Logo

Une virée au skatepark avec les Chicks in Bowls Paris

Mots d'ordre: sororité, entraide, tolérance.

Par
Adiaratou Diarrassouba
Publicité

Ça faisait des années que je rêvais de me remettre aux rollers quad, comme quand j’étais enfant. Retrouver cette sensation de liberté unique, mais aussi allier l’utile à l’agréable en pratiquant une activité sportive et artistique qui m’épanouisse tout en étant thérapeutique. Je m’y suis remise il y a un an, sans compter les coupures pour blessures, kiné/rééducation, confinement, etc. Roller dance, roller artistique, slalom, freeride… Mon but? Tout tenter au moins une fois, sans me mettre de frein.

Alors, j’ai cherché tout ce que je pouvais trouver en lien avec ces disciplines à Paris et j’ai fini par tomber sur CIB Crew puis sur CIB Paris. Le but de Chicks in Bowls -devenu CIB Crew pour des questions d’inclusivité- est simple : encourager les minorités de genre à s’approprier les skateparks, lieux qui peuvent être intimidants surtout quand on n’y a jamais posé une roue… et qu’on n’est pas un homme cis. L’idée m’a tout de suite plu d’autant que j’adore explorer des territoires, a priori, pas faits pour moi. Parce que les skateparks, faut-il le rappeler, sont encore en 2020 des espaces très peu occupés par les femmes. L’occupation de l’espace public reste un enjeu politique, je ne vous apprends rien.

Publicité

Le fonctionnement du collectif me convient aussi : pas besoin de s’engager, on y va quand on veut. Tout se fait de façon horizontale et chaque semaine, un sondage de disponibilités est posté dans le groupe CIB Paris où chacun.e est libre de proposer des sessions de façon indépendante. Précision importante : il ne s’agit absolument pas d’une association et on n’y dispense pas de cours. La moyenne d’âge ? 30 ans.

UN mouvement DEVENU mondial

Le concept CIB est né en Nouvelle-Zélande, initié par Lady Trample, une illustre figure du roller derby. Au départ, en 2014, elle s’amusait juste avec son groupe d’ami.es à documenter leurs sorties dans des skateparks sur Instagram. De là, d’autres femmes à travers le monde ont voulu se joindre au club et demander si elleux pouvaient aussi être des Chicks in Bowls. Résultat : plus de 300 chapitres -antennes associées portant le nom CIB- ont vu le jour à travers le monde. Parmi lesquels, CIB Paris, co-fondé par Clémence en 2017.

Publicité

Ma première rencontre avec Clémence, 30 ans, ex jammeuse de l’équipe de roller derby Les Gueuses de Pigalle, c’était le 11 juillet dernier, lors d’une journée de manifestation contre les violences policières et racistes Worldwide Rollout Day, lancée par la skateuse en quad afro-américaine Skatefantacee. C’était aussi ma première sortie en roller dans les rues de Paris à l’âge adulte. Sa bienveillance, ainsi que celle des autres membres habitué.es à glisser sur les pavés, prêt.es à venir en aide et à donner des conseils à des débutant.es comme moi m’ont donné davantage envie de me joindre à une sortie skatepark avec elleux.

Proposer un espace safe

Nous y voilà enfin, un lundi. Le rendez-vous est fixé à 11h, horaire parfait car « il y a moins de monde, les enfants sont encore à l’école. C’est plus sympa pour les débutant.es. » Effectivement, ce jour-là au Parc des sports des Maisons Rouge situé à Bry-sur-marne, il n’y a qu’un rider en BMX. Et c’est clairement plus rassurant. Mais l’appréhension est là : si je descends dans le bowl -si j’arrive à y descendre déjà!- comment j’en sors? Pas envie de rester coincée au milieu façon Pacman. Alors, pour le moment, je regarde Clémence, Aurore, Stéphanie et Ben, le compagnon de Stéphanie, -skateur qui s’est mis aux rollers grâce à elle- s’élancer tour à tour et je me dis que l’époque où je me jetais sans me poser de questions dans des pentes raides près de mon quartier avec ma fidèle amie d’enfance me paraît bien lointaine…

Publicité

Les regarder, c’est aussi avoir la personnification de l’esprit CIB résumé par Clémence sous les yeux : sororité, entraide, tolérance et #spreadthestoke ou l’art de répandre l’enthousiasme liée à la culture glisse des années 70. Comme quand Aurore réussit un trick qu’elle a loupé auparavant et que Clémence la félicite ou quand Stéphanie, a peur de se lancer seule dans le bowl et qu’Aurore vient lui donner la main pour l’aider et l’encourager.

D’ailleurs, ces deux dernières se sont rencontrées grâce à CIB Paris et depuis, forment “l’équipe du 77”, département où elles habitent. Elles sont maintenant plus que des potes qui roulent ensemble, puisqu’elles sont même parties en vacances toutes les deux cet été. Elles se sont aussi rendues à un meet-up organisé par CIB Tours où elles se sont connecté.es à d’autres personnes. En gros, CIB, c’est un véritable réseau international qui permet à quiconque de trouver de potentiel.les camarades de glisse dans le monde. Clémence part prochainement en Belgique où elle a calé des sessions ride avec la famille CIB sur place.

Publicité

Je leur fais part de mes appréhensions et elles viennent à ma rescousse, me conseillant de commencer par un petit exercice : descendre une pente en marche arrière, en utilisant mes freins et mes roues avant. Une fois que j’aurais maîtrisé la manoeuvre, je pourrais passer à la vitesse supérieure. Spoiler alert : je ne le maîtrisais pas encore bien à la fin de l’après-midi… mais il y avait du progrès, avec bien moins de peur.

« On joue à leur jeu de qui a la plus grosse, en faisant ce qu’on appelle un “clean” : on leur montre qu’on sait rouler, on prend de la place et on tape fort avec nos patins, on fait 2-3 trucs impressionnants… »

Publicité

Deux heures plus tard, nous sommes en route vers un autre spot, à Roissy-en-Brie dans le 77. Il y a plus de monde dont une adolescente venue accompagner son copain qui fait des figures en trottinette; puis est arrivée une autre en skate. Le nombre de filles/femmes venues rider ici se comptent sur les doigts d’une main, sans surprise. « Ce sont des lieux majoritairement masculins, blancs et hétéros. Pourtant, chacun.e y a sa place. On veut protéger celleux qui viennent avec nous de la violence du monde du skatepark ; il y a parfois des personnes malveillantes. » Et alors, comment on fait quand on se retrouve dans ce genre de situation ? « On va dire aux mecs qu’on y va chacun.e son tour ou on joue à leur jeu de qui a la plus grosse, en faisant ce qu’on appelle un “clean” : on leur montre qu’on sait rouler, on prend de la place et on tape fort avec nos patins, on fait 2-3 trucs impressionnants… On est obligé.e de faire ça parfois pour qu’ils nous laissent tranquilles quand on vient avec des débutant.es. »

Clémence parle aussi de cet “élitisme” qui consiste à moquer les novices et considérer qu’iels n’ont pas à être là. « Pourtant, on a tous commencé quelque part ! » Et elle est prête à bannir toute personne ne respectant pas cette règle. Ce qui n’est encore jamais arrivé depuis deux ans que le collectif parisien connaît des demandes croissantes.

Publicité

Booster sa confiance en soi, faire sauter les barrières

Pour moi, le roller est un peu une métaphore de la vie. On se fixe des objectifs, on y connaît des victoires, de la fierté quand on arrive à les atteindre mais on passe aussi par des moments difficiles, douloureux et la case frustration quand on a l’impression de tourner en rond. On doit aussi vaincre ses peurs et persévérer. Cette activité peut aussi donner une bonne dose de confiance en soi.

« Ce sport m’aide à oser faire des choses que je n’aurais jamais faites sinon. »

Stéphanie, 32 ans, qui a rejoint CIB Paris l’an dernier confirme. « Je manque de confiance en moi dans la vie en général et ce sport m’aide à oser faire des choses que je n’aurais jamais faites sinon. J’ai beaucoup de peurs, de blocages. L’apprentissage est long mais je suis contente du chemin que j’ai parcouru jusqu’ici et je vais continuer à progresser. »

Publicité

On progresse aussi plus vite en groupe. Stéphanie, qui était la seule femme en roller quand elle se rendait régulièrement au skatepark de Melun il y a deux ans, sent bien la différence depuis qu’elle se joint à d’autres plus expérimenté.es.

Clémence se souvient de ses premières fois au skatepark : elle y allait en tant que spectatrice. Avec cette injonction implicite en tête selon laquelle ce serait exclusivement réservé aux garçons, elle y allait d’abord pour observer les (beaux) skateurs, persuadée que ce n’était pas fait pour elle. Pratiquer le roller agressif, c’est sortir de certaines idées reçues. « Mais depuis un an, j’en vois de plus en plus en roller et en skate. Je remarque aussi les yeux des petites filles remplis d’admiration et qui se disent qu’elles aussi peuvent s’y mettre. »

Avant d’inspirer des petites filles, Clémence a eu son propre déclic : Michelle Steilen aka Estro Jen, une joueuse de roller derby américaine, fondatrice de la fameuse marque Moxi Roller Skates. En 2013, elle poste une vidéo de freeskate dans les rues de Long Beach en Californie qui a fait sensation. « Avec ma meilleure amie Val, on la trouvait trop cool et on voulait faire pareil ! »

Publicité

L’amour du challenge, du dépassement de soi, aura fini par être plus fort. Un sentiment que je partage.

J’y retournerai, c’est sûr. Et j’espère que les choses continueront à évoluer dans le bon sens, que mes nièces aujourd’hui encore trop petites mais déjà pressées de me rejoindre sur 8 roues, pourront s’y rendre aussi et s’entraîner à faire des figures sans se poser la question de leur légitimité à se trouver dans ces endroits.

Publicité