Les pages de memes sont légion sur les réseaux sociaux.
Celles qui publient systématiquement la même photo d’une personnalité publique aussi. Le phénomène n’a cessé de gagner en popularité depuis 2014, année où a été créée celle dédiée à l’acteur américain Jeff Goldblum, et le concept s’est rapidement propagé.
Le principe est simple: former une communauté à l’aide de commentaires rituels sous chaque publication. Ça sert pas à grand-chose, mais ça passe le temps.
Le principe est simple: former une communauté à l’aide de commentaires rituels sous chaque publication. Les fans répètent le même commentaire sous la même photo de la célébrité chaque jour. Ça sert pas à grand chose, mais ça passe le temps quand on est au travail entre 3 et 5. Ça nous fait aussi sentir comme si on faisait partie de quelque chose de plus grand que soi. Ce phénomène me laissait généralement de glace jusqu’à ce que mon collègue Romain me fasse découvrir la page dédiée à Zinédine Zidane.
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C’est le même principe, non ? En quoi c’est différent au juste ?
Regardez par vous-mêmes la nature des commentaires sous les publications:
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La communauté s’adresse à Zizou comme s’il était une icône religieuse. Les membres lui demandent des faveurs ou le remercient pour leurs petites victoires au quotidien. Bien sûr, vous me direz qu’il y a une dimension ironique à tout ça et vous n’avez pas tort. Les fans de La même photo de Zinédine Zidane tous les jours ne croient pas VRAIMENT que la légende du foot (toujours vivante et en santé d’ailleurs) va régler leurs problèmes, mais ils se confient à lui religieusement chaque jour quand même à propos de tout et de rien.
C’est un comportement à ma connaissance nouveau sur Facebook, un peu comme une évolution Pokémon des chaînes de lettres hotmail perpétrées par toutes les grand-mamans bienveillantes du monde entre 1998 et 2013 et les partages de pensées positives (ou de blagues douteuses) par nos proches boomers. Je suis sûr que vous voyez de quoi je parle :
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Afin de valider mon hypothèse, j’ai demandé à Solange Lefebvre, titulaire de la chaire en gestion de la diversité culturelle et religieuse à l’Université de Montréal, de m’éclairer. « Il y existe une grande religiosité dans le monde du foot », m’explique-t-elle. « Le foot est un sport pratiqué dans plusieurs pays et bien que plusieurs ne soient pas religieux par nature, cette ferveur se communique par le sport. Aller au stade, c’est un rituel comme aller à l’église. »
« La passion, c’est aussi quelque chose qui unit les domaines du sport et du religieux. »
« La passion, c’est aussi quelque chose qui unit les domaines du sport et du religieux », ajoute-t-elle. Une recherche rapide sur l’étymologie du mot passion nous apprend d’ailleurs qu’il vient du verbe latin pati, qui se traduit par « souffrir ». C’est quelque chose que l’on subit. Que ce soit les foudres divines ou les performances d’une équipe sportive, un fidèle vit à travers l’icône en laquelle il croit.
Zidane comme icône religieuse
Les fans de Zinédine Zidane se comportent comme s’ils étaient dans une église à la vue seule d’une représentation de leur idole parce qu’ils l’ont vu aider l’équipe de France à transcender ses limites lors de la Coupe du monde en 1998 et lors de l’Euro en 2000. Il a mené le pays au firmament du football. « Il nous a fait toucher les étoiles à plusieurs reprises », m’explique mon collègue Romain. Ce n’est donc pas si curieux qu’on s’adresse à lui comme on le ferait dans une prière.
« Religion et culture populaire ont toujours fait bon ménage. Au niveau symbolique comme au niveau rituel. »
Il me raconte également l’anecdote du retour en équipe de France de l’idole en 2005, guidé par une lumière divine à trois heures du matin. L’homme est certainement entouré d’une aura particulière : mystique, privé, allergique à la défaite.
Le phénomène n’étonne cependant pas Solange Lefebvre. Lorsque je lui demande si une manifestation d’amour quasi-mystique de la sorte présage une résurgence de la religion, elle m’arrête sur-le-champ. « Je ne crois pas qu’on puisse parler de résurgence. Religion et culture populaire ont toujours fait bon ménage. Au niveau symbolique comme au niveau rituel. Pensez à la mode des croix, par exemple ou dans le monde de la musique. Elvis Presley était très inspiré par le gospel. Aujourd’hui, on a Beyoncé, Kanye West, etc. La religion a toujours fait partie intégrante de la culture. On a tendance à parfois l’oublier, mais aux États-Unis et à plein d’endroits dans le monde, il existe encore une grande religiosité. »
C’est de plus en plus difficile d’être un saint à notre époque. On est plus observé, scruté et analysé que jamais. Les chances qu’une anecdote dark remonte à la surface pour nous faire tomber de notre piédestal devant un public adorateur sont plutôt grandes en 2021. Le saint patron de la victoire des Français semble au-dessus de la mêlée. Je vous avouerai que ça fait du bien à l’âme de se confier à lui :
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Je ne pourrais pas expliquer pourquoi ni comment, mais s’adresser à Zizou se situe quelque part entre un rituel créatif et lancer une bouteille à la mer. Le théologien américain Walter Wink nous avait avertis en 1999, dans son célèbre ouvrage The Powers That Be : la religion perd peut-être du terrain dans le monde occidental, mais l’instinct de vénération demeure le même. On se tourne juste vers d’autres dieux. Ceux qu’on met nous-mêmes sur un piédestal.
Vous aviez raison monsieur Wink. Vous aviez raison. Ma génération n’est pas au-dessus de l’expérience religieuse. Elle la vit juste différemment. Parfois sur une page qui publie la même photo de la même personne tous les jours de l’année.