette sur sa façade pour indiquer que ses toilettes pour femmes étaient propres. Je propose que tous les cafés posent un logo sur la porte d’entrée pour indiquer que les wc sont gratuits et pour tout le monde ! C’est pas si compliqué. »

« La lutte continue ! ».

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Avant la pandémie, la MdF avait prévu d’organiser un festival « Corps en lutte » en octobre 2020. Il a été reporté à juin 2021, en espérant que la crise sanitaire soit derrière nous d’ici là. Mais déjà Roselyne se réjouit de l’engouement que cela a suscité. « On a recruté plus de 150 bénévoles ! Il y a une belle énergie et des connexions qui se sont faites grâce à la préparation de ce festival. Je suis tellement admirative de voir le potentiel qu’il y a, et dire que ce pays n’utilise pas cette manne ! C’est dommage. » Et cela, entre autres, grâce à une campagne de financement participatif.

À la fin de l’entrevue, Roselyne ne peut cacher son enthousiasme quand elle me raconte que deux adolescentes de 12 ans ont créé leur propre journal féministe fait-maison. Cerise sur le gâteau : un collégien veut rejoindre la bande et mettre la main à la pâte pour le numéro 2. La présidente de la MdF y voit un signe d’espoir. « Avant, je me disais qu’on mettrait 1000 ans pour venir à bout du patriarcat. Maintenant, je me dis qu’il en faudra peut-être 800 ! (rires) Ça reste beaucoup mais c’est déjà un progrès. La lutte continue ! »

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