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Vivant avec un V majuscule
« J’ai publié un récit chez Flammarion, Certains cœurs lâchent pour trois fois rien, sur mes années de dépression, huit en trente ans, dont je me suis sorti aujourd’hui. Si je peux délivrer un message positif en ces temps troublés par la pandémie où les chiffres de la dépression ont doublé, j’en serais heureux. » C’est par ces mots que Gilles Paris (auteur, entre autres, de l’Autobiographie d’une Courgette) nous a sollicités, en toute bienveillance. On a évidemment décidé de lui laisser la parole avec un texte très personnel sur la dépression. En espérant qu’il résonne auprès de celles et ceux qui en ont besoin.
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La colère est souvent l’antichambre de la violence. Frapper un mur, ou renverser une lampe ne portent pas à conséquence. Mais lever la main sur une personne qui vous est chère est dévastateur. D’autant plus que la violence n’est pas seulement physique, mais aussi verbale. Et si les mots dépassent la pensée, ils sont autant d’aiguilles qui s’enfoncent profondément dans la chair et la psyché, pour y rester souvent ce qui peut paraitre une éternité.
Lorsque mon père m’a battu, j’avais dix-huit ans, tout juste majeur. Personne ne m’avait appris à répondre aux coups d’un membre de ma famille aussi proche. Je me suis laissé cogner en pensant naïvement que ça finirait bien par cesser. Il portait des chaussures en cuir ce jour-là. L’un d’elle m’a pété une dent, l’autre m’a explosé le visage. Je n’arrivais plus à parler, mes mots se noyaient dans le sang.
Quand il m’a laissé inanimé, évanoui, sous des dizaines de livres surgis d’une étagère qu’il avait réussi à arracher du mur, j’ai sûrement pensé à l’ultime seconde que je ne m’en relèverais pas. C’est un inconnu qui a enjambé la margelle sous ma fenêtre ouverte et brisée de mon studio au rez-de-chaussée. J’habitais face à un hôpital, aujourd’hui rasé, l’inconnu m’y a déposé. Plus tard un médecin me l’annoncera, en ajoutant qu’il était couvert de sang et a oublié de donner son nom. Un ange certainement. Je donnerais tout pour le revoir.
« À la publication de mon premier roman Papa et maman sont morts, au titre explicite, j’ai sombré dans la dépression, à trente-trois ans »
J’aurai dû parler davantage, aux médecins, à mes amis, à ce qu’il restait de ma famille. Mais je me suis tu, muré dans une souffrance intérieure que personne, du moins je le croyais, ne pourrait atténuer. Aux nouvelles rencontres, je me disais orphelin, afin d’éviter le sujet. A mes amis, je leur recommandais l’impasse, sous risque de se fâcher pour de bon. J’en ai parlé tardivement à ma sœur, la chanteuse Geneviève Paris, et jamais à ma mère que la Covid a emporté en avril dernier. J’avais dix-huit ans, l’âge de tous les défis, et je les ai tous relevés sans vergogne. L’alcool, la nuit, la drogue, le sexe.
A la publication de mon premier roman Papa et maman sont morts, au titre explicite, j’ai sombré dans la dépression, à trente-trois ans, l’âge du Christ, avec résurrection tardive. La première dépression est atroce. On croit qu’on ne s’en sortira jamais. La bête est entrée en vous, s’étire comme un chat, et vous n’êtes plus le même. Tristesse infinie, refus de se laver, de sortir, de se nourrir, de profiter d’un coucher de soleil sur la Seine. Pour tout dire, j’en ai fait huit de dépression. Autant de livres. Mais je me suis relevé chaque fois, comme un puzzle dont les pièces finissent par s’assembler.
J’ai usé des antidépresseurs, des anxiolytiques, des somnifères. Même du lithium que je prendrais jusqu’à la fin de mes jours. J’ai surtout parlé, enfin, à des psychologues, des psychanalystes, des psychiatres. La parole libère. Je suis devenu bavard, moi le taiseux à dix-huit ans.
« La vie, malgré tout, mérite d’être vécue. J’en suis certain maintenant que je vais fêter bientôt mon soixante-deuxième anniversaire. J’y crois dur comme fer. »
Le sport et ses endorphines, aussi, m’ont sauvé. Je le pratique encore deux fois par semaine. Les voyages, la sensation de chaleur sur la nuque, quand un rayon de soleil vient à vous caresser. Mon mari, bien sûr, présent, impuissant, démuni souvent. Mes amis, même si je leur pardonne parfois d’avoir dit « mais t’as tout pour toi », ou « tu n’as pas le cancer quand même ».
La route pour remonter la pente est ardue, elle s’est accompagnée d’hospitalisations, de doux compagnons aussi paumés que moi, d’intenses réflexions sur tout ce qui vous entoure et vous construit. J’en suis sorti différent, plus humain je crois, empathique, et surtout Vivant avec un V majuscule. Car la vie, malgré tout, mérite d’être vécue. J’en suis certain maintenant que je vais fêter bientôt mon soixante-deuxième anniversaire. J’y crois dur comme fer.
Je suis un rescapé. Un survivant. Mon cœur est énorme. Il ne cesse d’aimer tout ce qu’il voit.