À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, VoxAxoV sort son single Intrusion. De cette exploration musicale et incantatoire, Charlotte Cegarra, ou « l’humaine qui accueille VoxAxoV dans son corps », y expie un passé traumatique. Ne plus être sage. Libérer cette colère avant qu’elle ne se transforme en rage. Tel est le message féministe qu’elle a voulu transmettre. Si vous ne la connaissez pas encore, c’est normal : vous êtes au bon endroit.
Est-ce qu’écrire, enregistrer et interpréter Intrusion t’a libérée ?
Oui, beaucoup. La jouer sur scène aussi, l’incarner. Je la joue sur scène depuis fin 2018. Ça a été plus compliqué de l’enregistrer. Cette chanson est sortie comme un éclat. C’est mon amie et collaboratrice Élise Duchemin qui m’a aidée parce qu’au début c’était une longue litanie. Elle m’a dit que ça serait bien qu’il y ait un leitmotiv ou un slogan qui mette en forme la chanson. En écrivant « Arrête d’être sage », ça m’est venue comme une évidence. C’était aussi mes premiers textes en français. À travers un format très inhabituel, j’osais faire une chanson très théâtrale, sans rythme, avec une montée en puissance. Enfin, par rapport au sujet, j’avais aussi des choses à dire sur ce thème-là. Donc oui, libérateur, créativement, sur le sujet et par rapport à mon évolution artistique.
Qu’est-ce que ça signifie pour toi « arrêter d’être sage » ?
Il y a plusieurs choses. Mais moi, par exemple, on m’a assignée femme à la naissance. J’ai donc bénéficié d’une éducation genrée de « petite fille », à qui on a dit de « se tenir bien sage ». C’est le cas aussi des minorités de genre et toutes les populations opprimées ou minorisées. J’ai fait beaucoup de recherche sur la colère, c’est un sentiment qu’on n’accepte pas dans nos sociétés. Elle fait d’ailleurs partie des sept péchés capitaux. C’est quelque chose qui est réfrénée alors que la colère, avant de se transformer en rage, est un signal. Dans la musique, c’est venu tardivement mais comme il y en a qui commence à parler, les langues se délient. Même si on risque beaucoup de choses à exprimer cette colère. En arrêtant d’être sage, on va peut-être nous prendre au sérieux comme des entités pensantes adultes. On risque un retour de vague, de ne pas nous prendre au sérieux, de dire qu’on se victimise, qu’on fait ça pour se faire remarquer. Alors qu’on a beaucoup à perdre de parler : se faire ostraciser, d’être harcelée pour avoir parlé. Enfin, on risque de rentrer dans une période de miroir face à nous-mêmes. On ne sait plus vraiment si on a raison d’être en colère ou pas, on risque donc d’en perdre la tête. Cette confusion, j’ai voulu la transmettre dans la chanson. Moi, ce n’est pas une histoire de courage, fallait que ça sorte, c’était un cri du cœur. Après, la colère, quand on sent qu’on n’est pas seul.e, peut être une redoutable arme collective politique.
Peux-tu nous parler de la conception de ce single ?
Je traine le projet VoxAxov dans mes placards depuis ma recherche expérimentale sur la voix, ça fait longtemps. Durant l’été 2018, j’ai fait un grand voyage, seule, à New-York et j’en ai profité pour faire un crochet par Montréal pour voir mon ami d’adolescence Nahash aka Raphaël Valensi. Producteur de musique électronique, dj et maintenant écrivain. On s’est enfermés dans son studio pendant une semaine, et on a commencé à improviser. Depuis longtemps, je voulais faire de la musique ambiante, expérimentale, plus concept et théâtrale aussi. À l’époque, j’étais à fond dans mon duo Charlotte et Magon, plutôt rock, rétro, vintage. Avant, je faisais partie du groupe le Kilimanjaro Darkjazz Ensemble, qui est devenu culte. On était aussi dans l’expérimentation et de la musique très dark. J’avais envie de revenir à mes premiers amours. Tout ce que je retenais depuis des mois, je l’ai mis dans cette improvisation expérimentale avec Nahash et c’est de là que VoxaxoV est né.e. Je n’étais pas très bien à ce moment-là, ce projet est un peu sorti des ténèbres, ça a été ma lumière. C’est un projet musical assez dark, expérimental mais aussi cathartique.
Quelle est la signification de VoxAxoV ?
C’est un palindrome, c’est à dire qu’on peut le lire dans les deux sens. Ce mot, je l’ai créé à 24 ans quand je commençais à faire de la voix transformée. Le A c’est un V retourné, le x c’est comme deux armes qui se croisent, le o c’est le monde et le symbole des personnes agenres comme moi. Surtout c’est un écho, un miroir. Le thème du miroir revient tout le temps, même quand j’étais petite. Sans échos, il n’y aurait pas de sons. L’image c’est que si on ne communique pas avec soi ou avec l’autre, on devient fou.
As-tu choisi la date de sortie du 8 mars pour faire un femmage (un hommage en féminisme) ?
Le féminisme a sauvé ma vie littéralement. Ça m’a aidé à garder le cap, à comprendre pourquoi je souffrais. Ça m’a aidé à ne pas rentrer dans une rage insensée non plus. Ça a permis de mettre des mots sur ma colère. Oui tu as raison, c’est un femmage. Après le patriarcat ne fait pas mal qu’aux femmes. Il y a aussi les trans, les non-binaires et dans une moindre mesure, certains hommes cis qui ont envie que ça change.
Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?
Des concerts (rires) ! Des cérémonies. J’aimerais bien que la filière musique se déconstruise, qu’elle écoute vraiment les messages qu’on balance et qu’elle fasse le ménage. Qu’on arrête de devoir être obligé.e de collaborer ou de mettre en lumière des artistes qu’on sait être des harceleurs. Pour VoxAxoV, j’aimerais qu’on accepte d’autres formes un peu hybrides d’art dans le milieu de la musique. Au-delà aussi des stratégies normales. Par exemple, je n’ai pas envie pour l’instant de presser de galettes. Je suis artiste indépendante avec mon propre label et graver dans du dur alors que le monde est tellement fragile ne fait pas de sens selon moi. Et puis enfin, qu’on remette l’artiste au centre.
Tu es la co-fondatrice du réseau d’entraide Musiciennes & Co. Peux-tu nous en parler un peu ?
Oui, c’est lié à tout ce que j’ai dit. On sent bien qu’il y a un besoin chez les femmes, les trans et les non-binaires, du milieu de la musique de se retrouver ensemble. En France, il n’y a que 10 à 12% de femmes programmées dans les festivals. Alors que 50% des artistes sont des femmes. Face à ce sentiment d’isolement, j’ai eu l’idée avec des amies de créer un groupe Facebook non-mixte en 2015 (ce qui n’était pas du tout accepté à l’époque). On a ensuite organisé des workshops, des soirées. On est en partenariat aussi avec des réseaux d’entraide comme Shesaid.so ou des asso féministes comme Les Aliennes, Loudher, La Petite. On est un réseau de proximité pour les musiciennes, les artistes et non-artistes du milieu. Moi ça m’a permis de lier beaucoup de contacts et de me sentir moins seule dans mon parcours et mon histoire.